Canicule attendue la semaine prochaine : comment le soleil peut provoquer l'angoisse

Publié le 21 juin 2019 à 18h00

Source : Sujet JT LCI

COUP DE CHAUD - Les fortes températures attendues pour la semaine prochaine promettent d'être difficiles à vivre pour ceux qui ne supportent pas la chaleur, mais aussi pour ceux qui vivent avec la phobie du soleil, un mal mystérieux et méconnu.

Sous le soleil exactement, ils n'y vont pas. La semaine prochaine, les températures vont remonter en flèche sur une grande partie du pays, dépassant potentiellement les 40°C localement, et la canicule promet d'être difficile à vivre, non seulement pour ceux qui supportent mal la chaleur mais aussi pour ceux qui nourrissent une aversion pour le soleil. Une phobie méconnue mais réelle, consistant à fuir la lumière solaire (soit "l’héliophobie"). Et elle ne concerne pas juste une poignée de fans de Marilyn Manson ou des apôtres du divin Marquis de Sade, décidés à "éteindre le soleil". 

Naguère, il n'était pas inconcevable de craindre le soleil. Les férus d'histoire savent que les femmes manifestaient une véritable "héliophobie" pour garder leur teint blanchâtre, prouvant qu'elles étaient assez riches pour ne pas avoir à travailler dans les champs, et prenaient des bains de mer en vêtements. Mais ça, c'était avant. En 2019, "craindre le soleil" ne signifie pas du tout la même chose et peut donner lieu à des comportements aberrants pour le commun des mortels. 

Une crainte morbide, irrationnelle

Bien sûr, comme chaque été, tout le monde va vider son tube de crème solaire pour éviter les coups de soleil. Ces précautions sont, il est vrai, à prendre quand le niveau d'UV est supérieur à 3 : "Les Français ont compris que le soleil est un ami dont on doit se méfier, assure le docteur Claudine Blanchet-Bardon, vice-présidente du syndicat des dermatologues-vénérologues. Les rayons, à haute dose, peuvent impacter la rétine, accélérer le vieillissement de la peau, la brûler voire provoquer la poussée de mélanomes riches. S'il est indispensable à la vie, notamment parce qu'il répond à nos besoins en vitamine D, il convient aussi de s'en protéger. Les gens font désormais plus attention à leur peau et pratique même l'auto-surveillance. Il faut consulter dès que l'on constate quelque chose d'anormal, un grain de beauté ou une tâche qui ne disparaît pas."

Mais s'il y a bien cette peur du "coup de soleil", latente, commune à tous, il y a aussi et surtout cette crainte morbide, plus psychique, à l'égard de la plus éblouissante des étoiles. Celle qui consiste, entre autres signes distinctifs, à ne pas ouvrir les rideaux ni les fenêtres lorsque les rayons du soleil inondent une pièce ou encore à rester cloîtré chez soi façon hikikomori. 

"Il ne faut surtout pas sous-estimer cette peur du soleil, résultant d'un rapport à la psychose, assure à LCI le psychologue Samuel Dock. Les personnalités psychotiques, les schizophrènes par exemple, vivent en particulier très mal l'été. Comme ils ont une capacité de contenance d’eux-mêmes très limitée, un stimulus trop fort peut être vécu comme un traumatisme. En d'autres termes, trop de lumière, trop de chaleur les épuisent et cela devient trop difficile pour eux." Et qui dit "épuisement" dit "insomnie" et "augmentation des problématiques psychiques".

Une phobie répandue mais des cas isolés

Vous êtes sceptiques ? Parcourez les forums de discussion pour saisir la détresse réelle de ceux qui ne supportent pas le soleil, allant jusqu'à des détails subliminaux comme ce souci d'apparence chez une jeune femme, "effrayée par le soleil de peur que ses tâches de rousseur ressortent". 

Notre psy lui répond : "Les taches de rousseur renvoient à la peau. Contrairement au froid, la chaleur fait changer l’enveloppe corporelle, ce qui nous enveloppe psychologiquement. En psy, on appelle ça le 'moi-peau'. On est dans son esprit, dans son moi, parce qu’on est construit par une peau psychique, organique, somatique. En bref, le soleil est le révélateur de ce que nous sommes." 

Sur un autre forum, un homme, cette fois, explique que "tous les ans c'est pareil, dès que la chaleur revient et que le soleil brille un peu trop longtemps, je déprime, j'ai pas envie de sortir, je me sens mal à l'aise. (...) Ce soleil qui brille ça me rend fou (...) Je comprends pas, tout le monde est tout heureux de voir le soleil, moi ça m'angoisse complètement (...) J'ai envie de rien, je me sens vidé physiquement, je passe mes journées sur internet ou à jouer à la console". Dans une autre discussion, une femme explique que cette phobie lui "gâche la vie" : "l'été dernier j'ai été malade, j'avais le cœur qui battait je ne dormais plus, malgré un traitement que je prends pour calmer mes troubles anxieux", raconte-t-elle, avant de concéder : "C'est vrai que ça paraît ridicule de dire qu'on ne supporte pas la chaleur, que ça nous rend malade, mais pourtant c'est vrai".

Cette injonction à être heureux 'parce qu'il fait beau' peut être compliquée pour les personnalités dépressives, mélancoliques, anxieuses
Samuel Dock, psychologue

Une phobie d'autant plus difficilement discernable qu'elle ne concerne pas un groupe mais des individualités, des singularités, des cas intimes : "Le soleil peut être perçu de manière bien différente selon la structure psychique dans laquelle se situe la personne. Un psychotique, un névrosé ou un 'borderline' ne vivront pas ça de la même façon. Le soleil leur pose tous problème, mais différemment. Certains n’aimeront pas la chaleur, d’autres n’aimeront pas la lumière... Un névrosé n’aimera pas forcément ce que le soleil représente. Soit le fait que les autres soient en lien, soient heureux, se dévêtissent. Lui ne peut pas parce qu’il est en butte avec son désir."

Refus de l'injonction à être heureux

Pour autant, ce mal ne se cantonne pas aux schizophrènes et autres cas cliniques : "Quand on voit le soleil, on est soumis à cette injonction à 'être heureux', à ce côté 'il fait beau donc tout va bien, et je vais bien'. Du coup, cette injonction peut être compliquée pour les personnalités dépressives, mélancoliques ou anxieuses. Ces personnalités ne peuvent tout simplement pas faire semblant parce qu’elles ne vont pas bien. En philosophie, le soleil traduit la netteté, ce vers quoi on se tourne pour se détourner des ombres de la caverne. Dans toutes les religions et toutes les spiritualités, c’est un symbole de vie, un symbole divin. Contrairement aux ténèbres qui représentent le mal. De fait, le commun des mortels peut ne pas saisir ce contraste entre le climat et les miasmes pathologiques d'une personne effrayée par le soleil, incomprise par les autres."

Aussi, comment guérir de ce mal du soleil ? "Une psychothérapie peut être utile. Une patiente a réalisé lors d'une séance qu'elle ne pouvait plus se rendre sur une plage ensoleillée après le décès de sa mère, morte d'un cancer". 

Insistons, pour finir, sur la nécessité du soleil pour notre survie. Prenons l'exemple du film Sunshine de Danny Boyle, où le soleil se meurt et s'éteint progressivement, obligeant huit astronautes à partir dans l'espace pour tenter de le rallumer.

Certes, la mort du soleil devrait débuter d'ici 5 milliards d'années environ mais posons la question : comment la vie humaine, végétale et animale survivrait sans notre précieux soleil ? Et qui nous révélerait à l'autre, surtout ? "Quand le soleil se lève, il se lève aussi sur nos structures de personnalité", conclut notre psychologue. 


Romain LE VERN

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