#EggHeadChallenge, #lovemybag… : exhiber sa maladie permet-il de faire évoluer les consciences ?

Publié le 4 février 2019 à 11h33

Source : Sujet JT LCI

COMING-OUT MÉDICAL - De plus en plus, des défis lancés sur les réseaux sociaux invitent celles et ceux qui souffrent d'une maladie ou d'un handicap à poster des photos de ceux-ci pour les rendre visibles et briser les tabous qui les entourent. Qu’est-ce que ces réactions 2.0 disent de nous ? Cette exhibition peut-elle réellement faire bouger les choses ? Un thérapeute, un psychiatre et un psychologue nous répondent.

Et si les hashtags brisaient les tabous ? C’est avec cette idée que Charlène, alias Kangouroo Girl sur les réseaux sociaux, a lancé en janvier son défi #LoveMyBag (#aimemonsac). Victime d’une erreur médicale, la jeune femme de 25 ans vit avec une stomie, une poche intestinale. Elle a invité ceux qui en portent  - 80.000 personnes en France -  à poster comme elle des photos d’eux, leur poche en évidence, sur Instagram ou Facebook. Une manière pour la jeune femme de rappeler que non, elle n'est pas seule dans cette situation, et que, oui, il est temps de lever ce tabou. 

Un phénomène qui évoque un autre hashtag, tout aussi libérateur, lancé quelques jours plus tôt : le "#EggHeadChallenge", créé par Amélie, une jeune Toulousaine atteinte d’un cancer métastatique, en réaction aux passions que venait de déchaîner une simple photo d’un œuf postée sur Instagram, devenue la plus "likée" de l'Histoire. Elle a commencé par mettre en ligne sur le réseau social sa tête "en mode crâne d’œuf", enjoignant d'autres femmes atteintes d'un cancer à faire comme elle. 

Ou comment utiliser l'idiocratie (50 millions de likes pour le fameux œuf) pour la transmuer en chaîne d'espoir et de fraternité, celle-ci ayant généré la création d'une cagnotte dont les fonds seront reversés à la Fondation ARC afin de financer la recherche.  

"Compassionnel" mais "pas neuf"

Au-delà de ces réussites autant singulières que collectives, que nous raconte cette mouvance ? Le thérapeute Alexis de Maud'huy, joint par LCI, souligne que "cette forme de coming-out médical est souvent utilisée pour des campagnes de crowdfunding aux Etats-Unis, où il n’y a pas de sécurité sociale". Et en France ? "Cela répond à une volonté d’attirer de la compassion par le biais de likes, mais c’est à double tranchant, car on peut aussi se faire troller par des haters, il y en a toujours..."

Dans ces hashtags s'exprime l'évolution de notre société au sein de laquelle tout devient "spectacle" (ce que l’on mange, ce que l’on fait, qui on fréquente...)
Jérôme Palazollo, psychiatre

Ce phénomène, le psychologue Boris Charpentier le juge pour sa part "très intéressant". "L’exposition de la maladie sur les réseaux sociaux joue un rôle important dans l’évolution des représentations sociales, nous assure-t-il.  Elle permet une dé-stigmatisation et répond à un réel besoin de reconnaissance de la part des malades. Cela permet par exemple de supprimer les préjugés selon lesquels on ne pourrait pas être féminine, sexy, heureuse en étant malade. En s’exprimant et en dévoilant la maladie, on la banalise et on redonne au malade une autre considération. Cela permet de l’appréhender dans sa globalité et non plus seulement par le prisme de sa souffrance." 

Différentes dynamiques s'expriment dans cette démarche, analyse de son côté le psychiatre Jérôme Palazollo. "Dans un premier temps, considère-t-il, s'exprime l'évolution de notre société au sein de laquelle tout devient 'spectacle' (ce que l’on mange, ce que l’on fait, qui on fréquente...). Il n’y a d'ailleurs qu’à regarder ce que l’on trouve sur les réseaux sociaux : on a tous des amis virtuels qui postent des selfies juste avant une opération chirurgicale, voire juste après s’être blessé, avant même de se soigner ou d’appeler les secours…" Mais, poursuit-il, "cela peut aussi être lié à un désir d’exhibition (toucher les autres très rapidement via Internet), ou d’information (démystifier la maladie, voire les traitements proposés), à un besoin d’alerter les pouvoirs publics comme la population en créant une polémique (le manque de moyens pour traiter une pathologie, la nécessité de développer la recherche, etc.), à un besoin individuel de choquer, à un simple désir de célébrité. Ou encore à une démarche d’acceptation de soi, comme certaines femmes montrant leurs vergetures ou leurs cicatrices post-cancer du sein pour mieux banaliser leurs "défauts supposés" aux yeux de la société et à leurs propres yeux". Bref, les ressorts qui expliquent que l'on lance et participe à de tels challenges peuvent être nombreux.

Mais au final, exhiber sa maladie permet bien à celle ou celui qui en souffre de s’assumer, conclut Boris Charpentier : "Partager son intimité sur les réseaux sociaux et partager sa différence, c’est s’ouvrir aux autres, à la possibilité de trouver du soutien, contribuant ainsi à s’accepter soi-même avec sa maladie". 


Romain LE VERN

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