Plongée dans les affres de la mélancolie : d'où vient cette affection de l'âme aux multiples visages ?

SPLEEN - De l'impression vague de tristesse à l'état de dépression profonde, la mélancolie peut prendre différent visages. Mais pourquoi certains y sont-ils plus sujets que d'autres ? Et surtout, d'où vient ce sentiment ? Une psychologue éclaire ces noirs abîmes.
Depuis toujours, la mélancolie intrigue penseurs, philosophes, théologiens, écrivains, poètes ou psychiatres. Cette affection qui donne envie d'éteindre le soleil a été interprétée, au choix, comme la source du génie ou comme une cause de souffrance, voire de folie. Et l'on n'en sait pas réellement plus tant l'origine de cette inclinaison demeure obscure.
Interrogée par LCI sur ce grand mystère, la psychologue clinicienne Laurie Hawkes décèle chez le mélancolique "une part génétique et une part liée au milieu familial – l’humeur ayant régné dans la famille où l’on a grandi enfant, l’accueil réservé à la joie enfantine, l’encouragement à se montrer joyeux ou plutôt à être un gentil enfant triste." D'autant que, selon la psychologue, il existe bien différents états de mélancolie. Différentes chambres qu'il importe de distinguer.
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Prenons tout d'abord la mélancolie au sens psychiatrique, qui désigne un état de dépression profonde dans lequel tombent les maniaco-dépressifs (aujourd’hui dits "bipolaires") dans la phase basse, et qui exacerbe la volonté de catastrophe qui sommeille en eux quand plus rien ne va : "Le mélancolique a un visage figé, inexpressif, une perte d’énergie vitale, un ralentissement général… Soit un état extrêmement pénible à vivre, avec un risque suicidaire réel", nous décrit Laurie Hawkes. Un état de mélancolie qui fait vivre au ralenti, à l'image de la montre molle des tableaux de Salvador Dali ou, plus récemment au cinéma, de Melancholia de Lars von Trier, éblouissant film sur la fin du monde où la tristesse avait des allures de planète gigantesque. Une sorte de soleil noir.
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La mélancolie prend des allures de dépression, avec la même violence monstrueusement douloureuse tapie en celui ou celle qu'elle frappe, même s'il importe de bien distinguer les deux : "La dépression est une maladie qui peut frapper n’importe qui ou presque (bien que certains y soient plus vulnérables que d’autres), pour une période plus ou moins longue, généralement quelques mois", souligne la psychologue Laurie Hawkes. En dépression, un peu comme dans la mélancolie vraie, on est ralenti, peu intéressé par ce qui nous motive habituellement. Il y a également une tristesse et une perte d’énergie."
Soit la "bile noire" des Grecs, l'origine étymologique de la mélancolie. Une maladie "dépressive, douloureuse et handicapante" qui empêche par exemple de se lever le matin, de bouger, de parler, de mettre un pied devant l'autre, dans un état extrême de prostration.
À ce sujet, la psychologue conseille un livre, Face aux ténèbres : chronique d’une folie, dans lequel l'auteur William Styron, en décrivant sa mélancolie au sens psychiatrique, donne à comprendre l’enfer de cette souffrance, suggérant aussi qu'elle se soigne, même si cela dépend de la profondeur de la dépression et de la façon dont le sujet la vit: "Il est généralement conseillé de la traiter, de préférence par une combinaison de psychothérapie et d’antidépresseurs, écrit-il. La mélancolie du trouble bipolaire, la plus grave, lorsqu'elle est bien traitée, peut généralement être tenue à l’écart, mais la personne affectée doit être une partenaire active dans le traitement, au lieu d’arrêter de le prendre parce qu’elle pense ne plus en avoir besoin."
Mais il existe aussi une autre mélancolie "non pathologique", plus légère, par contraste, au sens non psychiatrique.
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Dans le langage courant, la mélancolie indique plutôt "une sorte de langueur, un vague sentiment de tristesse dont l’objet n’est souvent pas très clair", selon les mots de Laurie Hawkes. Un beau sentiment de tristesse diffuse chéri par Baudelaire, Dürer et autres Nerval, et que paradoxalement, on peut avoir envie d’entretenir, comme source de créativité, de réflexion. Un "atout qui nous fait ralentir, réfléchir, nous questionner, écrire des poèmes ou peindre un tableau", vante même la psychologue.
Mais cette douce mélancolie-là, celle qui fait prendre conscience du temps qui passe et qui menace de nous faire "bad-triper" le dimanche après-midi, se soigne-t-elle ? "Des chercheurs américains ont déterminé que nous possédons chacun un niveau habituel de joie, notre ligne de base, répond notre psychologue. On serait donc prédisposé à être gai ou bien triste. Les travaux actuels semblent indiquer que l’on ne changerait guère sa tendance de base. Mais on peut apprendre à s’accepter avec ce tempérament d’une part, et à cultiver et rechercher toutes les occasions de joie d’autre part. Donnant ainsi accès à une vie plus agréable." Soit ce que Victor Hugo appelait, dans Les Travailleurs de la mer, le "bonheur d'être triste".
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