"Qu'est-ce qu'on a encore fait au Bon Dieu ?" : tord-on vraiment le cou aux clichés racistes en en riant ?

Publié le 7 février 2019 à 18h25

Source : Sujet TF1 Info

IMPACT - La suite de "Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?" attire de nombreux spectateurs dans les salles. Une comédie face à laquelle une question se pose : rire des clichés racistes a-t-il un effet sur ceux qui y croient ?

En 2014, 12,3 millions de français ont ri de bon cœur au cinéma devant Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ?, une comédie présentée comme le "Rabbi Jacob des années 2000", que TMC rediffuse ce jeudi soir. On y voit un couple (Christian Clavier et Chantal Lauby), issu de la grande bourgeoisie catholique provinciale, s'arracher les cheveux en voyant ses filles épouser tout à tour un Arabe, un Chinois, un Juif et un Noir. Et l’humour de résoudre comme par magie tous les préjugés sociaux, de s’amuser des stéréotypes racistes pour mieux les railler. 

Un procédé qui prête le flanc aux critiques. "Les films agissent sur le monde et le transforment, quelle que soit l’intentionnalité des gens qui les produisent et les réalisent, assure à LCI Chloé Delaporte, maîtresse de conférences en socio-économie du cinéma et de l’audiovisuel. "C’est d’ailleurs tout l’enjeu autour de films comme Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ? : pour parer aux critiques soulignant la propension du film à banaliser des clichés racistes, l’équipe a cherché à désamorcer toute lecture politique en invoquant dans les médias le caractère comique et l’absence d’intentionnalité politique du réalisateur." Soit s'inscrire dans la veine consistant à moquer le regard des Gaulois sur les autres mais aussi l’Histoire, comme l’ont fait par le passé Les aventures de Rabbi Jacob (Gérard Oury, 1973) ou plus récemment OSS 117: Le Caire, nid d’espions (2006). 

Le vrai problème d'un film comme "Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ?" est de traiter le racisme comme un problème simplement culturel
Chloé Delaporte, maîtresse de conférences en socio-économie au cinéma et de l'audiovisuel

"Le diptyque OSS 117 de Michel Hazanavicius a nettement posé cette question", note Baptiste Liger, journaliste à Technikart. "Dans la salle, certaines personnes riaient au premier degré des répliques ou comportements ouvertement racistes de son héros franchouillard ; d’autres s’amusaient à l’inverse des énormes clichés racistes du personnage. C'est la limite, mais une comédie reste toujours intéressante en tant que témoignage sur son époque, sur ce qui faisait rire (en théorie) ses contemporains. Comment revoir aujourd’hui, par exemple, Les Chinois à Paris de Jean Yanne ou Black-mic-mac de Thomas Gilou ? Jouent-ils avec les clichés ou se vautrent-ils dans ceux-ci ?"

L'effet inverse de l'effet escompté

Alors, cinq ans après ce premier volet, rire à nouveau des clichés que certains Français entretiennent à l’égard des minorités, dans le dessein de faire évoluer les mentalités, est-ce toujours efficace ? Pas si sûr pour Gilles Botineau, journaliste et auteur de Splendid Carrière : Christian Clavier : "Louis De Funès avouait qu'avoir tourné Rabbi Jacob lui avait 'décrassé l'âme'. Pour Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ?, on ne peut pas dire qu'il y ait eu un impact véritable sur le spectateur malheureusement : le traitement des clichés racistes y est moins fort, on les survole et, du coup, certains y ont vu un film purement raciste. Soit l'effet inverse de l'effet escompté. Il ne suffit pas de pointer du doigt les clichés, il faut aussi les maltraiter, les retourner. Prendre le temps de montrer au travers de situations leur ridicule, ce n'est pas toujours simple, et l'époque dans laquelle nous sommes ne tolère aucun écart." 

Qu'est-ce qui cloche alors ? Aussi louables soient ses intentions, "le vrai problème d'un film comme Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ? est de traiter le racisme comme un problème simplement culturel, circonscrit à des relations inter-individuelles et à des clichés", déplore Chloé Delaporte, arguant que le racisme s'avère surtout "l’expression d’un rapport de domination via la mise en œuvre de dispositifs de discrimination, c’est-à-dire un système qui dépasse de loin les querelles familiales mises en scène dans le film de Philippe de Chauveron."

Censure de l’humour ?

Est-il exact d'affirmer comme on l'entend souvent que le rire, comme le code, a changé ? Chloé Delaporte note surtout une "prise de conscience collective de certaines problématiques" : "Le fameux 'on ne peut plus rire de rien' se révèle le plus souvent tenu par des gens qui ne sont jamais la cible des clichés, occupant une position sociale dominante (par exemple en tant qu’homme, en tant que Blanc/Blanche, en tant qu’hétérosexuel, en tant que cisgenre, en tant que mince, en tant que valide, etc.). Et les jeunes générations se révèlent de fait plus sensibles aux questions des rapports de domination, notamment aux rapports de race : un concept comme les 'white tears' (le fait pour un Blanc de se placer en victime dans une discussion sur le racisme, en mentionnant par exemple le racisme anti-Blancs) est de plus en plus connu, compris."

Certains films ou séries comiques, sortis il n’y a pas si longtemps, peuvent ainsi donner lieu aujourd’hui à des lectures différentes, en fonction des générations, comme en témoigne un article publié par le quotidien anglais The Independant expliquant que les Millenials jugeaient la série Friends ajoutée au catalogue Netflix comme "homophobe, transphobe, raciste et sexiste" : "De nombreux abonnés qui redécouvraient la série ont été choqués par les blagues homophobes récurrentes et l’invisibilisation des non-Blancs à l’écran. Le public d'alors était certainement moins sensibilisé, moins prompt à 'voir' ces ressorts humoristiques et à les trouver problématiques." 

Soit la conséquence d’une évolution sociétale, proche de celle des Etats-Unis, où le racisme n'est pas un sujet de comédie : Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?, s’il a cartonné sur le sol français, n’y a pas été distribué. "Les distributeurs US estimaient que le film serait jugé raciste par les spectateurs américains", assure Chloé Delaporte.


Romain LE VERN

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