Pourquoi les hommes rechignent-ils autant à faire don de leur sperme ?

Publié le 27 septembre 2018 à 11h35, mis à jour le 27 septembre 2018 à 12h29
Pourquoi les hommes rechignent-ils autant à faire don de leur sperme ?

TABOU - Le Comité consultatif national d'éthique, en même temps que l'ouverture de la PMA à toutes les femmes, s'est prononcé mardi pour "la levée de l'anonymat des futurs donneurs de sperme", sous réserve que ceux-ci soient d'accord. Une disposition qui pourrait dissuader encore un peu plus les donneurs : ils n'étaient que 255 en 2015. Mais qu'est-ce qui bloque ?

En 40 ans, le nombre de gamètes mâles produits par les testicules a diminué de moitié, selon une récente étude internationale. Un danger qui rend les hommes inégaux devant la qualité du sperme et provoque une baisse de fertilité. En théorie, venir en aide à un couple incapable de procréer, c’est faire montre d’altruisme, surtout au regard des milliers de couples devant subir d'interminables délais d'attente pour bénéficier d’un don de spermatozoïdes (chaque année, ceux qui souffrent  d'une infertilité médicale sont 3500 à s'inscrire pour bénéficier d’un don de gamètes selon les chiffres de l'Agence de la biomédecine). 

En France, ce don désintéressé (donc gratuit), comme tous les dons d’éléments du corps humain, est encadré par la loi de bioéthique. Les donneurs, qui se classent en deux catégories (les "spontanés" et les "concernés"), ont à leur disposition 24 CECOS (Centres d'Etude et de Conservation des Œufs et du Sperme). Pourtant, malgré les trois principes censés les rassurer - anonymat, gratuité, libre consentement -, les hommes recueillant les qualités pour faire un don (âgés de moins de 45 ans et en bonne santé) ne sont que quelques centaines à franchir la porte de ces banques de sperme chaque année : ils n'étaient que 255 en 2015, soit seulement +5% par rapport à 2014.

Pourquoi un chiffre aussi faible ? La question se pose, alors que le Comité consultatif national d'éthique, au risque d'augmenter la pénurie de gamètes, s'est prononcé mardi, en même temps que l'ouverture de la PMA à toutes, pour "la levée de l'anonymat des futurs donneurs de sperme", sous réserve que ceux-ci soient d'accord. 

Des griefs et des freins encore tenaces

Selon Louis Bujan, président de la fédération nationale des CECOS, "les hommes ont du mal à faire un prélèvement de sperme en général. On voit bien que c'est plus facile chez les femmes, il y a probablement une solidarité plus importante chez elles." Premier frein éventuel au don : l’épreuve du spermogramme, examen qui renvoie l'homme à la question de sa fertilité et qui peut ainsi entraîner la découverte de maladies familiales. Certains pourraient craindre qu'il ne révèle des choses qu’ils n’ont pas envie de savoir. Autre blocage possible : le désaccord de la conjointe si le donneur vit en couple. "La compagne va souvent poser des questions sur pourquoi il donne et le risque d'avoir des 'demi-frères et demi-sœurs' à droite et à gauche", nous explique  Louis Bujan. Et dans ce cas de figure, l’autre membre du couple doit également signer un consentement. 

Selon certains témoignages recueillis sur le site "Dondesspermatozoïdes.fr", la question ne se pose toutefois pas toujours : "Ma démarche de don a été provoquée par la découverte de problèmes d’infertilité dans mon entourage, avoue Frank, un donneur. Après discussion avec ma femme, j’ai donc décidé de franchir le pas afin d’aider des couples à fonder une famille." Une démarche purement altruiste donc, et concertée. Mais pas toujours aussi évidente.  

Autres griefs exposés : le risque de consanguinité, souvent pointé du doigt même si le nombre d'enfants nés d'un même donneur est limité à 10 ("un risque semblable à celui présent dans la population générale", font valoir les CECOS), le dépassement des éventuels problèmes que l'on peut avoir avec sa propre sexualité, tabou tenace s'il en est (les donneuses d’ovocytes ont une possibilité de rationalisation grâce au prélèvement chirurgical, tandis que les donneurs doivent en passer par l'onanisme) ou encore le peur que l'anonymat ne soit pas respecté. Ce dernier point est d'ailleurs LA grande peur qui ressort lorsqu'on parcourt les forums de discussion. "Quelque chose me chiffonne, avoue ainsi François. Il paraît normal aux yeux de tous que le don de sperme soit anonyme. Et pourtant, en ce moment, on ne parle que du droit aux origines pour les enfants adoptés... y'a hiatus..."

La question de l'anonymat controversée

L’histoire d’Arthur Kermalvezen a constitué un précédent pour les donneurs qui souhaitent préserver leur anonymat. Né d’une insémination artificielle en 1982, cet agent commercial a pu retrouver l’identité de son père biologique grâce à un test génétique à 99 dollars effectué par une société américaine, doublé d’une enquête généalogique. Une première en France, et pour cause : l’anonymat des donneurs de sperme et d’ovocytes est garanti par la loi, qui interdit ce genre de démarche. Dans l'Hexagone, hors de l'injonction d'un juge dans le cadre d'une recherche en paternité, la réalisation d'un test génétique, même effectué à l'étranger, est possiblement punie de 15.000 euros d'amende et d'un an de prison.

Comment lever les obstacles au don de spermatozoïdes ? Faut-il envisager une rétribution financière, voire carrément la participation à un jeu comme en Allemagne, où l’émission de téléréalité diffusée Sperm race" (soit littéralement "la course des spermatozoïdes") offrait au lauréat une Porsche (si, si) il y a quelques années  ? Nul besoin de tomber dans cet excès. 

C'est un don de gamète, pas un don d'enfant
Louis Bujan, président de la fédération nationale des CECOS

L'Agence de Biomédecine, qui indique à LCI "manquer surtout d'ovocytes", cherche de son côté à rassurer les futurs donneurs en rappelant cette évidence à travers une campagne de sensibilisation : "C'est un don de cellules, pas un don d'enfant". "L'argument qui inciterait plus d'hommes à donner leurs spermatozoïdes, développe Louis Bujean, serait de dire aux sceptiques qu'il existe de réels problèmes de fertilité et que le don, qui reste un don de vie, va aider un couple en difficulté. Il va permettre à des hommes et des femmes de connaître la joie d'avoir une famille. Bref, c'est un don de gamète, pas un don d'enfant." Le président de la fédération nationale des CECOS rappelle par ailleurs que selon une enquête menée en début d'année sur plus 400 hommes et femmes candidats au don, 82% sont pour le maintien de l'anonymat, qui permet "aux gamètes de circuler librement, et donc aux couples qui en bénéficient de s'approprier la parentalité". 

En d'autres termes, donner, c'est être donneur mais pas être parent, celui qui va éduquer l'enfant à venir. Et il est impossible, en France, de découvrir comme dans le film Starbuck (Ken Scott, 2011) qu'on est le géniteur anonyme de 533 enfants déterminés à nous retrouver.


Romain LE VERN

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