Meurtres, inceste et narcissisme : la folie "Game of Thrones" décryptée par un psy

Publié le 13 mai 2019 à 11h09

Source : Sujet TF1 Info

SÉRIE MONSTRE - Des familles rivalisent pour le contrôle du Trône de Fer dans les sept royaumes de Westeros, alors que d'anciennes créatures mythiques oubliées reviennent pour faire des ravages. L'histoire haletante de "Game of Thrones" a rendu des millions de fans accros à travers le monde. Quels sont les ressorts de ce succès phénoménal ? Un psychologue et un fan répondent.

Les fans de Game of Thrones sont prêts à tout pour éviter le moindre spoiler. La huitième saison de la série, dont le premier épisode a été diffusé dans la nuit de ce dimanche 14 avril en France (sur la chaîne OCS) et aux Etats-Unis (sur HBO), promet de relancer comme jamais les enjeux de cette grande compétition pour le trône de fer, digne d'une tragédie shakespearienne avec ses histoires d’amour impossibles et ses morts qui traumatisent. 

Yohan, 29 ans, est devenu accro par l’entremise de sa petite amie : "J’avais évité les spoilers quand je ne regardais pas, mais j’ai redoublé de vigilance quand je m’y suis vraiment mis. Pas fan de série à l’univers fantastico-médiéval, j’ai accroché à ce mélange entre le Seigneur des Anneaux et Les rois maudits, avec de la politique, de la guerre, du sexe, de la violence et de la sorcellerie." De quoi provoquer une véritable dépendance. "Lors de la dernière saison, j’en suis venu à me caler sur le rythme de diffusion des épisodes aux États-Unis. Je les regardais en simultané, au beau milieu de la nuit, à trois heures du matin, pour ne pas me faire "spoiler" le lendemain matin sur les réseaux sociaux. Je vais d’ailleurs reproduire le même schéma pour l’ultime saison : j’ai déjà pris mes dispositions !"

Egalement fan de Game of Thrones, le psychologue Samuel Dock comprend l’état d’excitation dans lequel plonge cette série, à ses yeux "passionnante en premier lieu sur un plan social" : "Game of Thrones interroge clairement l’hyper-compétitivité néo-libérale, et donc l'exigence de réussite, de performance", nous explique-t-il. Les personnages se déchirent alors même qu’'"une menace arrive et peut leur tomber dessus, à l’aune de ces Marcheurs blancs représentant la menace écologique."

Œdipe partout

"Ce qui est marquant, poursuit Samuel Dock, c’est que chaque personnage est confronté à une problématique œdipienne. Par exemple, Tyrion Lannister tue son père et commet un inceste du troisième type - il couche avec l’esclave Shae qui avait également couché avec son père. Cersei Lannister, elle, transgresse l’interdit de l’inceste en couchant avec son frère, Jaime Lannister. Jon Snow couche, lui, avec sa tante (Daenerys Targaryen), mais là c’est une transgression involontaire, non sue au préalable. On peut aussi citer l'infâme Joffrey Baratheon, qui est un produit de l’inceste et qui prouve que, lorsque celui-ci est franchi, ça ne mène qu’à l’horreur."

Une odeur de souffre qui n'est pas la seule raison du succès de Game of Thrones. La transmission et l'hérédité, autres problématiques traitées avec une dimension épique par la série, passionnent aussi les foules : "Chez chaque personnage, il y a la volonté de s’inscrire dans une filiation", note le psychologue. "Ce n’est pas seulement un trône qui est visé mais une place dans l’Histoire. Jon Snow incarne la figure du bâtard qui se bat pour reconquérir une place, un nom, même s’il abdique pour honorer Daenerys Targaryen. Il y a aussi cette quête de vérité sur soi dans le cas de Daenerys, qui a été éjectée du royaume, qui a dû fuir et s’exiler et qui cherche maintenant à reconquérir son histoire."

"Cersei Lannister incarne la méchante qui a cette rage de l’assignation à une place", relève encore Samuel Dock. "Quand elle était petite, une sorcière lui a fait une sorte de présage en lui disant que ses enfants mourraient tous et qu’elle subirait une infamie terrible. Le fait d’avoir écouté ce présage va la conduire à le réaliser. C'est exactement comme le père d’Œdipe qui a voulu se protéger de ce qui lui avait prédit la Pythie, à savoir que son fils le tuerait. Du coup, il l’a mis loin de lui et Œdipe a tué son père sans savoir que c’était son père en le croisant sur le chemin."

Les mythes fondateurs remis au goût du jour

Là où bon nombre de séries peinent à passer le cap de la première saison, Game of Thrones en a enchaîné huit, récoltant des moissons de récompenses et des tressages de lauriers. Qu'est-ce qui explique une telle longévité ?  "C’est une série qui joue énormément avec le spectateur", répond Yohan. "Les scénaristes agitent quelque chose d’un côté pour mieux surprendre de l’autre. On est constamment dans l’inconnu."

"Game of Thrones possède, je crois, ce qui manque aux autres séries actuelles, à savoir un retour à une narration œdipienne faisant écho aux grands mythes fondateurs qui structurent la société", estime de son côté le psychologue. "Il y a un retour à une dramaturgie dans un monde où on ne sait plus se raconter. Cette série est très actuelle par ce qu’elle confronte au narcissisme contemporain – cette compétitivité, cette lutte de pouvoir faisant écho aux personnes de la société post-moderne – et, en même temps, d’un autre côté, c’est œdipien parce qu’il y a cette lutte fratricide pour le père, pour la mère, pour le royaume, pour reconquérir une histoire." 

Au final donc, tout le monde se sent touché par ce sentiment d’exclusion œdipien dont nous avons tous fait l’expérience à une certaine échelle, à savoir renoncer au père et à la mère. "Cette série célèbre les tabous fondateurs, poursuit Samuel Dock, mais comme c’est de l’autre côté de l’écran, ce n’est plus dans notre psyché de spectateur, et ça soulage une part d’angoisse". Vous avez dit catharsis ? 


Romain LE VERN

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