"Venom" sort au cinéma aujourd'hui : mais pourquoi les figures du mal fascinent-elles autant nos enfants ?

Publié le 10 octobre 2018 à 9h05, mis à jour le 10 octobre 2018 à 11h45
"Venom" sort au cinéma aujourd'hui : mais pourquoi les figures du mal fascinent-elles autant nos enfants ?

BADASS - Venom, super-méchant de l'univers Spider-man ayant droit à son film (en salles ce mercredi), rejoint Voldemort ou Dark Vador dans la catégorie des personnages de fiction incarnant le côté obscur de la force. Loin des super-héros vertueux, ils exercent une fascination réelle chez les enfants, trouvant à travers eux une forme d'exutoire.

C’est le super-méchant dont tous les enfants parlent dans la cour de recré : Venom qui, pour faire court, s'avère l'ennemi juré de Spider-man, soit un "symbiote", une créature extra-terrestre qui prend possession des êtres humains - en l’occurrence ici, dans le film éponyme en salles ce mercredi, un journaliste joué par Tom Hardy. 

Il a beau être négatif et destructeur, les enfants l'adorent. En France comme aux Etats-Unis, où le super-méchant s'est hissé en tête du box-office pour son premier week-end d'exploitation. L’acteur Tom Hardy a d’ailleurs révélé qu'une des raisons pour lesquelles il a accepté ce rôle "badass" vient du fait que son fils, 10 ans aujourd'hui, était depuis longtemps un fan hardcore du "Nemesis" créé en 1984 et célébré en tant qu'antihéros superstar au cours des années 90. On ne sera donc guère surpris de lire Avi Arad, producteur de l'adaptation cinématographique, affirmer que le film Venom s’adresse avant tout aux enfants et ce en dépit de la toxicité et de la noirceur du personnage : "Les enfants aiment Venom, confie-t-il au magazine "Vulture". C’est quelque chose qui leur parle, cette sensibilité d’antihéros." Mais pourquoi, justement, cela leur parle à ce point ?

Attraction mortifère

Geneviève Djénati, psychologue clinicienne et psychothérapeute, voit en cet homme métamorphosé en super-méchant par un symbiote extra-terrestre "une transformation corporelle inévitable" : "La problématique que revêt Venom est celle de la transformation du corps, de la personnalité et de la perception de soi. Des questions bien présentes à l'âge de cinq-six ans au moment de l’Œdipe, qui se rejouent plus tard au moment de l’adolescence avec la sexualité en plus. Comme on peut le voir dans la bande-annonce, le personnage de Venom s’avère très ambivalent : il veut lutter contre le mal tout en étant possédé par le mal et cela demande à faire des choix, à choisir son camp entre le bien et le mal et à choisir sa bande d'amis." 

Selon la psychologue, l'une des raisons pour laquelle Venom fascine les enfants vient aussi du look : "Venom a une tête de dinosaure, prolongeant un peu la fascination que les enfants éprouvent pour les dinosaures d'autant que ce personnage questionne l’origine, d’où vient cette créature extra-terrestre. Les forces du mal qui viennent d'ailleurs vont être plus fortes que celui qui y résiste. Symboliquement, c’est l’attraction du mal, soit quelque chose de mortifère." D’où un divertissement cherchant à tutoyer la complexité et la noirceur, qui s’adresse certes aux adolescents mais aussi aux enfants, vivant de concert les mêmes turpitudes existentielles.

Transgression autorisée

Venom n’est pas un cas isolé des figures maléfiques fascinant les enfants. Voldemort dans Harry Potter, le Joker dans Batman et Dark Vador dans Star Wars ont, eux aussi, leurs aficionados. Et l'on ne parle pas d'autres préoccupations comme les vampires sanguinolents, les monstres gluants, les créatures dans le dessin-animé Scoubidou ou encore, niveau jouets, les Skylanders et autres poupées Monster High, peuplant l'imaginaire de nos têtes blondes. Mais d'où vient cet amour pour le côté obscur de la force ? "Quel que soit l’âge, ce qui fait peur fascine, poursuit Geneviève Djénati. Prenez les coups de feu quand la mère meurt dans Bambi et qui créent la stupéfaction. J'ai connu des enfants qui se passaient la mort de la mère en boucle parce qu’ils avaient besoin d'une familiarisation avec cette émotion forte." 

Personne n’aime avoir peur mais éprouver ce sentiment dans un cadre rassurant permet d’apprécier les moments où tout va bien.
Jean-Luc Aubert, psychologue spécialiste de l'enfant

Pour le psychologue Jean-Luc Aubert, l’attrait pour les personnages un peu sombres dans les films permet aux enfants de s’identifier à des personnages transgressifs, aux antipodes du réel et du quotidien regorgeant d’interdits et de frustrations : "Les enfants sont élevés dans un cadre très structuré, très normé, duquel ils ne doivent pas dépasser certaines limites, confirme-t-il à LCI. Alors que dans un film, tout leur est permis. C’est de la transgression autorisée qui sert de défouloir et leur permet d’éprouver des sensations différentes. Personne n’aime avoir peur mais éprouver ce sentiment dans un cadre rassurant permet d’apprécier les moments où tout va bien." Et la réalité de devenir, grâce à ces personnages sombres comme Venom, un soulagement.

Vertu cathartique

S’identifier au super-méchant au cinéma peut s'avérer salvateur pour un enfant attaqué par des "méchants" dans la cour de récré et qui ne sait pas se défendre : "Qu'il s'agisse d'un super-méchant ou d'un super-héros, voir un personnage spectaculaire sur un écran de cinéma rend l’enfant moins seul, le "désangoisse", confirme Geneviève Djénati à LCI. Quelqu’un d’autre révèle ses propres angoisses sur grand écran et alors il se sent moins seul. Dans le cadre d’un divertissement, c'est cathartique : l’enfant se familiarise avec la possibilité de s’en sortir. Et il en résulte une notion de courage, aussi, qui lui est favorable : si on n’a pas peur et s’il n’y a pas d’obstacle, alors il n’y a pas de courage. Aussi, après un film comme Venom, il faut solliciter l'enfant, ne pas hésiter à le questionner et lui demander par exemple ce qu'il a ressenti en étant dans la peau de quelqu’un de mauvais".

"C’est aussi une soupape de sécurité psychique qui permet de s’évader, le temps d’un film, poursuit Jean-Luc Aubert. Certains jeunes patients qui me disent avoir peur des monstres; moi, je leur réponds : "oui, ils existent mais dans les livres, dans les films uniquement". Et ces peurs sont vitales, salvatrices pour mieux accepter les interdits et les frustrations du quotidien." C'est paradoxal mais vrai : les personnages préférant le mal à la vertu au cinéma sont donc bons pour la santé. 


Romain LE VERN

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