IDENTITÉ MORCELÉE - Les personnes souffrant de "dysmorphophobie", à l'image de la chanteuse Cœur de pirate qui a récemment révélé en être atteinte, ont une image déformée d'elles-mêmes, les persuadant d'être monstrueuses. Un trouble psy, souvent mal compris par l'entourage de celle ou celui qui en est victime, qui peut empoisonner l'existence.
Si Barbie se regarde dans la glace et voit dans son reflet Elephant Man, ne cherchez plus : elle souffre de "dysmorphophobie" (ou "dysmorphobie"), ce trouble intime à cause duquel les complexes physiques virent à l’obsession, et qui pousse ceux qui en souffrent - les études oscillent entre 2% et 13% de la population générale - à avoir une perception faussée de leur corps.
C’est le cas de la chanteuse Cœur de Pirate qui, dans un message posté sur Instagram, a récemment expliqué pâtir de ce trouble psy et qui, pour s’en prémunir, a conseillé de prendre ses distances avec les réseaux sociaux, reflet potentiellement ingrat et déformant de ce que l'on est dans la réalité.
Et elle n'est pas la seule star à parler ouvertement de la dysmorphophobie. Lili Reinhardt, qui joue Betty Cooper dans la série Riverdale, a récemment confessé y être elle aussi sujette, suscitant l'ironie des impitoyables "haters" sous pseudo, trouvant "délirant" qu'elle puisse se plaindre. Or, les personnes atteintes de dysmorphophobie sont convaincues d'être difformes et elles en souffrent : "Considérer que les femmes correspondant aux diktats de la beauté n’ont pas le droit d’être en mal-être, c’est aussi du body shaming", avait-elle rétorqué, à raison. Pas juste un caprice de star ou un quelconque excès de vanité, juste un réel désespoir dont Kafka donnait une parfaite illustration in La métamorphose : "En se réveillant un matin après des rêves agités, Gregor Samsa se retrouva, dans son lit, métamorphosé en un monstrueux insecte."
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Mal invisible pour les autres
Selon Jean Tignol, psychiatre auteur de l'ouvrage Les Défauts physiques et imaginaires aux Editions Odile Jacob, la dismorphophobie est un trouble qui "persuade [ceux qui en souffrent] d'avoir un ou plusieurs défaut(s) physique(s) en vérité inexistants ou minimes". Un défaut aux allures de trompe-l’œil qui préoccupe au point de devenir le centre d'une vie : "Parmi mes patients, j’ai une femme convaincue d’avoir un nez terrible et qui, du coup, se met dans une position précise quand elle s'adresse à vous, raconte à LCI la psychologue clinicienne Laurie Hawkes. Elle pense ressembler à un tableau de Picasso alors qu'en réalité, son nez est parfait."
Pour la plupart des gens, la dysmorphophobie reste incompréhensible. Tout simplement parce qu’il est très rare que cela porte sur un vrai problème.
Laurie Hawkes, psychologue
Alors, comment expliquer que l'on puisse s'auto-flageller avec ce mal imaginaire ? "Dans son cas de figure, reprend Laurie Hawkes à propos de sa patiente, c'est comme si, lorsqu'elle était bébé, elle avait intégré très tôt dans son être le plus profond que quelque chose clochait sur ce bout du corps. J'ai connu un autre patient qui, lui, était convaincu d’être trop efféminé, de ne pas avoir la bonne démarche virile et qui voulait absolument transformer son corps... alors qu'il était parfaitement normal d'apparence. Bien sûr, tout le monde peut garder des séquelles de brimades dans la cour de récréation. Mais lui, il avait vraiment l’impression que l’on se moquait toujours de lui. En fait, il avait grandi dans une famille où les filles avaient été bien traitées et il apparaissait que sa mère ne savait pas composer avec le seul garçon. Elle ne l’a pas transformé en fille mais elle l’a inconsciemment détesté d’'être garçon'. Alors sans doute qu'une partie de lui essayait de se vivre comme fille alors que le reste de lui voulait juste être un homme."
Selon la psychologue, qui souligne que "la frontière entre complexe et dysmorphophobie demeure floue", ce trouble handicapant de l'apparence apparaît souvent pendant l'adolescence, particulièrement chez les filles, "parce qu’on change de corps, qu’on est plus soucieux de séduire les autres" .
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Miroir déformant
Ne pas croire que la chirurgie esthétique soit la clé pour calmer les dysmorphophobiques. Si elle peut "encourager à corriger un défaut", elle se révèle très souvent un leurre pour eux : "Même s’il se faisait opérer d’un nez jugé disgracieux, le dismorphophobique garderait la conviction qu'il ne va toujours pas, ou alors il porterait son obsession sur une autre partie du corps, assure la psychologue. C’est le même fonctionnement psy qu’avec les anorexiques qui, lorsqu'ils se regardent dans le miroir, voient du gras partout alors que ce sont des squelettes ambulants. Leur regard est complètement déformé et ils l’attribuent aussi aux autres, persuadés que ces derniers les voient tels qu’ils s’imaginent. Pour la plupart des gens, la dysmorphophobie reste incompréhensible. Tout simplement parce qu’il est très rare que cela porte sur un vrai problème."
Mais comment lutter contre ce trouble ? Par des thérapies comportementales et cognitives et des traitements médicamenteux, comme on peut le lire un peu partout ? Pas simple du tout, d'autant que les causes restent mal connues, mystérieuses, propres à chaque individu. Selon la psychologue, il n'existe pas de "remède miracle" mais un espoir : "Si les gens arrivent à fouiller dans cette faille archaïque, à comprendre l'origine de ce mal-être, le trouble peut se résoudre et la plaie se résorber, mais c'est très difficile et éprouvant". Quelque chose à voir avec l'amour de soi, aussi ? Oui, en partie. De la nécessité sans doute de rappeler l'importance du regard des parents sur leurs enfants pour que ces derniers s'acceptent tels qu'ils sont. Qu'ils s'aiment avec les défauts qu'ils aimeraient gommer sur une photo et qui, pourtant, les rendent uniques.