20 ans du Viagra : miraculeuse ou détournée, pourquoi la petite pilule bleue nous excite toujours

par Antoine RONDEL
Publié le 30 mars 2018 à 10h51, mis à jour le 30 mars 2018 à 12h51
20 ans du Viagra : miraculeuse ou détournée, pourquoi la petite pilule bleue nous excite toujours
Source : Sipa

ALORS, HEUREUX ? - Le Viagra a été commencé à être commercialisé début avril 1998 aux Etats-Unis. Depuis, le médicament a rouvert la porte de la sexualité à des hommes qui en avaient été privés par l'âge ou par des soucis médicaux. Formidable outil pour les uns, "belle invention gâchée" pour d'autres, la pilule bleue continue en tout cas de faire parler d'elle... à commencer par ses consommateurs. A l'occasion de ses 20 ans, LCI a recueilli le témoignage de plusieurs d'entre eux.

"En juillet 2016, mon époux a eu un accident qui lui a valu une tétraparésie (une difficulté à contracter les muscles, liée à un dysfonctionnement neurologique, ndlr). Pendant quelques mois, il n'avait plus aucune érection. Le médecin lui a prescrit du Cialis et notre couple a retrouvé une vie normale et pleine d'amour !" Il y a plus de 20 ans, ce témoignage d'Emmanuelle n'aurait pas existé. Et pour cause, c'est le mardi 27 mars 1998 que la Food and drug administration, l'agence du médicament américaine, avait validé la commercialisation - effective début avril de la même année - du Viagra, cette petite pilule bleue remédiant aux problèmes d'érection. 

Une petite surprise - sa molécule, le citrate de sildénafil, était au départ destinée à soigner les angines de poitrine - devenue, avec les concurrents qui lui ont emboîté le pas, le symbole du retour d'une vie sexuelle pour les couples frappés par une certaine limite d'âge ou ayant traversé des maladies. "En général, les patients qui viennent me voir ont entre quarante à soixante ans, témoigne Claire Alquier, sexologue et thérapeute à Paris. C'est là que surviennent les premières difficultés, souvent couplées avec des soucis professionnels." Et, comme bon nombre de ses collègues, Claire Alquier est rapidement confrontée, au début de ses rendez-vous, à la question de l'efficacité de la "pilule-miracle". Qu'elle n'écarte pas forcément : "Quand on a été frappé par la maladie, qu'on est dans un processus thérapeutique, c'est une bonne solution. Mais elle doit rester temporaire." D'autant, ajoute-t-elle, que "la sexualité ne passe pas forcément par la pénétration".

"Il y a un petit côté toxico avec la prise, mais on s'y fait"

Derrière la consommation de ces stimulants se dessinent de multiples usages, qui ne font pas forcément l'unanimité. Très critique sur le procédé qui a permis sa mise en vente, le docteur Jacques Waynberg, de l'institut de sexologie, n'a pas changé d'avis, 20 ans après : "Ça répondu à un fantasme de notre société très mal sexuée : pas asexuée, pas hypersexuée, mais qui ne sait pas quoi faire de son instinct sexuel, en renforçant le mythe d'une virilité anatomique très présente, comme si les hommes n'existaient que parce qu'ils affichaient une rigidité pénienne très présente."

Alex, 33 ans, raconte ainsi à LCI comment, pour maintenir ses "performances sexuelles", il ressent le besoin, depuis cinq ou six ans, de consommer du Viagra - puis du Kamagra, un de ses plus célèbres dérivés, disponible en ligne - avant chaque rapport sexuel, alors qu'il ne souffrait pas de dysfonctionnement érectile : "Un ami m'en a donné dans un club libertin, des endroits où il faut savoir être performant pendant six heures de suite si tu veux t'amuser. Il m'a donné un cachet en me disant que j'allais m'amuser et je suis tombé accro". S'il assure toujours prendre du plaisir - "là-dessus, pas de problème, heureusement" -, il admet une addiction psychologique aux pilules, tout comme au sexe : "On est dans une société de consommation, c'est bon pour tout, y compris, tristement, pour ma sexualité." 

Cette posologie particulière et récréative est partagée par David qui, constatant être un peu "mou de l'entrejambe", s'est mis au Cialis : "Une demi-heure après l'absorption d'un demi-cachet, à la moindre pensée érotico-sexuelle, je me suis mis à bander comme un ouf !" Un atout considérable pour ce quadragénaire soucieux d'être "un amant à 1000%" et "de faire jouir (s)es partenaires autant de fois qu'elles en avaient envie". Plus positif qu'Alex, David se vante de recevoir de ses partenaires des "SMS qui ont gonflé [son] ego de petit mâle primitif", tout en reconnaissant "un petit côté toxico avec la prise, mais on s'y fait".

En quoi consiste le Viagra pour femmes ?Source : JT 20h Semaine
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Le Viagra a souligné "la fragilité masculine"

Mais résumer le Viagra et ses successeurs à un simple stimulateur sexuel serait passer à côté de ses autres effets. Le Dr Pierre Costa, urologue au CHU de Nîmes, nous rappelle ainsi comment le médicament a aussi eu un rôle indirect de lanceur d'alerte : les pilules, disponibles sur ordonnance, ont amené chez leur médecin des hommes qui n'y seraient pas forcément allés auparavant. La profession "s'est alors rendu compte qu'on ne pouvait pas redonner une sexualité à un homme sans vérifier son état cardiaque", raconte Pierre Costa. "Ça a permis de comprendre que [...] le fait de perdre son érection annonçait un accident cardio-vasculaire grave dans les trois à cinq ans : les coronaires sont un peu bouchés, les artères, les carotides aussi...  Aujourd'hui, les généralistes s'en servent pour prendre en charge leurs patients." 

Défenseur convaincu du traitement, l'urologue, qui rappelle son efficacité, poursuit en vantant également ses effets bénéfiques sur "la vascularisation cardiaque". Surtout, il reconnaît au Viagra le mérite d'avoir souligné "la fragilité masculine" en matière de sexualité : "Nous avons une physiologie qui fait que, si on est anxieux, tout peut s'arrêter." 

Pas suffisant pour en faire un incontournable. "Il ne faut pas négliger l'importance de la parole, de l'écoute, selon Claire Alquier. L'érection seule ne manifeste pas le désir, et le désir, c'est le nerf de la guerre. Je ne suis pas sûr qu'il faille un médicament pour tout". "Quand un patient vient me voir avec un problème d'érection, renchérit Jacques Waynberg, je lui demande systématiquement : 'Qui en a besoin ?' [...] Face à ce genre de problème, il faut se demander à quoi sert la sexualité : on en a fait un simple parc de loisirs alors que c'est un espace mental extrêmement complexe, croisé par des considérations morales, esthétiques, sentimentales." Une complexité avec laquelle tout le monde sera d'accord : "Sans désir ni excitation, le Viagra ne fonctionnera pas."


Antoine RONDEL

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