"La vaccination est devenue un marqueur identitaire" : aux origines de la défiance vaccinale

Propos recueillis par A. LE GUELLEC
Publié le 27 décembre 2020 à 10h45, mis à jour le 27 décembre 2020 à 10h51

Source : JT 20h WE

INTERVIEW - Une majorité de Français n'a, pour l'heure, pas l'intention de se faire vacciner contre le Covid-19. Si elle ne date pas d'aujourd'hui, cette méfiance envers la vaccination dans l'Hexagone est tout de même récente. On en parle avec le chercheur Jocelyn Raude.

Au pays de Pasteur, le scepticisme face aux vaccins reste élevé : une majorité de Français (56%) n'envisageaient pas de se faire vacciner contre le Covid-19, selon un sondage BVA publié dimanche par le JDD et réalisé du 11 au 14 décembre. Ce peu d'enthousiasme, alors que la campagne de vaccination débute en France et en Europe à compter du 27 décembre,  n'a toutefois rien d'étonnant si l'on se réfère aux études antérieures à la crise sanitaire, qui placent le pays parmi ceux où la défiance est la plus forte en Europe occidentale.

Pour autant, il n'en a pas toujours été ainsi. Et le basculement est même relativement récent. Jocelyn Raude, chercheur en psychologie sociale à l’École des hautes études en santé publique (EHESS) et spécialiste en prévention et maladies infectieuses, revient pour LCI sur les origines de ce phénomène très français.  

Qu'est-ce qui caractérise cette hésitation française envers la vaccination ?

Pendant très longtemps, la vaccination a fait l'objet d'un consensus pour des raisons épidémiologiques, historiques et symboliques. Le fait que la vaccination moderne ait été développée par des Français a été à l'origine d'un lien très fort à la vaccination. Cela a d'ailleurs été source de fierté, de gloire nationale, et même utilisée en géopolitique comme un instrument de soft power, comme l'on dirait aujourd'hui.

Lorsque se mettent en place les grandes campagnes de vaccination, on voit ainsi éradiquer des maladies avec des taux de mortalité importants comme la polio ou la rougeole. Mais les jeunes générations n'ont pas la mémoire de ces maladies infectieuses qui ont disparu. Et ce n'est donc pas non plus un hasard si la critique vaccinale ressurgit aujourd'hui en France. C'est finalement un phénomène historique lié au fait que la menace avait disparu de l'agenda et de notre conscience.

Toutes les études internationales montrent que la France est atypique en comparaison aux autres pays où il y a finalement assez peu de doutes face aux vaccins. Elles montrent d'abord que les Français n'ont pas confiance dans la sécurité vaccinale. Mais pas non plus dans les institutions médicales contrairement aux autres pays européens, où la confiance de la population est très élevée. Ceci s'explique par des caractéristiques sociales et historiques.

Justement quand et comment s'est amorcé le basculement ? 

La première controverse intervient à la fin des années 90 avec la campagne de vaccination contre l'Hépatite B, concomitante à l'apparition de cas de sclérose en plaque que des associations de victimes vont attribuer au vaccin. Les études n'ont pas montré de lien de cause à effet mais cela va susciter une méfiance sur ce vaccin en particulier à l'époque. Pas sur la vaccination en général, en revanche, puisqu'en 2000, 90% des Français sont encore favorables au vaccin, et seuls 10% y sont réticents. Ce taux ne bouge pas entre 2000 et 2005. Une deuxième controverse concernant le lien potentiel entre autisme et vaccination anti-rougeole/oreillons/rubéole (ROR) va produire ses effets en France, dix ans environ après la publication des travaux d'un ancien chirurgien britannique Andrew Wakefield. La publication scientifique présentant ces résultats s'était pourtant rétractée, car le lien s’est révélé faux.

Là où l'on va observer un réel basculement, c'est en 2009 lors de l’épidémie de grippe A(H1N1). Des laboratoires sont mobilisés en urgence pour créer des vaccins dans des délais assez incroyables mais la vaccination est un échec dans la plupart des pays du monde. Moins de 10% de personnes sont vaccinées et une grande majorité de ces doses commandées restera inutilisée.

La gestion de cette campagne va faire émerger des critiques d'ordre économique d'abord et très vite va émerger la question  des conflits d'intérêts dans le débat public. C'est une première car ces questions étaient réservées jusque-là à la littérature médicale. Il ne faut pas oublier que 2009-2010, c'est le début de l'âge d'or des réseaux sociaux et la nébuleuse conspirationniste va en profiter pour se structurer autour de la vaccination. Un discours que l'on retrouve aujourd'hui et qui décrit les vaccins comme des armes biologiques ou encore des outils d'asservissement.  Le scandale qui va venir fermer cette boucle, bien qu'il n'ait rien à voir avec la vaccination, c'est celui du Médiator. Il va contribuer à modifier la représentation vis-à-vis des produits pharmaceutiques en général. 

Où en sommes-nous aujourd'hui ? 

Ces évènements successifs ont entrainé une crise de défiance majeure sur la vaccination puisque le taux d'hésitation vaccinale en France passe à l'époque de 10% à 40%. Et ces effets sont très visibles sur la couverture vaccinale contre la grippe qui baisse d'un tiers l'année 2010-2011. La dynamique va se poursuivre plusieurs années et c'est en 2016 que cette défiance va commencer à refluer pour tomber à 20%. Et bizarrement, le passage à onze vaccins obligatoires en 2018 semble avoir apaisé les débats puisque le taux n'a pas vraiment évolué.

Pour ce qui concerne le vaccin contre le Covid, il semblait probable qu’il y aurait un regain d’intérêt pour la vaccination mais c’est l’inverse qui s’est produit. Le taux d'hésitation que l'on observe est toutefois cohérent avec la tendance des dernières années, c’est-à-dire que la plupart des gens sont réticents. Ceci dit, il est important de rappeler que derrière l'hésitation vaccinale, il n'y a pas forcément un "antivax". Pour rappel, l’hésitation vaccinale est un concept que l'OMS a introduit en 2010 pour remplacer le terme "réticence". Elle désigne une très large gamme d'attitudes qui se situent dans l’intervalle allant de l’acceptation sans condition de la vaccination et son rejet complet. Entre ces deux extrêmes, la réticence à la vaccination peut être plus ou moins forte.

À noter enfin, que l'on s'est aperçu que la vaccination était en train devenir une espèce de marqueur identitaire, "pour ou contre le système actuel", avec notamment chez les personnes dépolitisées le plus haut niveau de réticente vaccinale. Donc, l'inquiétude que l'on pourrait avoir aujourd'hui c'est que la vaccination devienne une espèce de référendum pour ou contre le gouvernement en place.


Propos recueillis par A. LE GUELLEC

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