La France a-t-elle les moyens d'augmenter ses capacités d'accueil en réanimation ?

Publié le 29 octobre 2020 à 7h00
Le nombre de lits en réanimation est limité des moyens humains limités.
Le nombre de lits en réanimation est limité des moyens humains limités. - Source : FREDERICK FLORIN / AFP

AJUSTEMENTS - L'afflux continu de patients en réanimation fait craindre une saturation dans les centres hospitaliers. Si les capacités peuvent être étendues, comme lors de la première vague, le système va rapidement se heurter à des limites, humaines en particulier.

En cette fin octobre, la question ne semble plus de savoir si une deuxième vague du Covid-19 va avoir lieu, mais plutôt se déterminer l'ampleur qui sera la sienne. La hausse des contaminations et des décès s'accompagne aujourd'hui d'une augmentation des admissions en réanimation, faisant craindre une saturation rapide du système hospitalier à mesure que l'épidémie gagne du terrain. 

Une inquiétude qui se traduit chez les professionnels de santé et les autorités, mais également au sein de la population. Sur les réseaux sociaux, des internautes craignent par exemple que les capacités d'accueil en réanimation se révèlent insuffisantes pour gérer correctement l'afflux de patients atteints de la maladie. Partagé plus de 3000 fois en une semaine, un message Facebook indique par exemple que la France compte "5000 lits de réanimation", soit "un lit pour 13.400 personnes". Et d'en conclure que nous aurons "bientôt plus de chance de gagner au loto" que de pouvoir être soignés. 

De combien de lits dispose-t-on réellement ?

Le chiffre de 5000 lits, souvent évoqué, est-il toujours d'actualité ? Sollicitée par LCI, la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) apporte des éléments de réponse. Rattachée au ministère de la Santé, elle indique que "si en 2018-19, on comptait en France entre 5000 et 5100 lits de réanimation, ce nombre s’élève désormais à 5870". Il a par ailleurs "vocation à évoluer en fonction de la situation". Lors de son allocution télévisée mercredi soir, Emmanuel Macron a d'ailleurs annoncé que les capacités en soins intensifs seraient portées "à 10.000 lits" bien que cela ne soit, selon lui, "pas la bonne réponse".

Auditionné mi octobre au Sénat dans le cadre de la "commission d'enquête pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies", le président de la Société de réanimation de langue française Éric Maury a fourni des données concordantes. "Nous avons un peu plus de 7 lits pour 100.000 habitants, soit environ 5000 lits de réanimation", a-t-il noté. "Ce nombre oscille entre 5000 et 5700, car 500 ou 600 lits sont fermés faute de personnels soignants. Ceci ne nous place pas dans le peloton de tête par rapport à certains de nos voisins."

La DGOS explique qu'avant la crise, "le nombre de lits de réanimation est resté stable ces dernières années (aux alentours de 5000 lits installés recensés chaque 31 décembre) sans que notre système de santé ne souffre d’une saturation, en dehors d’épisodes ponctuels". 

Un nombre revu à la hausse lors de la première vague ?

Si les chiffres transmis par le ministère se basent sur une activité standard dans les hôpitaux, il est évident que le Covid-19 a obligé à procéder à des aménagements. Lors de la première vague, des opérations peu urgentes ont ainsi été déprogrammées, repoussées à plus tard. De quoi libérer des capacités en réanimation afin d'accueillir davantage de patients atteints de formes graves du virus. Pour autant, cela n'a pas été suffisant. "À partir de mars, notre système de santé a pu passer en l’espace d’un mois d’un peu plus de 5000 lits de réanimation installés à plus de 10.000 installés au début du mois d’avril", souligne la DGOS. Soit "au 8 avril environ 10.500 lits installés, au 15 avril environ 10.700, au 15 mai environ 10.100", et "au 15 juin environ 8.300"

"La baisse drastique des admissions, notamment liée à la traumatologie, conséquence du confinement, a permis de passer ce cap", a lancé devant le Sénat Marc Leone, chef du service d'anesthésie-réanimation des hôpitaux universitaires de Marseille. "La déprogrammation chirurgicale massive [...] a libéré des professionnels, notamment des médecins anesthésistes-réanimateurs et des infirmières anesthésistes diplômées d'État", a-t-il ajouté. "Devant l'afflux de patients Covid-19, des réanimations éphémères ont été créées [...] permettant d'augmenter le nombre de lits de 95 % en quelques jours."

Quelles capacités pour la deuxième vague ?

Le ministre de la Santé a expliqué à plusieurs reprises que la France se préparait à une potentielle deuxième vague. "Si la situation le nécessite, 12.000 lits de réanimation pourront être disponibles", a-t-il par exemple déclaré, laissant entendre que les capacités ordinaires pourraient être plus que doublées. 

Une position qui rejoint logiquement celle de la DGOS. Cette dernière précise à LCI qu'un "plan de montée en charge des capacités de réanimation a été préparé au niveau national. Conformément à la stratégie de préparation mise en place à l’été, une capacité de réanimation supérieure à la capacité d’avant crise a été déployée, avec un plan de montée en charge suivant 2 paliers." Le premier palier est "constitué d’environ 1800 lits supplémentaires, pour atteindre près de 7700 lits", ceux-ci "peuvent être ouverts sous 15 jours sans besoin d’équipement ou de renfort humain supplémentaires". Pour autant, il nécessitera "d’importantes réorganisations dans les hôpitaux et de nombreuses reprogrammations."

Le second palier, quant à lui porte sur "l’ouverture de 2.700 lits complémentaires, pour atteindre près de 10.500 lits, sous réserve de renforts humains suffisants". Ce à quoi la DGOS ajoute que "les retours d’expérience réalisés cet été indiquent que la capacité maximale en réanimation ne pourrait, en tout état de cause, excéder 12.000 lits de réanimation".

Un objectif tenable ?

Si sur la plan matériel, la situation semble aujourd'hui meilleure qu'en mars, c'est plutôt du côté des moyens humains qu'il est légitime de s'interroger pour déployer un tel dispositif. Doctorante en éthique du soin, Anne-Sophie Debue est également infirmière en médecine intensive réanimation à l'hôpital Cochin, à Paris. C'est là qu'elle a été mobilisée durant la première vague, en première ligne face à l'afflux de patients atteints du Covid-19. Devant la multiplication des cas cet automne, elle ne cache pas son inquiétude.

Pour faire tourner des unités de réanimation, insiste-t-elle, "il faut du personnel qualifié". Or c'est précisément ce qui manque aujourd'hui à ses yeux. "Par rapport à d'autres services, on utilise en réanimation beaucoup plus de technologies, qui ne s'apprennent de surcroît pas facilement." Elle déplore qu'en France, il n'existe "pas de formation spécifique pour la 'réa' : ce n'est pas abordé alors que vous durant les trois ans passés à l'institut de formation en soins infirmiers".

Dans ces services très éprouvants, le turnover est considérable : la Fédération hospitalière de France (FHF) fait ainsi remarquer que les infirmières restent en moyenne trois à quatre ans en réanimation contre sept ans dans les autres services. Peu de perspectives d'évolution de carrière, des salaires compris entre 1600 et 1800 euros en moyennes, des conditions de travail difficiles... Les justifications sont nombreuses, et il est courant de devoir procéder à la formation de nouvelles têtes, peu aguerries aux gestes spécifiques de la réanimation. Pas toujours évident puisque cet accompagnement s’ajoute à une charge de travail déjà dense et mêle des éléments théoriques aux savoirs pratiques inculqués.

Dans le meilleur des cas, glisse Anne-Sophie Debue, les blouses blanches qui arrivent en réanimation bénéficient d'un accompagnement par des collègues plus chevronnés durant "environ deux mois". Une période d'adaptation qui est réduite comme peau de chagrin quand la tension augmente dans les centres hospitaliers. "À la fin de l'été, au début de l'automne, des formations de 14 heures sur deux jours ont été dispensées afin de transmettre les éléments indispensables à connaître." En tout état de cause, "ce n'est pas possible de fournir une infirmière de réa expérimentée en trois mois, même avec le meilleur des gouvernements", tranche la soignante. 

"Il est impossible de former en très peu de temps du personnel", abonde de son côté la FHF, sollicitée par LCI. "Durant la première vague en plus, on pouvait rapatrier du personnel étant donné que l'épidémie touchait en priorité quelques régions. Là, elle affecte toute la France ! En conséquence, très peu de mouvements de personnels semblent possibles." Si des formations ont eu lieu ces derniers mois pour tenter de palier les manques à venir, "cela reste à la marge, et ne résout au fond pas le problème puisque ça reste des personnes que l'on va piocher dans d'autres services".

La DGOS n'affiche quant à elle pas de pessimisme. Elle se félicite du fait que "de nombreux établissements comme l’AP-HP ont mis en place des modules de formation accélérée à la prise en charge de patients Covid en réanimation". Ainsi, ce sont "plus de 6700 professionnels ont été formés aux gestes de réanimation depuis le printemps". Reconnaissant que "les ressources humaines constituent bien un enjeu majeur de cette montée en charge", elle complète son propos en rappelant que "la réserve sanitaire peut être mobilisée" et que les ARS peuvent "déplafonner les heures supplémentaires des professionnels". Sans oublier la sollicitation des personnels soignants qui avaient été appelés en renfort lors de la première vague. 

Une saturation à craindre ?

La FHF, comme beaucoup de responsables de santé, se montre favorable à un reconfinement. Et pour cause : s'il est difficile d'augmenter les capacités en réanimation, il apparaît central d'éviter que ces places précieuses soient surchargées. "Ce choix apparait comme l’unique solution pour réussir à soigner tous les Français, qu’ils soient atteints du Covid, de toute autre pathologie lourde ou d’accidents graves de la vie", écrit dans un communiqué la Fédération hospitalière de France. 

Comme le rappelait récemment LCI, les annonces officielles mettant en avant des taux d’occupation en réanimation dépasse les 50% ne signifie pas que la moitié des lits demeurent encore libres. Seule une partie d'entre eux est en effet dédié aux patients atteints du Covid-19, les autres étant utilisés suite à des interventions chirurgicales ou après des accidents de la route… Le (re)confinement doit entre autres permettre de concentrer ces moyens de réanimations sur les besoins engendrés par l'épidémie.

Pour les personnels soignants, les prochaines semaines vont être déterminantes. La crainte d'une saturation est en effet réelle, les capacités en réanimation n'étant - on l'a vu - pas illimitées. On peut ainsi noter qu'en cette fin octobre, l'on compte "sept fois plus de personnes hospitalisées aujourd'hui que le 17 mars", au moment du premier confinement. Un chiffre mis en avant par France Inter et qui n'incite guère à l'optimisme. "On va devant de semaines très compliquées", déplore la FHF, "et malheureusement, il sera peut-être bientôt nécessaire de faire des choix entre les patients"

Si la France est en mesure d'augmenter ses capacités d'accueil en réanimation, on constate donc en interrogeant les professionnels de santé et les autorités que ces services ne sont pas extensibles. La difficulté inhérente à la formation du personnel laisse peu de marge de manœuvre alors que la deuxième vague de l'épidémie s'amorce. Après une printemps très difficile dans les hôpitaux, la crainte d'une saturation cet automne est réelle, avec les conséquences lourdes qu'elle entrainerait pour les patients.

Vous souhaitez réagir à cet article, nous poser des questions ou nous soumettre une information qui ne vous paraît pas fiable ? N'hésitez pas à nous écrire à l'adresse lesverificateurs@tf1.fr


Thomas DESZPOT

Tout
TF1 Info