"Prioriser" les soins des malades hospitalisés : de quoi parle-t-on ?

Publié le 19 mars 2020 à 18h41

Source : TF1 Info

PRISE EN CHARGE - Face à l'afflux des patients dans les services de réanimation, un document remis mardi à la Direction générale de la santé doit aider les médecins à opérer des choix en cas de saturation. Une pratique bien antérieure au Covid-19. De quoi s'agit-il ? Explications.

Les soignants devront-ils trier les patients dans les services de réanimation ? Alors que certains hôpitaux de l'est de la France sont d'ores et déjà saturés par l'afflux de patients, les médecins redoutent d'avoir à établir un ordre de passage pour les patients nécessitant des soins intensifs. 

Un document, dévoilé par Le Monde, a été adressé à la Direction générale de la santé (DGS) mardi Intitulé "Priorisation de l'accès aux soins critiques en cas de pandémie", le texte vise à accompagner les soignants dans leurs choix - éthique et médical - dans l'hypothèse d'une indisponibilité de lits. Avec pour objectif de les aider à établir leur pronostic, et ainsi à prioriser les malades selon leur capacité à récupérer d'une réanimation lourde. 

"Il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt. Quand on aura une pression énorme pour admettre des patients qui attendront à la porte, la question va se poser franchement", a indiqué au quotidien du soir l'un des auteur du texte, Bertrand Guidet, chef du service de médecine intensive réanimation à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris. 

Une "médecine de guerre"

“La justice distributive, dans ce cas-là, c’est d’essayer de se dire que l'on va faire bénéficier de la réanimation le patient qui a le plus de chances de guérir", a expliqué ce jeudi Eric Maury, le président de la Société de réanimation (SRLF), sur LCI. "Cela s’apparente plus à de la médecine de guerre ou de catastrophe qu’à de la médecine de pays riche."

Le document qui va être transmis par la DGS aux médecins s'appuie sur des critères dits "de fragilité" bien antérieurs à l'apparition du Covid-19. Des critères déjà utilisés en réanimation, notamment pour les personnes âgées atteintes de comorbidités, qui doivent permettre d'évaluer, en fonction des capacités fonctionnelles antérieures du patient, de sa pathologie initiale, des traitements employés et surtout de ses chances de survie, l'intérêt d'une admission en réanimation, comme l'indique cette étude du CHU de Rennes

"Priorisation" plutôt que "sélection"

“Tous les malades qui contractent le Covid ne seront pas réanimés avec des soins lourds", résumait ainsi, sur LCI, le docteur Jean-Pierre Thierry ce jeudi. Mais l'expert en santé publique relativisait le sens de ces choix. "Les soignants savent que ce n’est pas la peine, pour certains patients, d’engager des soins de réanimation lourds. Ce qui caractérise la médecine de guerre ici, c’est l’afflux de patients, ce ne sont pas les pratiques dans les services."

Olivier Véran avait lui-même explicité, la veille, toujours sur LCI, ces décisions de placer ou non une personne déjà très fragilisée en réanimation. Le choix, indiquait alors le ministre de la Santé sans détour, peut se faire entre une personne dont les chances de survie à court terme sont infimes, par rapport à un patient ayant plus de chances de survie. "Dans une période classique, même si vous avez quelqu'un qui a 95 ans, avec des troubles respiratoires graves dont on sait que le risque de mortalité est immense", il est tentant de donner "24 à 48 heures de plus aux proches", en transférant le malade en réanimation", soulignait-il. 

En période d'épidémie, c'est une question que vous pouvez parfois ne plus vous poser
Olivier Véran sur LCI

En revanche, poursuivait le ministre, "en période d'épidémie, quand il y a une très forte tension dans les services de réanimation, c'est une question que vous pouvez parfois ne plus vous poser. Lorsque vous voyez d'autres malades plus jeunes, qui ont moins de comorbidité, moins de fragilité, et qui sont à risque de présenter le même type de complication respiratoire, évidemment que cela peut peser dans votre décision". A ce titre, une "cellule éthique" sera installée dans les hôpitaux afin d'accompagner les soignants dans ces choix. 

Une étude de thèse réalisée à l'université de Lorraine indiquait en 2018 que, pour des patients âgés de 80 ans et plus placés en réanimation chirurgicale ou médicale, la mortalité à un an était de 40 à 70%, l'espérance de survie diminuant avec l'âge, en raison des pathologies associées. 

Le manque d'équipement, un critère supplémentaire ?

Certains soignants ont toutefois estimé que la décision d'intuber ou non un patient gravement malade pouvait être clairement motivée, aussi, par l'équipement disponible au sein du service. A l'instar de cet urgentiste du Grand-Est qui parle de "limitation thérapeutique". 

Par les mesures de confinement imposées à la population, les autorités sanitaires françaises espèrent éviter à tout prix, à ce titre, la situation rencontrée par les hôpitaux italiens de Lombardie. Dans cette région, comme en témoignait récemment un réanimateur transalpin, les médecins doivent depuis plusieurs jours choisir les patients "en fonction de l’âge et de l’état de santé, comme dans les situations de guerre". 

"Dire qu’on ne meurt pas du coronavirus est un mensonge qui me remplit d’amertume", ajoutait le docteur Christian Salaroli, dans un entretien au Corriere della Sera. Le cauchemar des équipes soignantes, en Italie comme en France. 


Vincent MICHELON

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