La chloroquine, médicament miracle ou traitement précipité ? Cinq questions autour de l'arme anti-coronavirus

Publié le 23 mars 2020 à 19h45, mis à jour le 24 mars 2020 à 15h20

Source : Sujet TF1 Info

TRAITEMENT – Alors que l'épidémie de coronavirus s'amplifie chaque jour un peu plus, un médicament prescrit contre le paludisme pourrait s'avérer efficace contre le Covid-19. Pourquoi donc n'est-il pas encore largement prescrit ? On vous explique tout ça en cinq questions.

Testée en Chine, approuvée à Marseille, regardée avec méfiance par les autorités... Ces derniers jours, la chloroquine est le sujet sur toutes les lèvres. Et pour cause, derrière ce traitement contre le paludisme se cache peut-être celui contre le coronavirus. C'est en tout cas ce qu'avance Didier Raoult, le directeur de l'Institut Méditerranée Infection à Marseille. Problème : son test, réalisé seulement sur 24 patients, est critiqué par certains experts. Critiqué, oui, mais observé de près. Si bien que, après avoir annoncé dimanche qu'il ferait partie d'un vaste essai clinique européen, Olivier Véran a ouvert la porte, ce lundi, à son usage, extrêmement réglementé, en direction "des cas les plus graves", suivant les recommandations du Haut Conseil de santé.

De quoi parle-t-on?

La chloroquine est en fait un banal traitement couramment utilisé contre le paludisme. Peu chère et utilisée depuis près de sept décennies, cette molécule est commercialisée notamment sous le nom de Nivaquine. C'est sous cette appellation que certains voyageurs la connaissent, puisqu'elle est souvent recommandée lorsqu'on prévoit de se rendre en zone infestée par le parasite transmis par les moustiques. Alors pourquoi en reparler maintenant ? Parce que selon des chercheurs chinois, un traitement de 500 mg de chloroquine par jour pendant dix jours serait suffisant pour traiter le Covid-19. 

Cette étude clinique de trois chercheurs, publiée le 19 février dernier dans la revue BioScience Trends, tire ses résultats d'un essai réalisé dans plus de dix hôpitaux du pays, et notamment à Wuhan, épicentre de l'épidémie. Les conclusions sont sans appel : "Les résultats obtenus jusqu'à présent sur plus de 100 patients ont démontré que le phosphate de chloroquine était plus efficace que le traitement reçu par le groupe comparatif pour contenir l'évolution de la pneumonie, pour améliorer l'état des poumons, pour que le patient redevienne négatif au virus et pour raccourcir la durée de la maladie", écrivent ainsi les chercheurs. Cependant, cette étude, très succincte, ne quantifie pas cette différence d'efficacité. Autre problème : elle a été publiée de façon préliminaire, c'est-à-dire sans avoir été validée par un comité d'experts scientifiques. 

Qui en est le principal défenseur en France ?

En France, c'est le 25 février dernier qu'on entend parler pour la première fois de la chloroquine. Annonçant un "scoop de dernière minute" dans une vidéo, Didier Raoult, un spécialiste renommé des maladies infectieuses, annonce la "fin de partie" pour le coronavirus. "Nous savions déjà que la chloroquine était efficace in vitro contre ce nouveau coronavirus et l'évaluation clinique faite en Chine l'a confirmé", lance le directeur devant son auditoire de l'Institut Méditerranée Infection. Réjoui, il décrit ces conclusions comme une "extraordinaire nouvelle", étant donné que "ce traitement ne coûte rien". "Finalement, cette infection est peut-être la plus simple et la moins chère à soigner de toutes les infections virales !"

S'il est l'un des onze membres du conseil scientifique auprès du gouvernement français, cela n'empêche pas Didier Raoult d'être la cible de nombreuses critiques. Notamment de la part de FakeMed, un collectif de scientifiques en lutte contre les fausses informations dans le domaine de la santé, qui, en février, mettait en garde contre les effets indésirables de ce médicament. Mais l'intéressé s'en moque. Décrivant auprès de l'AFP ses accusateurs comme des "petits marquis parisiens", il se félicite même d'avoir été au cœur d'une vidéo l'accusant de diffuser des "fake news". "Elle a été vue 450.000 fois sur Facebook, ça m'a fait une publicité considérable, qu'ils continuent à dire des horreurs comme ça."

Pourquoi c'est prometteur ?

Pas découragé pour un sou, donc, le Pr Raoult a dirigé une expérimentation à l'hôpital de la Timone sur 24 patients atteints du Covid-19. Un test dont les résultat étaient spectaculaires. "Au bout de six jours, aucun d'entre eux n'avait le virus détectable", nous a expliqué Philippe Parola, chef du service des malades infectieuses à l'IHU Méditerranée infection. Entendre par là qu'ils n'étaient "plus contagieux et n'avaient plus de fièvre". Des essais cliniques décrits comme "prometteurs" par le gouvernement le mardi 17 dernier.

C'est pourquoi, aux Etats-Unis, Donald Trump veut y croire. "On n'a rien à perdre", a-t-il lancé lors d'une conférence de presse ce jeudi. Le président américain a lui-même salué les travaux du chercheur français, vantant une nouvelle "très excitante". "Je pense que cela pourrait changer la donne. Ou peut-être pas. Mais d'après ce que j'ai vu, cela pourrait changer la donne." Et d'indiquer, sans plus de précisions, que ce médicament serait disponible "quasiment immédiatement". 

Un enthousiasme qu'est venue tempérer la Food and Drug Administration (FDA). Cet organisme fédéral, qui supervise la commercialisation des médicaments aux Etats-Unis, a notamment souligné que le traitement n'avait pas été approuvé contre la pandémie. Cependant, elle va mettre en place "un essai clinique étendu", a expliqué Stephen Hahn, son dirigeant.

Pourquoi c'est controversé ?

Et de fait, la FDA pointe un problème de taille. "Aujourd'hui, la communauté scientifique n'est pas très convaincue", pour réutiliser les mots du numéro 2 de la Santé en France, Jérôme Salomon, le mercredi 26 février. Plusieurs experts appellent en effet à la prudence en l'absence d'études plus poussées et en raison de ses effets indésirables qui peuvent être graves. Le consultant santé de TF1 et LCI Gérald Kierzek rappelait par exemple que ce médicament n'était pas sans effets secondaires. "Ne vous précipitez pas sur la chloroquine, il faut attendre d'autres tests", conseillait le médecine urgentiste

Jean-Paul Giroud, l'un des spécialistes les plus reconnus en pharmacologie et membre de l'Académie nationale de Médecine, en listait quelques uns : "Affections du système immunitaire, affections gastro-intestinales, nausées, vomissements, des troubles au niveau hépatique voire hématologique." Même son de cloche du côté de François Maignen, docteur en pharmacie et spécialiste de santé publique. Interrogé par l'AFP, il notait que cette molécule pouvait être "très dangereuse en cas de surdosage". ""Il faut être extrêmement circonspect et prudent !" Fermez le ban ? Non : le 23 mars, l'OMS se fendait d'un communiqué général, condamnant "l'usage de médicaments sans preuve de leur efficacité".

Que penser de la chloroquine, présentée comme remède miracle ?Source : TF1 Info

Des effets si dangereux qu'au Nigéria, des patients ont été empoisonnés par cette molécule. "Depuis plusieurs jours, on voyait circuler beaucoup de messages sur les réseaux sociaux vantant les effets de la chloroquine pour soigner le coronavirus et il nous est revenu que le médicament n'était plus disponible dans plusieurs quartiers de Lagos", a ainsi expliqué à l'AFP, témoignant du succès du traitement, Ore Awokoya, conseillère à la Santé du gouverneur de Lagos, où des patients ont été admis dans deux hôpitaux. Et de mettre directement en cause le président américain. "Après les déclarations de Donald Trump sur ce médicament, cela a pris une autre dimension, les gens se sont rués en nombre dans les pharmacies".  Administrée de la sorte, sans aucun encadrement, ni idée du dosage, cette molécule s'est donc avérée fatale.

Où en est-on en France ?

Jusqu'à présent, les autorités françaises ont jugé les travaux du professeur Raoult avec une grande prudence. Si bien que, le 11 mars dernier, la chloroquine ne faisait pas partie des quatre traitements testés dans des essais cliniques annoncés par le gouvernement. Mais aujourd'hui, on observe très clairement un changement de cap. Moins d'une semaine après, Olivier Véran indique désormais avoir "donné l'autorisation pour qu'un essai plus vaste par d'autres équipes puisse être initié dans les plus brefs délais sur un plus grand nombre de patients". Le ministre de la Santé confie d'ailleurs être "en liens très étroits avec le Professeur Didier Raoult", dont il a salué "les résultats intéressants".  "Il est absolument fondamental d'asseoir toute décision de politique publique en santé sur des données scientifiques validées, et les processus de validation, on ne peut pas négocier avec", a-t-il cependant souligné, coupant court à toute polémique.

Tandis que le ministre de la Santé pense qu'il aura des données dans "moins de quinze jours", à propos de ces essais,  la chloroquine fait en attendant déjà partie d'un vaste essai clinique qui a démarré au niveau européen. Nommé "Discovery", il concerne 3200 patients dans le continent dont 800 Français. Les résultats de ce groupe de travail sont espérés d'ici six semaines. Hors de question cependant d'attendre pour certains. Dont Christian Estrosi, maire LR de Nice. Lui-même contaminé, le maire a annoncé que le CHU de sa ville avait été approvisionné en cette molécule, qui pourra être prescrite "avec consentement des familles".

Quoi qu'il en soit, s'il s'avère que la chloroquine permet efficacement de lutter contre le Codi-19, la France devrait être prête. "Nous avons pris les devants puisque l'exportation de ce produit est interdite depuis deux semaines par anticipation", a ainsi fait savoir le ministre de la Santé le 20 mars. Les stocks français sont composés de 350.000 boites, permettant de traiter autant de patients. Et les laboratoires n'attendent plus que le feu vert des autorités sanitaires pour faire tourner leurs usines à plein régime. 


Felicia SIDERIS

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