Des troubles neurologiques ou psychiatriques chez un tiers des patients guéris du Covid ?

Publié le 18 juin 2021 à 12h09, mis à jour le 18 juin 2021 à 13h10
Les patients ayant souffert de formes graves sont encore plus touchés par les troubles neurologiques et psychiatriques une fois guéris.
Les patients ayant souffert de formes graves sont encore plus touchés par les troubles neurologiques et psychiatriques une fois guéris. - Source : ALAIN JOCARD / AFP

LES VÉRIFICATEURS AVEC L'INSERM - Les résultats d'une étude mettent en avant les séquelles psychologiques après six mois chez des patients guéris. Des conséquences parfois graves sur lesquelles alertent les spécialistes.

Il y a quelques semaines, LCI évoquait la persistance de symptômes du Covid longtemps après une contamination. Le Pr Jade Ghosn nous expliquait observer "après six mois, au moins un symptôme chez 60% des patients suivis. Chez 25%, on constate même trois symptômes qui perdurent : les douleurs musculaires et articulaires, la fatigue et des difficultés respiratoires." Si les séquelles physiques de ce que l'on appelle les "covid longs" sont documentés, que sait-on de l'impact neurologique ou psychiatrique du virus ?

Des messages alertent à ce sujet sur les réseaux sociaux, notamment un qui relaie une étude parue dans la revue scientifique The Lancet. Portant sur 200.000 patients remis du Covid, elle montre que "34% développent un trouble neurologique ou psychiatrique dans les six mois suivant l'infection". Le risque, apprend-on, "est d'autant plus élevé que la maladie a été sévère". 

Afin d'en savoir plus, Les Vérificateurs ont sollicité la Pr Karen Ritchie, dans le cadre du partenariat noué entre les Vérificateurs et l'Inserm. Directrice de recherche émérite au sein de l'institut, elle est épidémiologiste et également neuropsychologue spécialisée en psychotrauma au sein de l'Institut du Cerveau Trocadéro. Les données mises en lumière dans The Lancet, explique-t-elle, sont loin de la surprendre.

Un virus qui attaque le cerveau

Quelle crédibilité accorder aux résultats de l'étude relayés sur les réseaux sociaux ? Pour Karen Ritchie, il s'agit d'éléments utiles en "matière de santé publique, qui permettent de mesurer l'étendue du problème". Il lui semble intéressant d'observer que, dans une période où est lancé un "chèque d'accompagnement psychologique" destiné aux étudiants fragilisés par la crise, "les autorités n'ont peut-être pas saisi l'ampleur des troubles au sein de la population". 

Les travaux publiés dans The Lancet présentent néanmoins quelques limites. S'ils offrent "une évaluation de la fréquence", ils n’explorent pas "les causes multiples" des pathologies identifiées.

La clinicienne neuropsychologue n'a pas été surprise d'observer un impact neurologique et psychiatrique du virus. "Quand j'ai été enfermée durant le premier confinement l'an dernier, j'ai comme tout le monde entendu parler des problèmes d'odorat", glisse-t-elle. Un élément qui a alors fait tilt dans l'esprit de la chercheuse : "C'était le signe évident d'une probable implication du système nerveux central". Ce qui l'a poussée à s'intéresser aux précédentes épidémies causées par des coronavirus, que ce soit le SRAS ou le MERS, au début des années 2000. Des études à l’époque avaient mis en avant une grande fréquence de troubles neurologiques et psychologiques chez les survivants, persistants des mois après leur sortie de l'hôpital. Avec notamment l’inflammation du cerveau, des troubles de la mémoire et des pertes de conscience.

Dans le cadre de l'épidémie actuelle, les premières observations scientifiques publiées ont également témoigné d’une large gamme de symptômes signalant l’implication du système nerveux : encéphalites, maux de tête sévères, crises d’épilepsie, maladies cérébrovasculaires, troubles de mémoire et du langage. 

L'experte identifie trois causes principales aux troubles neurologiques et psychiatriques en lien avec l'épidémie. Tout d'abord, une possible "infection directe causée par le coronavirus dans le cerveau". La "barrière" qui le protège d'ordinaire pourrait être rendue perméable à cause de l’inflammation associée à l'infection, cessant ainsi de le protéger. Alternativement, le virus pourrait entrer par la périphérie, par exemple les neurones de l’œil ou du nez et monter vers le cerveau par des fibres nerveuses. Autre piste à explorer : celle des effets secondaires liés à l'atteinte système respiratoire. "70% des gens hospitalisés pour cause de Covid ont besoin d'une respiration mécanique", rappelle Karen Ritchie. Or, "on sait qu’environ 80% de patients sortant d’une ventilation pour n’importe quelle raison manifestent un an après des troubles, que ce soit pour la mémoire, le raisonnement ou la vitesse de traitement des informations".

En parallèle, l'experte ajoute qu'un "manque d'oxygène dans le cerveau, que l'on nomme l'hypoxie et dû aux troubles respiratoires, pourrait également endommager le fonctionnement" de notre organe moteur. Une affection dont les conséquences peuvent être multiples : troubles du langage une fois encore, ou bien de la mémoire... La dernière cause des troubles neurologiques et psychologiques évoquée par la spécialiste de l’Inserm est le traumatisme auquel l’ensemble de la population a été exposée. Impossible en effet de faire abstraction de l'impact du trauma psychologique engendré par l'épidémie. "Les reportages dans les médias, le nombre de morts quotidiens, la perte des proches, les incertitudes sur l'emploi, le confinement... Tous ces facteurs peuvent précipiter les problèmes psychiatriques et aggraver des troubles neurologiques."

Un accompagnement indispensable

L'identification des causes, estime Karen Ritchie, sera centrale dans le futur, car "si on doit soigner, il faut comprendre l'origine des symptômes" rencontrés par les patients. "Que répondre à une dépression provoquée directement par la destruction des neurones  par rapport à une autre liée au stress ?", interroge la spécialiste. "Si le cerveau est endommagé par le virus, une psychothérapie ne sera peut-être pas suffisante", d'où le rôle central des cliniciens, "dont nous allons avoir grand besoin pour mieux comprendre les causes au niveau de chaque individu". 

La plus grande vigilance de la population est de mise, la chercheuse craignant d'observer "des problèmes cognitifs fréquents" dans le futur. Cette question doit pour elle se trouver au centre des discussions, avec une "pression" mise par les professionnels de santé pour informer au mieux les patients et inciter à la mise en place de campagnes de dépistages des troubles neurologiques et psychiatriques. "On voit des patients arriver dès aujourd'hui avec des plaintes de mémoire et des troubles de langage – surtout les jeunes", insiste la neuropsychologue. 

Si aucune étude française n'est pour l'heure menée à sa connaissance sur les conséquences psychologiques de l'épidémie, la directrice de recherches émérite espère que les enjeux de santé publique qui sont posés vont mobiliser l'attention des autorités. Des inconnues demeurent en effet nombreuses, notamment sur le potentiel facteur aggravant que peut jouer le Covid. "On se pose des questions", indique-t-elle, "notamment de savoir si des gens exposés au virus et déjà atteints par des pathologies comme Alzheimer pourraient voir leur maladie s'accélérer". Des interrogations auxquelles la science n'a pour l'heure pas encore répondu, mais dont l'impact pourrait se révéler majeur à moyen et long terme.

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Thomas DESZPOT

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