Y a-t-il réellement "91% de fausses couches" chez les mères vaccinées au cours du premier trimestre ?

Publié le 1 décembre 2021 à 17h48
Une femme enceinte israélienne recevant une dose de vaccin contre le Covid-19
Une femme enceinte israélienne recevant une dose de vaccin contre le Covid-19 - Source : JACK GUEZ / AFP

MATERNITÉ - Des internautes assurent, étude à l'appui, qu'une vaccination avant la 20e semaine de grossesse provoque quasi-systématiquement (91%) une fausse couche. C'est faux.

Les autorités cacheraient une épidémie de fausses couches. Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes se font le relai d'un article autrichien publié ce jeudi 25 novembre. Capture d'écran à l'appui, ils assurent qu'une étude a démontré que "91% de fausses couches" ont été enregistrées chez les femmes "vaccinées" contre le Covid-19 "avant la semaine 20" de leur grossesse. Un chiffre dramatique, mais issu d'une mauvaise interprétation.

Des sources douteuses

La source citée par ces internautes est le site autrichien Wochenblick. Journal proche du parti d'extrême droite FPÖ, il a déjà été épinglé par le passé en France pour avoir partagé de fausses informations. Notamment celle, directement diffusée par la rédactrice en chef du média, selon laquelle le vaccin allait "empirer la situation" épidémique. Par ailleurs, ce titre a été vivement critiqué à plusieurs reprises par le conseil de presse autrichien pour des reportages trompeurs. Et en mars 2018, le journal a été condamné à 3000 euros d'amende pour diffamation

L'article scientifique cité dans ce journal provient lui aussi d'une source douteuse. Mis en ligne en novembre 2021, il a été publié par l'Institute for Pure and Applied Knowledge (IPAK), une association médicale privée dont le fondateur a diffusé des informations erronées sur le Covid-19 et ses vaccins, mais aussi sur la vaccination en général, estimant entre autres qu'elle provoque l'autisme. Cette fois-ci, l'article est co-écrit par deux chercheurs néo-zélandais, le Dr Simon Thornley, maître de conférences en épidémiologie à l'Université d'Auckland, et la Dr Aleisha Brock, épidémiologiste à Whanganui.

Voilà pour la forme. Et pour le fond ? L'article est une critique des résultats d'une précédente étude, publiée en avril dans le prestigieux New England Journal of Medicine (NEJM). À partir  des données des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) étasuniens, les auteurs ont analysé les données sur 3958 femmes enceintes ayant reçu le vaccin contre le Covid-19. Parmi elles, 712 ont donné naissance à des bébés en bonne santé, une à un mort-né et 104 ont fait des fausses couches. Les autres étaient toujours enceintes.

À partir de ces chiffres, les chercheurs ont voulu calculer le taux de fausses couches dans cette population pour la comparer au taux en population générale. Pour ce faire, ils ont uniquement pris en compte les grossesses terminées, soit 827. Avec 104 fausses couches, le taux observé était de 12,6%. Ce qui équivaut à un taux normal, évalué à 15%.

Une "statistique insensée"

Alors, quel est le problème ? Les deux auteurs de l'étude publiée par l'IPAK reprochent à ces travaux de présenter "peu de garanties" et "en particulier pour les femmes exposées au vaccin en début de grossesse", évoquant des "statistiques faussement rassurantes". Selon eux, un grand nombre de ces femmes ont en effet été immunisées au cours du troisième trimestre, soit bien après que la date d'une éventuelle fausse couche soit passée. De fait, l'interruption spontanée de grossesse survient majoritairement lors du premier trimestre et au maximum au cours des cinq premiers mois.

Le duo estime donc que cette étude aurait dû prendre en compte les seules femmes enceintes immunisées"en début de grossesse". Pour pallier ce biais, l'équipe néo-zélandaise a donc choisi de modifier le dénominateur. Au lieu de prendre en compte la totalité des 827 vaccinées avec une grossesse terminée, elle a voulu considérer les seules femmes dont on sait qu'elles ont été vaccinées précocement. Une information qui n'est pas précisée dans l'étude initiale. Et le seul moyen d'obtenir ce chiffre est de prendre en compte les femmes vaccinées ayant terminé leur grossesse avant le sixième mois. Or, l'une des seules façons de finir une grossesse dans un délai aussi court ... C'est de faire une fausse couche ! Raison pour laquelle le nombre d'interruptions spontanées explose : en prenant en compte cette seule population, l'analyse montrerait une incidence de fausse couche "7 à 8 fois plus élevée que les résultats des auteurs". 

Un "problème de calcul", pour reprendre les mots de Viki Male, qui s'appuie sur une "statistique insensée", comme l'a expliqué cette immunologiste spécialiste de la grossesse à l'Imperial College de Londres.

VIDEO LCI PLAY - Olivier Veran vaccine une minsitre enceinteSource : Sujet TF1 Info

Conclure qu'une vaccination prématurée provoque des fausses couches est donc complètement trompeur. D'autant que de nouveaux travaux, publiés le 20 octobre dernier, sont venus confirmer les premières observations du NJM. Et couper court aux suspicions citées plus haut. Une équipe norvégienne a découvert non seulement que la proportion de vaccinées chez les femmes ayant fait une fausse couche (4521) était similaire à celui des 13.956 femmes ayant réalisé une grossesse à terme, mais elle a aussi analysé les fausses couches survenues dans les cinq semaines après la vaccination. Et là, le ratio était de 23 %, contre 24,5 % pour les femmes non vaccinées. En somme, des résultats "rassurants pour les femmes qui ont été vaccinées au début de leur grossesse", comme le résumait l'une des autrices de l'article, Deshayne Fell, professeure agrégée à l'École d'épidémiologie et de santé publique de la Faculté de médecine de l'Université d'Ottawa.

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Felicia SIDERIS

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