"The Lancet", l'hydroxychloroquine et une "étude foireuse" : chronologie d'une controverse scientifique

Publié le 5 juin 2020 à 17h36

Source : TF1 Info

CHRONOLOGIE - Après plusieurs jours de critiques, la très sérieuse revue médicale "The Lancet" a fini par désavouer l'étude jugeant l’hydroxychloroquine inefficace voire dangereuse dans le cadre du traitement contre le coronavirus. Retour sur une polémique qui a animé la communauté médicale.

L’hydroxychloroquine n'est pas morte. Alors que le médicament semblait avoir été mis à l'écart dans le cadre des recherches du traitement contre le coronavirus, il se voit offrir un sursis après le retrait par le Lancet de l'étude controversée publiée dans ses colonnes. Retour sur les revirements qui se sont enchaînés à son sujet.

Publication de l'étude dans The Lancet

Le 22 mai dernier, la revue scientifique The Lancet, sommité du milieu médical, publie une étude qui semble décrédibiliser l'usage de l'hydroxychloroquine dans le traitement du Covid-19. Celle-ci réunit les données de 96 000 patients hospitalisés entre décembre et avril dans 671 hôpitaux dans le monde. Environ 15.000 d’entre eux ont reçu l’une des quatre combinaisons (chloroquine seule ou associée à un antibiotique, hydroxychloroquine seule ou associée à ce même antibiotique), puis ces groupes ont été comparés aux 81 000 malades du groupe témoin n’ayant pas reçu ce traitement. Les données permettaient de conclure que l'hydroxychloroquine n'était pas bénéfique aux malades du Covid-19 hospitalisés et pouvait même générer une mortalité accrue.

Suspension des programmes Solidarity et Discovery

Prenant acte des conclusions de l'étude du Lancet, l'OMS décide le 25 mai 2020 de suspendre "temporairement" ses essais cliniques avec l'hydroxychloroquine dans le cadre de son programme Solidarity. En parallèle, l'Inserm décide d'en faire de même avec Discovery. Bruno Lina, membre du conseil scientifique et chargé du pilotage de l’essai clinique européen se justifie alors : "On a un signal, quand même. L’hydroxychloroquine n’a aucun effet en termes de résultats virologiques et [l'étude] identifie potentiellement un effet délétère de la mise en place du traitement".

Deux avis défavorables successifs en France

Saisi par le ministre de la Santé français, Olivier Véran, initialement très prudent sur le traitement vanté par Didier Raoult, le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) rend le 26 mai 2020 un avis défavorable. Il suggère "de ne pas utiliser l’hydroxychloroquine (seule ou associée à un macrolide) dans le traitement du Covid-19 "en dehors des essais cliniques. Quelques heures plus tard, l'Agence Nationale du Médicament (ANSM) "lance" à son tour la procédure de suspension "par précaution" des essais cliniques.

Publication d'un décret d'interdiction

Dès le lendemain, le 27 mai, Olivier Véran signe un décret, ensuite publié au Journal Officiel, pour interdire la prescription de l'hydroxychloroquine aux malades du coronavirus. Un retour en arrière de deux mois, après qu'Olivier Véran avait signé, fin mars 2020, un décret autorisant, dans un cadre restreint, la prescription du traitement. Il précise tirer " les conclusions de l’avis du Haut Conseil de la Santé publique".

Des premières critiques

Le désaveu de l'hydroxychloroquine, qui avait divisé la communauté médicale en France et à travers le monde, génère rapidement de nombreuses critiques, à commencer par son principal défenseur en France le professeur Raoult. Il évoque une "étude foireuse" et un "travail totalement biaisé". Il renchérit alors :  "je ne sais pas si l'hydroxychloroquine tue, mais ici, elle sauve beaucoup de gens". Au Maroc, le professeur Jaâfar Heikel se montre aussi sceptique : "Attention, il faut bien comprendre que ce n’est pas une étude clinique mais une analyse de registre de données de différents hôpitaux et pays ! C’est évidement une publication importante qu’il faut considérer pour ce qu’elle vaut ni plus ni moins. Mais si vous avez bien lu, ce n’est pas une étude ou un essai clinique mais l’analyse statistiques de données de registres". De son côté Philippe Froguel, professeur au CHU de Lille et à l’Imperial College de Londres, n'hésite pas non plus à critiquer l'étude du Lancet et les décisions qui en découlent : “Les données sont trop bizarres, pas fiables. On ne sait même pas exactement d'où elles viennent, comment ils se les sont procurées. Du coup, les conclusions ne peuvent pas être fiables”. 

La lettre ouverte de nombreux scientifique

Dans une lettre ouverte du 28 mai 2020, de nombreux scientifiques font part de leur scepticisme vis à vis de l'étude. Selon eux, un examen approfondi de l’étude soulève "des inquiétudes liées à la méthodologie et à l’intégrité des données". Ils listent de nombreuses incohérences et/ou imprécisions qui décrédibilisent, au moins partiellement, les conclusions de l'investigation publiée dans The Lancet.

Premiers doutes du Lancet

Le 2 juin dernier, la revue fait pour la première fois part de certains doutes vis à vis de l'étude publiée dans ses colonnes. Il publie une "expression of concern" (une mise en garde). The Lancet fait part d’inquiétudes "pour alerter les lecteurs sur le fait que de sérieuses questions scientifiques ont été portées à [son] attention". Cette démarche signe en fait le début de la fin pour l'étude. 

L'OMS fait marche arrière

Face aux critiques et devant les doutes exprimés par The Lancet, l'Organisation Mondiale de la Santé décide de rétro-pédaler. Elle indique reprendre ses essais cliniques dès le 3 juin. "Nous sommes maintenant assez confiants quant au fait de ne pas avoir constaté de différences dans la mortalité" précise Soumya Swaminathan, scientifique en chef de l'OMS. Le directeur général de l'organisation, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a également ajouté qu'il "n'y a aucune raison de modifier le protocole des essais cliniques". 

Parallèlement, le programme européen Discovery "va envisager de reprendre" à son tour les essais menés. C’est en tout cas ce qu’a affirmé l’Inserm. 

Rétractation des auteurs de l'étude

Acte final dans ce fol enchaînement d'événements. Le Lancet annonce le 4 juin la rétractation de l'étude après que trois des coauteurs en ont fait la demande. Ils estiment notamment qu'ils ne peuvent "plus [se] porter garant de la véracité des sources des données primaires".

Tout changer... pour ne rien changer. Le grand perdant de cette affaire est sans conteste la revue médicale The Lancet qui fait pourtant référence dans le domaine. Le Pr Gilbert Deray, de la Pitié-Salpêtrière, estime même qu'il s'agit là d'un "immense scandale très préjudiciable à la communauté scientifique"


Maxence GEVIN

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