Dangerosité des cabines de bronzage : la mise au point d'une dermatologue

par Claire CAMBIER
Publié le 10 octobre 2018 à 16h12
Dangerosité des cabines de bronzage : la mise au point d'une dermatologue

INTERVIEW - Pour la première fois, l'agence nationale de sécurité sanitaire a recommandé au gouvernement la fermeture totale des centres de bronzage en France. Une recommandation saluée par la dermatologue Claudine Blanchet-Bardon qui alerte depuis 20 ans sur les risques de ce "soleil en boîte".

Cela fait plus de 20 ans que le Dr Claudine Blanchet-Bardon alerte sur les dangers des cabines à UV, "le soleil en boîte" comme elle aime l'appeler.  En 1988,  lorsqu'elle a crée la journée de dépistage du cancer de la peau, les risques étaient déjà connus, rappelle-t-elle. Depuis, la loi a imposé des mesures d'encadrement strictes de ces instituts mais sans jamais les interdire.  Une interdiction que recommande, pour la première fois, un rapport de l'agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) publié ce mercredi. Vice-présidente du syndicat des dermatologues et vénéréologues. le Dr Blanchet-Bardon revient pour LCI sur les risques de ces UV artificiels.

Pourquoi ces UV artificiels sont plus dangereux qu'une exposition au soleil ?

"Dans ces centres de bronzage, il s'agit de diffusion d'UV avec un spectre solaire qui n'est pas complet, ces cabines ne délivrent que des UVA (il existe 3 types de rayonnements UV : les UVA, les UVB et les UVC, ndlr). D'une part, ces UVA fragilisent la peau et cassent les fibres élastiques d'où un vieillissement cutané accéléré. De l'autre, ils sont des cancérogènes. On pense tout de suite au mélanome, qui est le cancer de la peau le plus dangereux - il tue - mais il y a aussi le carcinome. C'est le cancer de la "personne à maturité" - ça crée des lésions importantes sur la peau. En clair, tous les cancers de la peau sont concernés. Il y a donc dangerosité en plus des irradiations que l'on subit tous évidemment en s'exposant au soleil.

Beaucoup de centres mettent également en avant des bienfaits au-delà du bronzage - ça préparerait la peau et ça serait source de vitamine D - mais ce sont des mensonges ! Ça ne prépare pas du tout la peau au bronzage, justement parce que ce n'est pas le spectre complet d'UV et ça ne peut pas non plus synthétiser de la vitamine D, car c'est sous l'action des UVB que la vitamine D est synthétisée par notre organisme. Toute leur publicité est une escroquerie."

Le syndicat national des professionnels du bronzage en cabine avance que les UV ne seraient contre-indiqués que pour 3 à 7 % de la population française, le risque serait donc ciblé ?

"Non pas du tout, tout le monde est à risque. Un simple exemple : les personnes à la peau noire prennent des coups de soleil.  Les phototypes de peau claire sont plus exposés mais en général ils le savent d'expérience, les gens ne sont pas fous. Ce qui est dangereux, c'est une exposition chronique. Et justement le "soleil en boîte" est addictif, cela a été prouvé scientifiquement."

L'Anses indique que même une exposition unique peut être dangereuse : "Les personnes ayant eu recours au moins une fois aux cabines de bronzage avant l’âge de 35 ans augmentent de 59 % le risque de développer un mélanome cutané".

"Oui, cette étude scientifique a déjà été soulevée par l'Anses il y a quelques années. La peau jeune supporte moins les UV. On constate que la peau est plus "tolérante" chez les personnes âgées, d'ailleurs on ne dit pas "vieille peau" pour rien !"

Dans certains cas, les dermatologues utilisent eux-mêmes des irradiations d'UV sur leurs patients, quelle est la différence ?

"Les UV qui sont utilisés à but thérapeutique sont soit des UVA, soit des UVB qui sont délivrés selon des protocoles très précis et avec une dose maximum. C'est extrêmement contrôlé, il faut le souligner. Nous le faisons pour des maladies inflammatoires comme le psoriasis ou des cancers comme le lymphome et nous prenons toutes les précautions. Par exemple, quand nous pratiquons ces UV à usage thérapeutique, le patient porte toujours une coque pour protéger ses organes génitaux, car pour l'homme comme pour la femme, il y a un risque plus important de cancers cutanés au niveau de ces zones. Les centres de bronzage ne le font pas. "

Cela fait plus de 20 ans que vous alertez sur les risques cancérogènes des UV artificiels, pourquoi les choses bougent si lentement ?

"Vous connaissez les lobbies ? Voilà la réponse. À chaque nouvelle mesure d'encadrement de la profession, ils menacent de mettre des dizaines de milliers de personnes sur la paille. Mais je suis optimiste car c'est la première fois qu'une agence gouvernementale - et non pas des spécialistes de santé - demande clairement l'interdiction du "soleil en boîte". La France a déjà mis en place des mesures contraignantes comme l'interdiction de vendre ces appareils à UV au public. Mais là, je pense qu'on va pouvoir aller plus loin, ça va permettre de défendre l'interdiction totale de ces centres et de la vente des appareils à UV sur Internet. Et pour cela, il faudra passer au niveau européen."


Claire CAMBIER

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