Faible taux de vaccination des soignants : les questions qui se posent

Publié le 3 mars 2021 à 20h03, mis à jour le 3 mars 2021 à 23h34

Source : TF1 Info

DÉCRYPTAGE - En attendant les résultats d’une étude de Santé publique France sur les taux de vaccination au sein des professionnels de santé, les premiers chiffres connus et les remontées de terrain ne sont pas très encourageants. On fait le point.

Début décembre déjà, à quelques semaines du lancement de la campagne de vaccination anti-Covid en France, les réserves exprimées par certains professionnels de santé dans une étude laissaient augurer un tel scénario. "Il y a encore un certain nombre d'établissements qui accueillent des personnes âgées, très très fragiles, (et) où les soignants ne veulent pas se faire vacciner", a déploré le ministre de la Santé Olivier Véran, lors du dernier point hebdomadaire du gouvernement, soulignant que les réticences observées posaient un "problème" éthique.

"Vraiment, il faut y aller, il faut se faire vacciner, c'est important", a-t-il insisté, invitant les concernés "à faire confiance à la politique sanitaire de ce pays et à se faire vacciner". De fait, les premiers chiffres disponibles et les remontées de terrain ne sont pas très encourageants. A quel point ? Comment l'expliquer ? Quels sont les risques et comment y remédier ? LCI revient sur les questions qui entourent le faible taux de vaccination des soignants.

Quel état des lieux ?

"On est encore au début, mais on va à un rythme insuffisant et il faut qu’on accélère", abonde le président de la Commission médicale d‘établissement de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) Rémi Salomon, inquiet, auprès du Parisien.  Selon les chiffres que le quotidien s’est procurés, 36 % du personnel médical de l’AP-HP a reçu au moins une dose de vaccin, et seulement 17 à 18 % des autres catégories, essentiellement les infirmières et les aides-soignants. 

Au sein des Hospices civils de Lyon, toutes catégories confondues (administratif compris), 30 % des professionnels de moins 50 ans et 60 % de ceux âgés de plus de 50 ont été vaccinés. Pour connaitre la tendance au niveau national, il faudra attendre les résultats d’une étude de Santé publique France sur les taux de vaccination au niveau national chez les professionnels de santé. Les chiffres disponibles pour les Ehpad livrent un premier aperçu : au 1er mars, Santé publique France recense 42,3 % de professionnels (de santé ou non) ayant reçu au moins une dose. C’est près de deux fois moins que pour les résidents (83,3 %).

Évoquant cette sous-consommation de vaccin contre le Covid dans les hôpitaux, le ministère de la Santé a reconnu lundi 1er mars une "problématique" avec l'AstraZeneca. Sur les 600.000 premières doses de ce vaccin, livrées début février aux établissements de santé pour les soignants de moins de 65 ans et les personnes à risque de 50 à 64 ans, "nous avons effectivement un sujet de consommation, (...) puisqu'on se rend compte qu'il nous reste à peu près 75% des stocks qui n'ont pas fait l'objet d'injections", a-t-on expliqué au ministère lors d'un point hebdomadaire sur les vaccins. "Nous sommes dimanche soir à 24-25% de consommation des stocks", contre "quasiment 70%" en moyenne pour l'ensemble des vaccins disponibles".

Qui sont les concernés ?

A l'instar des tendances qui se dégagent à l'AP-HP, plusieurs études ont démontré que les médecins sont beaucoup plus enclins à se faire vacciner que les infirmières ou les aides-soignants. Les résultats de l'une d'elles, menée par des membres du Groupe d’étude sur le risque d’exposition des soignants aux agents infectieux (GERES), de l’École des hautes études en santé publique (EHESP) et de l’université Jean-Monnet de Saint-Étienne, ont été publiés par Santé publique France le 18 février et récemment relayés par Le Parisien. Verdict : 89 % de médecins et de professionnels médicaux disaient vouloir se faire vacciner contre le Covid-19, contre seulement 44 % des aides-soignants et des agents hospitaliers et 68 % des infirmiers.

Des chiffres officiels dévoilés début décembre par Santé publique France sur les intentions de vaccination confirmaient déjà ces "différences importantes entre les professions (médicales)". Ainsi, quand huit médecins généralistes et pharmaciens sur dix disaient avoir l'intention de se faire vacciner, cette proportion tombait à  55% chez les infirmiers interrogés. Et à l'époque déjà, de nombreux témoignages déposés sur la Toile ou relayés par les organisations syndicales venaient conforter ces disparités selon les métiers. "Beaucoup d'infirmiers disent ne pas vouloir se faire vacciner, j'en fais partie et mes collègues aussi", explique ainsi une soignante, tandis qu'une autre internaute prévenait : "Pour moi pas de vaccin, pour mon chéri infirmier non plus".  Ou encore : "N'allez surtout pas croire que les infirmiers vont servir de cobayes". 

Pourquoi ça coince ?

"C'est structurel et structurant", estime au sujet de ces disparités observés selon les métiers Jocelyn Raude, enseignant-chercheur en psychologie sociale à l’École des hautes études en santé publique, que nous avions contacté avant le lancement de la vaccination. "Les professions autour du soin sont moins équipées intellectuellement pour comprendre les enjeux autour de la recherche clinique et ont une conception de la maladie différente des médecins notamment", avait en outre expliqué le spécialiste en prévention et maladies infectieuses, s'appuyant par exemple sur leur rapport aux médecines douces. Et de conclure  : "il y a derrière cela des enjeux de formation concernant des professions plus techniques et d'autres plus orientées vers la constitution du savoir"

De son côté, Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), avançait un autre argument pour expliquer ce différentiel avec d'autres professions de santé. "On n'hésite pas à dire ce qu'on pense, on est peut-être plus en phase avec nos propos qu'un médecin qui aura davantage de retenue (...) l'infirmière, elle est sincère, il n'y a pas de filtre, pas de conflits d'intérêts liés à une évolution de carrière ou un labo". 

Enfin, notons que les professionnels paramédicaux sont généralement plus jeunes que les médecins (moyenne d’âge de 40 pour les infirmiers et de 50 ans pour les médecins en environ, d’après les dernières données), et donc moins à risque de développer une forme grave de la maladie. Dans un sondage informel réalisé dans les Hauts-de-Seine, la CGT résume les principales raisons de cette réticence à la peur des effets secondaires, au manque de recul et au manque d'informations claires.

Quelles conséquences ?

Mais ce faible engouement des soignants pour la vaccination a désormais une conséquence grave : le Covid-19 circule et se transmet de plus en plus à l’hôpital. Au point d'être devenu la première maladie nosocomiale, à savoir contractée dans un établissement de santé. Ainsi, Santé publique France (SpF) a recensé près de 45 000 cas de Covid nosocomial entre janvier 2020 et le 14 février 2021, rapporte Le Figaro. 26 839 étaient des patients, dont 186 sont décédés, tandis que 17 552 étaient des professionnels de santé et 10 des visiteurs. À noter que dans un tiers des cas, un personnel de santé se trouvait à l’origine de la contamination.   

Dans les Ehpad, où  80% des résidents d'Ehpad ont reçu une injection, mais la moitié du personnel soignant ne souhaite pas se faire vacciner, de nombreux clusters continuent d'apparaitre comme nous nous en faisions l'écho il y a de cela quelques jours. 

Quelles alternatives ?

Pour François Chast, président honoraire de l’Académie de pharmacie, "cette situation ne peut plus durer". Dans une lettre adressée à une centaine de collègues, il estime qu'"à l’heure du vaccin (enfin) accessible à tous les hospitaliers, la Covid nosocomiale est un vrai scandale" et qu'"il est en notre pouvoir de rendre ce vaccin obligatoire." Il a eu l'occasion de s'en expliquer plus en détails auprès de France Inter : "Ce vaccin est efficace. Il est bien toléré. Donc, nous avons un devoir aujourd'hui, c'est non pas d'inciter, mais d'obliger tous les hospitaliers, tous les soignants, mais aussi les médecins en ville aussi, bien sûr, à se faire vacciner"

Selon le professionnel, la vaccination obligatoire pour les soignants serait même "le seul moyen de réduire, voire d'éradiquer la maladie en quelques mois." Un argument martelé par bien d'autres, à commencer par Daniel Guillerm, le président de la Fédération nationale des infirmiers qui avait publié une tribune sur le sujet dans le JDD le 27 décembre. 


Audrey LE GUELLEC

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