"Plus de 90%" des Martiniquais et Guadeloupéens contaminés au chlordécone ?

Publié le 12 avril 2021 à 18h49
Cet insecticide était largement utilisé pour la culture des bananes dans les Antilles.
Cet insecticide était largement utilisé pour la culture des bananes dans les Antilles. - Source : HELENE VALENZUELA / AFP

TOXIQUE - Interdite en 1993, le chlordécone a été massivement utilisé pour la culture de la banane dans les Antilles. Des données officielles montrent qu'une immense majorité de la population se trouve contaminée.

Si son nom est parfois méconnu en métropole, le chlordécone est tristement célèbre en Guadeloupe ou en Martinique. Utilisé officiellement de 1968 à 1993, ce pesticide permettait de lutter contre une espèce de charançon, un insecte qui nuit à la culture des bananiers. Près de 30 ans plus tard, ce produit continue de faire des dégâts pour les habitants : ce perturbateur endocrinien multiplie chez les nourrissons le risque de prématurité, de troubles du développement, tant moteur que cognitif. On l'associe également à une augmentation des risques de cancer, de la prostate en particulier.

Alors qu'un non-lieu semble se dessiner dans le dossier instruit depuis maintenant 14 ans par le pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris, la question du chlordécone demeure plus que sensible dans les Antilles. "Plus de 90% de personnes en Martinique et Guadeloupe sont contaminées", a notamment expliqué au micro de France 5 l'ingénieur en environnement et chercheur au CNRS Malcom Ferdinand. Une proportion qui interpelle, mais qui se trouve corroborée par des études officielles, diligentées notamment par Santé Publique France. 

Un impact toujours perceptible

Malcom Ferdinand n'a pas exagéré les chiffres. Il est en effet avancé par des sources officielles, qui font le point sur l’imprégnation de la population antillaise par le chlordécone. Dévoilés à l'automne 2018, les résultats de l'étude "Kannari" ont mis en évidence la contamination de la population guadeloupéenne et martiniquaise par le chlordécone ou d’autres composés organochlorés. C'est l'agence Santé Publique France (SPF) qui a mené cette étude, à partir de données récoltées en 2013 et 2014.

"Plus de 90% des échantillons dosés dans l’étude Kannari présentent des concentrations détectables de chlordécone (supérieures à 0,02 μg/L)", écrit SPF. Problématique, d'autant que "même à très faible dose", on peut craindre "des effets sanitaires", confiait en 2019 un responsable de l'agence. Le rapport explique que "les niveaux d’imprégnation par le chlordécone mesurés en Martinique et Guadeloupe sont similaires", avec des "concentrations moyennes étant respectivement égales à 0,14 μg/L et 0,13 μg/L". Il faut néanmoins souligner que "les niveaux d’imprégnation sont [...] contrastés au sein de la population", mettant en lumière des profils plus touchés que d'autres.

Même interdit, le dangereux pesticide continue à faire des dégâts. L'étude a mis en évidence l'impact de la consommation de poisson "en particulier ceux issus de l’autoproduction, de dons, d’achat en bord de route et dans des petits marchés en zone d’interdiction de pêche". La pollution des eaux n'est pas la seule identifiée : "le fait de résider en zone contaminée par le

chlordécone influence également les concentrations", note SPF. Tandis que "l’existence d’autres sources et voies d’expositions liées à une pollution résiduelle des milieux" n'est pas exclue. 

Avec 227 nouveaux cas pour 100 000 habitants en Martinique et 184 en Guadeloupe, des taux environ deux fois plus élevés que ceux observés en métropole, le chlordécone reste un problème central de santé publique. Dévoilé fin 2019, un rapport de commission d'enquête parlementaire a permis de montrer que les autorités françaises étaient conscientes des dangers présentés par le chlordécone. Et ce dès 1969, un an à peine après la première demande d'homologation. Difficile pour autant d'espérer réparation du côté des familles des victimes : dans le cadre de ce "scandale environnemental" (les mots sont d'Emmanuel Macron), le procureur de Paris Rémy Heitz a confié il y a quelques semaines que des "problèmes de prescription existaient pour l’essentiel dès les dépôts des plaintes". D'où la crainte d'un futur non-lieu rendu par la justice. "La voie pénale en matière de santé publique, comme dans le cas du chlordécone, peut parfois décevoir les attentes de nos concitoyens envers l'intervention de la justice", admettait le magistrat.

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Thomas DESZPOT

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