Plus de la moitié de la population utilise-t-elle de l’hydroxychloroquine contre le Covid-19 ?

Samira El Gadir et A.R
Publié le 20 septembre 2020 à 19h16, mis à jour le 21 septembre 2020 à 7h45

Source : JT 20h WE

LES VÉRIFICATEURS - Lors de son audition devant les sénateurs, mardi 15 septembre dernier, le professeur Didier Raoult a estimé que "4,6 milliards de gens vivent dans des pays dans lesquels on recommande l’hydroxychloroquine", pour traiter le Covid-9. D’où vient ce chiffre et est-ce vrai ?

La séquence a eu lieu, le 15 septembre dernier, lors d’un échange entre Bernard Jomier, sénateur de Paris et rapporteur de la commission d’enquête sur la gestion de la crise liée au coronavirus et Didier Raoult, patron de l'IHU de Marseille. Cette séquence, que vous pouvez visionner, ici et plus longuement dans l’audition du Pr Raoult, ici, a été le théâtre d’un échange que l’on pourrait qualifier de houleux autour de l’utilisation ou non de l’hydroxycholoroquine, dans le traitement du covid-19, dans le monde. 

Sur ce point, Didier Raoult, l’assure : "D'après nos chiffres, 4,6 milliards de personnes vivent dans des pays recommandant ou permettant l'usage de l'hydroxychloroquine". Une phrase prononcée par deux fois, par le patron de l’IHU. Pour vérifier cette affirmation, il faut bien distinguer les termes de recommandations et d’utilisation. Ici, le professeur Raoult, évoque clairement les pays dans lesquels cette molécule est recommandée. 

4,6 milliards, vraiment ?

Ce chiffre de 4,6 milliards, nous avons voulu le vérifier. Pour cela, nous avons contacté l’établissement de Didier Raoult, à Marseille (l’IHU Méditerranée Infection). A l’heure actuelle, nous n’avons pas obtenu de réponse de leur part, sur ce point. Nous avons également contacté l’OMS, le ministère de la Santé en France, la Société française de pharmacologie et de thérapeutique. Il n’y a pas de trace de ce chiffre. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que l’OMS  a émis des réserves sur l’utilisation de l’HCQ mais là encore, il y a une différence entre les recommandations de l’autorité de santé mondiale et ce que les pays, eux-mêmes, préconisent et recommandent. 

Pour comprendre cette différence, voici l’exemple du Maroc. A la fin du mois de mai, dans une interview au quotidien l’Economiste, le ministre de la Santé Khalid Aït Taleb avait affirmé qu’il maintiendrait les traitements à base de chloroquine et d’hydroxychloroquine pour soigner les malades de la covid-19, et ce malgré les réserves de l’OMS. D’autres pays sont dans ce cas de figure comme l’Algérie et l’Inde

Dans une étude très approfondie de l’utilisation de l’hydroxychloroquine à travers le monde, le Dr Peiffer-Smadja, infectiologue à l’hopital Bichat à Paris a compilé dans un document, cartographié depuis et réactualisé le 19 septembre 2020, les pays recommandant cette molécule (en vert), ceux qui ne la recommandent pas (en rouge), ceux qui restent neutres dans ce débat (en jaune) et enfin, les pays dont la position est inconnue, sur ce sujet (en gris). 

En regardant cette carte avec attention, on observe qu’au total, ce 20 septembre, seuls neuf pays dans le monde, recommandent l’utilisation de l’hydroxychloroquine, dans le cadre d’un traitement contre le covid. De tous ces pays, c’est l’Inde qui compte le plus d’habitants avec ses 1,3 milliards d’habitants. En juin dernier, le conseil indien de la recherche médicale recommandait la prise d’hydroxychloroquine chez les soignants, et les malades sévères ou risquant de développer une forme sévère.

La liste des pays qui ne la recommandent pas, s’allonge

Dans le camp d’en face, les données collectées sur ce sujet, font apparaître qu’ils sont plus nombreux à ne pas la recommander. Parmi ces pays, figurent d’ailleurs tous les pays européens. Le Canada, le Brésil, l’Afrique du Sud, l’Australie déconseillent aussi son utilisation dans le cadre de la covid 19. Si la Chine a été l'un des premiers pays à l'utiliser, elle a, à son tour fait marche arrière, fin août 2020 en déconseillant ce traitement. 

Pour le cas des Etats-Unis, les deux agences de santé : NIH et FDA, sont d’accord : elles ne préconisent pas l’utilisation de l’HCQ. La FDA, agence américaine du médicament a retiré son autorisation, tandis que le NIH,  Instituts nationaux de santé, le déconseille dans le cadre du covid. La NIH, estime de son côté que l’hydroxychloroquine est inefficace dans le traitement de la Covid. Les essais cliniques ont même été suspendus : "le traitement ne fait aucun mal, mais ne fournit aucun avantage", indique le site de l'agence américaine. 

Comment expliquer un tel revirement sur l’utilisation de cette molécule ?

Depuis l’apparition de ce virus, de nombreuses études sérieuses et fiables, correctement menées et analysées ont permis de collecter des données et d’aboutir à des conclusions, à propos de son utilisation. Elles ont été référencées par la société française de pharmacologie et de thérapeutique. 

Matthieu Roustit, chercheur en pharmacologie au CHU de Grenoble explique à LCI ce qu’ont conclu les études, sur ce sujet: "Beaucoup d’études ont été faites depuis le mois de mars, mais peu d’entre elles répondent aux critères de qualité qui permettent de tirer des conclusions claires. Si certains pays ont initialement recommandé l’utilisation de l’hydroxychloroquine sur la base d’études de qualité insuffisante, on dispose depuis maintenant plusieurs mois de résultats d’études randomisées, plus fiables. Malheureusement, toutes concluent à une absence d’efficacité de l’hydroxychloroquine, que ce soit en prévention ou en traitement curatif, et ce quelle que soit la gravité de la maladie. Bien qu’il y ait moins de données sur l’association hydroxychloroquine et azithromycine, les résultats que nous avons aujourd’hui sont également négatifs. Dans ce contexte, des organisations comme l’OMS, l’agence européenne du Médicament ou la FDA aux Etats-Unis, considèrent qu’il n y a pas de place pour l’hydroxychloroquine dans la prise en charge du Covid-19".

En additionnant les populations de ces neufs pays, nous arrivons donc au chiffre d’1,7 milliard de personnes, loin du chiffre énoncé par le Professeur Raoult. 


Samira El Gadir et A.R

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