Que sait-on de l'Artemisia, cette plante vantée par le président malgache pour lutter contre le Covid-19 ?

Publié le 13 mai 2020 à 18h37
Le président malgache n'hésite pas à vanter les bienfaits de cette boisson à base d'Artemisia.
Le président malgache n'hésite pas à vanter les bienfaits de cette boisson à base d'Artemisia. - Source : RIJASOLO / AFP

À LA LOUPE – Réputée pour ses vertus contre le paludisme, l'Artemisia peut-elle prévenir d'une contamination au covid-19 ? C'est ce que soutient Andry Rajoelina le président malgache, des affirmations qui ne sont pourtant pas étayées scientifiquement.

"Si c’était un pays européen qui avait découvert ce remède, est-ce qu’il y aurait autant de doutes ? Je ne pense pas […] Le problème c’est que cela vient d’Afrique. Et on ne peut pas accepter qu’un pays comme Madagascar, qui est le 163e pays le plus pauvre du monde, ait mis en place cette formule pour sauver le monde". Interviewé par France 24, le président malgache Andry Rajoelina n'a pas mâché ses mots. Il a défendu l'efficacité du "Covid-Organic", un breuvage à base de la plante Atermisia mis au point dans son pays.

Cette forme de tisane "est un remède préventif et curatif contre le Covid-19, qui fonctionne très bien", soutient le chef d'Etat, mais des voix s'élèvent pour dénoncer l'absence d'études scientifiques et réclamer des tests de grande ampleur. L'OMS met notamment en garde contre son usage, tandis qu'en France aussi, les autorités de santé émettent d'importantes réserves. 

Une plante familière

Déjà connue au temps des Gaulois pour ses vertus thérapeutiques, l'Artemisia est étudiée par les chercheurs pour ses propriétés curatives. Un traitement contre le paludisme a ainsi été conçu grâce à un extrait de cette plante, permettant à sa conceptrice, la chinoise Youyou Tu de devenir la première femme à décrocher le Prix Nobel de médecine en 2015. 

Aujourd'hui, c'est donc sous la forme d'une boisson aux extraits d'Artemisia que se présente le remède malgache. Une boisson qui fait la fierté du pouvoir malgache et que le président Rajoelina souhaite partager à travers l'Afrique. Il a ainsi annoncé que son pays en ferait don à plusieurs Etats du continent. 

Que pensent les autorités de santé de ce "remède" ? En France, l'Autorité nationale de sécurité du médicament (ANSM) a rapidement appelé à la vigilance. "Nous mettons en garde toute personne souhaitant acheter des produits vendus sur Internet présentés comme pouvant guérir ou prévenir l’infection à COVID-19. Nous avons par exemple constaté des messages portant sur l’Artemisia annua et ses supposées vertus thérapeutiques. Au-delà d’un risque d’inefficacité, le recours à ce type de produits en automédication peut présenter un danger pour la santé", écrit-elle.

Aucune étude scientifique ne vient aujourd'hui corroborer les affirmations du président malgache, ce que rappelle l'OMS. Cette dernière estime que promouvoir de la sorte cette plante pourrait se révéler dangereux : "vanter ce produit préventif pourrait faire croire aux gens qu’ils n’ont pas besoin de respecter les autres mesures", déplore ainsi un responsable de l'organisation pour la zone Afrique.

Aucun contrôle du dosage

Le manque de recul sur le plan scientifique n'est pas le seul argument avancé pour déconseiller le recours à ce breuvage. En effet, la substance recherchée dans l'Artemisia, qui se nomme l’artémisine, n'est pas présente en quantité égale dans les plants récolté et utilisés dans la médecine traditionnelle. La teneur en artémisine peut connaître d'importantes variations en fonction du type de culture, et même se révéler quasi absente de certaines parcelles, ce qui ne permet pas de préjuger de la qualité d'éventuels remèdes réalisés à partir de cette plante. 

"Le problème de la pharmacopée traditionnelle, c'est les difficultés de dosage", précisait auprès de l'AFP le professeur Paul-Henri Consigny, directeur de l’Institut Pasteur. "L'artemisia est une plante dont les composants sont intéressants, sur laquelle il y a beaucoup de choses à découvrir. Mais avec des comprimés stabilisés, on peut savoir quelle quantité est contenue. Avec les produits naturels, c’est impossible."

L'OMS reste néanmoins prudente et n'exclut pas que les bienfaits de la plante puissent être bien réels, mais elle appelle pour l'heure à la prudence. "La médecine traditionnelle, complémentaire et alternative recèle de nombreux bienfaits. L’Afrique a d’ailleurs une longue histoire de médecine traditionnelle et de tradipraticiens de santé qui jouent un rôle important dans les soins aux populations", souligne l'organisation. "Des plantes médicinales telles que l’artemisia annua sont considérées comme des traitements possibles du Covid-19, mais des essais devraient être réalisés pour évaluer leur efficacité et déterminer leurs effets indésirables."

À l'heure actuelle, rien ne permet donc d'affirmer que cette plante connue depuis des siècles pour ses vertus soit efficace de façon préventive ou curative contre le Covid-19. Les autorités de santé mettent en garde contre les traitement artisanaux, dont les dosages sont incontrôlables et parfois infimes, et souhaitent que soient mis sur pieds des tests scientifiques pour juger des effets de l'artémisine. 

Vous souhaitez réagir à cet article, nous poser des questions ou nous soumettre une information qui ne vous paraît pas fiable ? N'hésitez pas à nous écrire à l'adresse alaloupe@tf1.fr


Thomas DESZPOT

Tout
TF1 Info