Candida auris : doit-on craindre la propagation en France de ce "champignon tueur" ?

Recueilli par Audrey Le Guellec
Publié le 11 avril 2019 à 18h20, mis à jour le 11 avril 2019 à 19h15

Source : Sujet JT LCI

ECLAIRAGE - Alors qu’un champignon microscopique et très résistant aux médicaments fait parler de lui dans les hôpitaux du globe, qu’en est-il du risque d’infection en France ? LCI a cherché à en savoir plus auprès du Professeur Stéphane Bretagne, spécialiste en mycologie de l’Institut Pasteur.

"Pas rassurant tout ça", "ça fait peur", "terrible", "Un nouveau sida ?"... La récente alerte autour de l’émergence du Candida auris, un champignon microscopique à l'origine d'épidémies récentes et de morts dans plusieurs hôpitaux à travers le monde, ne manque pas de faire réagir. 

Ces cinq dernières années, ce germe très résistant aux médicaments existants et dont le nom était jusqu'alors inconnu du grand public se serait notamment répandu dans une unité néonatale au Venezuela et dans d’autres établissements en Inde, au Pakistan et en Afrique du Sud. Mais alors que l'hôpital royal Brompton à Londres a du être fermé dix jours en 2016 pour être décontaminé, et que 372 personnes ont été infectées entre 2016 et 2017 dans un hôpital de Valence en Espagne, la question d'une possible propagation en France interroge. LCI a interrogé le Professeur Stéphane Bretagne, chef du service de Parasitologie-Mycologie de l’hôpital Saint Louis (Paris) et directeur adjoint du Centre National de Référence des Mycoses invasives et des Antifongiques. 

LCI - Qu’est-ce que le Candida Auris et faut-il en avoir peur ?

Pr Stéphane Bretagne - Pour faire simple, c’est une levure qui est l'une des grandes familles de champignons avec les moisissures et les champignons filamenteux. Pour précision, on estime qu’il y a au moins un million et demi d’espèces de champignons sur Terre. On en connait bien un millier environ et parmi eux, il n’y en a que dix qui sont rencontrés de façon assez fréquente dans la pathologie humaine.

Jusqu’à il y a dix ans, cette levure n’était pas bien connue et était confondue dans un complexe avec d’autres types de "candida" (un type de champignons qui regroupe une centaine d'espèces et dont la plus répandue est le candida albicans), ce qui veut dire que d’un point de vue clinique, comme on ne savait pas la décrire on ne l’a pas rapportée avant. C’est donc en 2009 que des Japonais ont isolé cette levure et l’ont identifiée. Depuis qu’on sait la reconnaître, il semble qu'elle ait émergé dans plusieurs endroits de la planète, mais essentiellement dans des zones d’Asie du Sud-est, d’Amérique latine où la politique de prescription des antibiotiques et des antifongiques en général est mal maîtrisée. Dans ce contexte, sous la pression de ces médicaments, on assiste à la présence de germes qui deviennent résistants.

On n'est pas dans une situation comparable à Ebola"
Professeur Stéphane Bretagne

Au niveau des symptômes, il n’y a rien qui différencie Candida auris d’autres Candida qui se manifestent par une simple fièvre, le diagnostic se fait donc avec l’hémoculture. En revanche, quand ces levures s’installent dans des services réanimation ce qui est le cas dans la la majorité des cas, les patients étant déjà très fragiles, certains développent des candidémies, c’est à dire que le germe va passer dans le sang : on estime alors qu’un patient sur deux décède dans les 90 jours. 

Ceci étant dit, il faut souligner qu’il est très difficile dans pareil cas de faire la part entre l’agressivité de la levure et le statut des patients déjà très affaiblis. Ce qui fait la particularité de Candida auris c’est que lorsqu’un patient est colonisé, on est à peu près certain que les patients d’à côté le sont aussi et qu’il va falloir fermer le service pour tout désinfecter. 

S’il y a lieu de s'inquiéter ? Uniquement parce que la propagation de ce germe s’inscrit dans un phénomène plus général  qui est l’émergence de microorganismes multi résistants. Mais pas au point de parler de germe tueur puisqu'il ne présente pas de menace pour les bien portants. On n'est pas dans une situation comparable à Ebola. 

LCI - Des cas ont-ils déjà été détectés en France ?

Pr Stéphane Bretagne - Pour être honnête, en France, on ne s’y est pas intéressé plus que ça en 2009. C’est quand les premiers cas ont été signalés chez nos voisins européens, et que des annonces ont été faites, que les mycologues français ont été alertés. Ce qui est certain, c’est qu’en France, on n’a assisté à aucune épidémie comme ça a été le cas ailleurs avec 50 personnes concernées dans un service de réanimation. En revanche, il y a bien eu un signalement dans un service de réanimation de Tours. Il s’agissait d’un candidat à une greffe de foie dont les prélèvements superficiels ont révélé la présence de cette levure. A noter qu’il avait été hospitalisé en Iran et en Inde avant la France, donc ces fameux pays où la politique de la prescription des antibiotiques et des antifongiques est en général est mal maîtrisée. Les hygiénistes ont alors été alertés et ont pris des mesures qui sont celles que l’on prend pour les patients porteurs de bacilles multi-résistants et il se trouve que le patient n’a pas développé d’infection. Il n’y a pas eu non plus de cas secondaire. Pour rappel, il y a une différence entre le patient dit "colonisé" (la présence du germe est détectée sur sa peau, ses selles, sa bouche, etc) et le patient infecté ( la présence de la levure est présente dans son sang).

Un second cas français a été rapporté, il concernait La Réunion. Cette fois Candida auris était présent dans les urines du patient. Maintenant que l’on sait identifier cette levure, il est certain que davantage de cas sont rapportés. Nous, par exemple, au Centre National de Référence des Mycoses Invasives et Antifongiques, on investigue en ce moment sur un cas historique datant de 2005 que l’on a retrouvé dans nos anciennes collections.

Désormais la réponse au Candida auris existe"
Professeur Stéphane Bretagne

LCI - Comment expliquer que l’on ait été préservé jusqu’alors et peut-on espérer que cela dure ?

Pr Stéphane Bretagne - Mon hypothèse, concernant la gestion des bacilles multi-résistants c’est qu’en fait on traite sans le savoir, on contrôle la situation sans le savoir comme ça a été fait à Tours. C’est-à-dire que même si le patient arrive avec le germe, comme on l’identifie et qu’on le sait, des mesures sont prises et on évite ainsi la dissémination.

Il est important de préciser que la probabilité de passer à côté du diagnostic semble relativement faible aujourd’hui en France puisque les méthodes actuelles d’identification ont été mises à jour pour inclure ce germe-là dans les machines qui nous permettent de faire les diagnostics : on y met la colonie et elles analysent son contenu en protéines puis le résultat est comparé à une banque de données, ce qui permet à la machine de livrer l’identification. Comme désormais la réponse au Candida auris existe, rater l’identification est relativement peu possible.

Il ne faut pas pour autant tomber dans le satisfecit béat mais tant que des meures pourront être prises avec un indice de suspicion élevé, qu’on aura les moyens de rester en alerte en dépistant puis en isolant le patient, à mon avis, on contrôle assez bien l’affaire. La seule chose sur laquelle on pourrait davantage travailler c’est le dépistage des patients colonisés qui n’est pas encore forcément optimum dans tous les hôpitaux. 


Recueilli par Audrey Le Guellec

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