Scandale des cadavres à la fac de médecine de Paris : "Il faut que les familles portent plainte"

Publié le 27 novembre 2019 à 15h48, mis à jour le 28 novembre 2019 à 19h55

Source : Sujet JT LCI

EFFROI - Des corps légués à la science auraient été accueillis dans des conditions indignes à l’Université Paris-Descartes, selon d'effroyables révélations de L’Express. Un "scandale majeur" pour le président de l'Union française pour une médecine libre qui va déposer. Ce mercredi, la faculté annonce la fermeture provisoire du centre.

Dans une enquête publiée mardi soir sur son site Internet, L'Express révèle que, jusqu'en 2018 au moins, le Centre du don des corps de l'université Paris-Descartes a accueilli les milliers de dépouilles léguées à la science dans des conditions indignes. Corps pourrissant faute de chambres froides climatisées, cadavres rongés par les souris et empilés les uns sur les autres… Les détails sont effroyables. 

Au lendemain des révélations sur ces dysfonctionnements, Jérôme Marty, président de l'Union française pour une médecine libre, annonce ce mercredi que son syndicat va déposer plainte : "Ceux qui se sont rendus coupables de ce scandale salissent la médecine de France et son anatomie. Nous ne devons pas laisser à penser que d’autres situations similaires existent (ce que nous savons ne pas être le cas), les doyens des facultés doivent parler", a-t-il tweeté. 

Contacté par LCI, Jérôme Marthy confirme que ces révélations l’ont glacé d’effroi : "La première réaction que l’on a, en lisant l'article de L'Express, c’est de se dire que ce n’est pas possible. Nous sommes en 2019, pas au Moyen-Âge. J’ai pris mon téléphone, j’ai appelé les personnes nommées dans l’enquête et m’ont tous dit que ce qui était écrit était vrai, à la virgule près. Tous les témoignages concordent. L'Union française pour une médecine libre a saisi l’Ordre des Médecins ce mercredi, tant c’est à l’opposé de ce que doit être un médecin." 

"Ces pratiques contreviennent à trois articles très généraux du code de déontologie", poursuit-il. "Comme l'article 2 du code de déontologie médicale stipulant que 'le médecin, au service de l'individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité. Le respect dû à la personne ne cesse pas de s'imposer après la mort'. Le fait d’avoir laissé des corps en pourrissement, mangé par des souris et des rats, c’est une première faute impardonnable." 

"Une atteinte à la dignité et à l'intégrité de la personne"

Autre révélation contenue dans l'article édifiant de L'Express, certains corps seraient revendus, entiers ou démembrés, à des entreprises privées sans le consentement du défunt ou de ses proches, alors qu'ils sont censés être utilisés exclusivement pour la recherche médicale ou la formation des futurs médecins. 

"L’autre problème gravissime, c’est la destination des corps", poursuit auprès de LCI le président de l'Union française pour une médecine libre. "Selon leur dernière volonté, les défunts ont légué leur corps à la science et ils n’ont pas à être adressés à des entreprises privées pour faire des crash-test. Vient également le problème du monnayage des corps. On s’aperçoit au gré de l'enquête qu’il y aurait eu un trafic commercial des corps vendus en entier ou par morceaux, ou vendus à l’industrie. En d'autres termes, des médecins ont monnayé des corps à des entreprises privées, tout à fait externes à la faculté." 

"On est bien dans un scandale majeur qui retentit profondément sur la profession, contrevenant à l’article 31 du code déontologique médicale stipulant que 'tous les médecins doivent s’abstenir, même en dehors de l’exercice de sa profession, de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci'. Et sur l’article 3 stipulant que le médecin doit respecter les principes de moralité, de probité, de dévouement indispensable à l’exercice de la médecine. Des articles généraux mais fondateurs et on ne peut pas laisser faire ça." 

Des dysfonctionnements connus de tous ?

Dans l’enquête de L'Express, le Pr Guy Vallancien, chirurgien, membre de l'Académie de médecine et directeur du CDC des Saints-Pères de 2004 à 2014 témoigne : "J'ai toujours rêvé qu'un journaliste vienne et raconte comment sont traités les corps." En d’autres termes, tout le monde savait. "On nage en plein délire. C’est ahurissant", s’exclame Jérôme Marty.

A cette époque-là, on n’a pas prévenu la presse parce qu’on voulait ménager l’anatomie française.
Brigitte Mauroy, ancienne présidente du comité d'éthique à l’Université Paris-Descartes

Cette situation indigne aurait perduré pendant des années. Fin 2017, Richard Douard, alors président du CDC, Xavier de Bonnaventure, membre du comité d'éthique, ainsi que la professeure Brigitte Mauroy, présidente de ce même comité, avaient démissionné pour protester face à l'inaction des pouvoirs publics. 

Egalement contactée par LCI, Brigitte Mauroy assure avoir quitté ses fonctions pour les raisons expliquées dans l’article de L’Express : "J’étais présidente du comité d’éthique, un poste très honorifique étant donné que c’est le cœur de l’anatomie française et j’avais bien mes raisons de démissionner, tout comme Xavier de Bonnaventure et Richard Douard. A cette époque-là, on n’a pas prévenu la presse parce qu’on voulait ménager l’anatomie française. Tout simplement parce que dans les autres laboratoires des autres facultés de France, ça ne se passe pas comme ça. On traite les corps avec un esprit d’éthique et un humanisme en considérant que ceux qui ont légué leur corps ont fait un acte citoyen." 

Avec de telles révélations, le risque est d'ailleurs que le scandale génère une psychose chez les futurs donneurs et retentisse sur les autres facultés qui, elles, adoptent un bon comportement.

"Si les familles portent plainte, l’affaire passe au pénal"

Comme nous l'a confirmé Jérôme Marthy, une saisine du Conseil de l'Ordre des médecins, dite ordinale, est par ailleurs partie ce mercredi. Selon d’autres sources également contactées par LCI et qui ont tenu à garder l’anonymat, "pour que les choses bougent concrètement, il faudrait que les familles des dépouilles des défunts témoignent" : "On s’imagine toujours que les gens qui donnent leurs corps sont des SDF. Or, pas du tout : c’est souvent des CSP+. Et alors si les familles portent plainte, l’affaire passe au pénal. Et les familles ne connaissent pas forcément le chemin de la plainte. Comme cette pratique infâme a duré pendant des années, des milliers de personnes sont concernées."

En fin de journée ce mercredi, en réaction à l'enquête, l'Université René-Descartes a annoncé la fermeture provisoire du Centre du Don des Corps. 


Romain LE VERN

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