Scandale des cadavres à la fac de médecine de Paris : que devient un corps légué à la science ?

Publié le 28 novembre 2019 à 16h19, mis à jour le 28 novembre 2019 à 23h36

Source : Sujet JT LCI

ODYSSÉE - L’enquête parue dans "L'Express" incriminant le CDC de l'université Paris-Descartes peut générer des craintes légitimes chez ceux qui voudraient léguer leur corps à la science. De quoi donner un éclairage nécessaire sur ce que son corps devient lorsque l'on entreprend une telle démarche et comment il est utilisé par la médecine.

Locaux vétustes, dépouilles putréfiées... Accusé par L'Express de conserver dans des conditions indécentes les dépouilles des personnes ayant choisi de faire don de leur corps à la science, un centre spécialisé de l'Université Paris-Descartes a été immédiatement fermé ce mercredi. La fac de médecine a présenté "ses excuses aux familles sur cette situation" mais une question légitime subsiste : quid de l’impact d’un tel scandale sur les futurs donneurs ? 

De la méfiance, à n’en pas douter, comme en témoignent certains sur les réseaux sociaux. "Comment être sûr que cela ne se passe pas ailleurs ?", s'interroge cette internaute. "Je voulais donner mon corps à la science mais avec cette histoire, hors de question."

Comment s’assurer en effet que les corps légués sont (et seront) bien traités dans tous les instituts ? A la lecture de l’article paru dans L'Express, Loris, 21 ans, jeune étudiant en fac de médecine à Nantes spécialisé en anatomie, ne masque pas sa consternation. 

"Dans un premier temps, ce n’est pas l’étudiant en médecine qui réagit mais l’humain, je me mets à la place des familles et je suis assez horrifié", avoue-t-il à LCI. "La personne en elle-même est décédée mais elle a fait part de son vivant à sa famille de son intention de donner son corps à la science. J’ai une première pensée pour le respect de la dignité humaine. Quand le corps arrive au laboratoire, il est certes anonyme mais il n’est pas personne, il est une personne. C’est ainsi qu’on l’envisage, nous, à l'université de Nantes. Dans un second temps, en tant qu’étudiant, lorsque l’on donne son corps à la science, il s’agit d’une démarche profondément altruiste et pas gratuite - à Nantes, cela coûte entre 800 et 900 euros de donner son corps à la science."

Lorsque j’ai lu l’enquête de "L’express", je suis tombé des nues.
Loris, étudiant en médecine, à l'université de Nantes

Loris redoute ainsi que la médiatisation d’un tel scandale échaude des personnes au départ désireuses de léguer leur corps à la science et qui menacent de lever leur consentement. "Et il est tout à fait compréhensible", concède l'étudiant en médecine. "Je tiens personnellement à exprimer ma gratitude aux gens qui nous ont fait l’ultime cadeau si bien, que très sincèrement, lorsque j’ai lu l’enquête de L’express, je suis tombé des nues. Et je dois admettre que je suis inquiet par rapport au risque de raréfaction de ce don, compte tenu de l’importance qu’il revêt dans notre formation."

Odyssée du corps légué

Que faire alors pour rassurer celles et ceux qui restent dubitatifs ? Dire clairement ce que devient un corps une fois légué à la science, comme le renseigne factuellement l’administration française : dans la plupart des cas, les corps finissent incinérés anonymement et leurs cendres dispersées dans un jardin du souvenir. Ce qu'a fait, par exemple, le Ceran (Centre des dons du corps) à l’Université de Nantes dans un cimetière-parc de 1992 à 2008. Aujourd'hui, lesdites cendres sont dispersées près d'Angers et cela reste une manière d’accompagner les dépouilles avec révérence. 

Et entre temps, comment le corps transite ? Loris, qui a entrepris d’étudier la médecine pour être "utile aux autres", rappelle à LCI que les modalités précises dépendent de chaque centre dans lequel on décide de léguer son corps : "Dans le cas de la faculté de Nantes, le transport du corps est assuré après le décès. Et plusieurs choses d’emblée sont vérifiées : que ce ne soit pas une mort suspecte, qu’on a bien le consentement de la personne en question, que le corps n’est pas contagieux… A partir de là, deux possibilités : soit le corps peut être utilisé à l’état frais, notamment pour des étudiants chirurgiens ; soit il va subir des processus de conservation, notamment dans du formol. L’exemple le plus connu du grand public, ce sont les chirurgiens qui mettent au point de nouvelles méthodes, qui travaillent la chirurgie cardio-thoracique ou la neurochirurgie."

Grâce à un don de corps, Loris peut, lui, en tant qu'étudiant, approfondir sa formation de l’anatomie : "Lors d'un cours, pour chaque binôme, un bras était mis à disposition, allant de l’épaule à la main. L'un disséquait le bras, l’autre l’avant-bras et la main. Cela permet d’appréhender les rapports entre nerfs, muscles, le lien avec la physiopathologie, les symptômes du patient, de visionner ce que l’on connaissait avant qu’à travers des schémas à la craie aux tableaux. Cela permet aussi de corriger certaines idées fausses préconçues que l'on se faisait."

A la première erreur, le conseil de discipline explique clairement aux étudiants que la faute sur le corps légué à la science est intolérable, primale. Dès le début.
Jérôme Marty, président de l'Union française pour une médecine libre

Un exemple parmi tant d'autres d'étudiant respectueux des corps, donc. Aucun dérapage n’est autorisé à ce sujet, comme le confie à LCI Jérôme Marty, président de l'Union française pour une médecine libre : "Un conseiller ordinal qui s’occupe de la chair d’anatomie dans une faculté en France qui me racontait que lors d’une dissection, un étudiant a cru intéressant de crever l’œil du cadavre sur lequel il officiait, pour faire le malin auprès des autres étudiants. Il m’affirme l’avoir immédiatement sorti de la salle et l’avoir envoyé en conseil de discipline pour lui expliquer que la faute sur le corps légué à la science est intolérable, primale, dès le début." Ce qui, à ses yeux, rend le charnier de l’université Paris-Descartes incompréhensible et inadmissible. Ce dernier nous assure à ce sujet via Twitter que l’affaire avance. 

Brigitte Mauroy, ancienne directrice du centre des corps entre 2013 et 2016, rappelle de son côté à LCI à quel point, en dépit de l’horreur décrite dans l’enquête de L’Express, la science a besoin des dons de corps "pour l’anatomie, pour la formation des médecins, pour la formation des chirurgiens, pour la recherche" : "Il faut rappeler, asséner, que dans les autres laboratoires, non ça ne se passe pas comme ça et ce qui s’est passé à Paris est profondément scandaleux. Quand on reçoit des corps à la faculté, évidemment qu’on les traite avec respect. En tant qu’urologue, je travaille sur la vessie, la prostate… Aux alentours de 2010, j’avais fait des recherches sur l’étude de l’innervation des organes dans le pelvis et ce travail a permis de cerner l’innervation de la cavité pelvienne et de mieux comprendre les pathologies." Soit autant de versants de l’anatomie nécessitant absolument des dons de corps.  

Face à cet opprobre jeté sur sa prédilection, l’étudiant en médecine n’attend alors qu’une chose : "Je veux évidemment qu’une enquête soit ouverte, mais qu’elle soit transparente, accompagnée d’une communication adressée au grand public pour dire que non, ce n’est pas normal ce qui s’est passé au Centre des corps de Paris et que oui, les personnes dont la responsabilité sera démontrée dans l’enquête seront confrontés à leurs actes et à la justice."


Romain LE VERN

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