"Tout le monde a peur d’être touché" : la difficile prise en charge de la détresse psychologique des soignants

Publié le 24 mars 2020 à 20h25
"Tout le monde a peur d’être touché" : la difficile prise en charge de la détresse psychologique des soignants
Source : JEFF PACHOUD / AFP

EN PREMIÈRE LIGNE - Pour accompagner les soignants dans la gestion de cette épidémie, d’une ampleur jamais vue en France, des cellules d’écoute téléphonique ont été mises en place. Le personnel hospitalier monte au front, dans l’inquiétude et l’épuisement.

Dans la "guerre sanitaire" contre le Covid-19, cet ennemi invisible, selon les mots d’Emmanuel Macron, les soldats, ce sont eux : médecins, infirmiers, anesthésistes, réanimateurs, manipulateurs radio… Au front depuis le début,  ils se retrouvent aujourd’hui en première ligne dans la gestion de cette crise sanitaire sans précédent. Pour soulager leurs efforts ininterrompus, il y a ceux qui applaudissent chaque soir à 20 heures de leur bout de balcon, ceux qui lancent des opérations de solidarité, et puis ceux qui les écoutent. 

Des cellules d'écoutes créées face à l'urgence

Ainsi, plusieurs cellules d’écoute téléphoniques, constituées de psychiatres et psychologiques, se mettent en place à l’échelle régionale. C’est le cas en interne à l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) selon le collectif inter-hôpitaux, avec des lignes ouvertes pour les soignants mais encore peu sollicitées. A Clermont-Ferrand, une plateforme vient tout juste de se lancer, à l’intention du personnel du CHU de la ville. "L’idée est de pouvoir les accompagner et qu’ils aient un espace d’écoute", détaille à LCI Delphine Bourguet, psychologue clinicienne à l’hôpital de Clermont. "Une première évaluation sera faite avec la possibilité de rencontrer un psychiatre s’il y a un besoin thérapeutique." 

Au niveau national, la plateforme d’écoute créée en 2016 par l’association Soins aux Professionnels en Santé (SPS) s’évertue à communiquer sur son existence en cette période critique. Son président, le docteur Eric Henry, explique à LCI avoir lancé une vaste campagne de presse en début de semaine, aidée financièrement par la famille Bettencourt. Pour l’instant, les appels émanent à 60 % de familles de soignants et à 40 % de soignants eux-mêmes. "Ce qui nous angoisse, c’est que les gens ne savent pas qu’ils peuvent nous appeler". La cellule mobilise aujourd’hui 100 psychologues, contre 75 habituellement, et a accru sa capacité de réponse, allant de 2000 à 4000 coups de fil par jour. "Une trentaine de directeurs d’hôpitaux nous ont appelé lundi, pour avoir des informations", confie le médecin qui y voit là un signe encourageant. 

L'angoisse de tomber malade dans toutes les têtes

Des projets, initiés en urgence pour certains, qui répondent aux signaux d’alerte des soignants depuis plusieurs semaines. Partout en France, les soignants font face à la pandémie. Cette crise sanitaire  inquiète ceux qui risquent leur vie et la vie de leurs proches pour sauver celle des autres et qui s’exposent ainsi à de grandes souffrances psychologiques. Dans l’immédiat, le personnel de santé a besoin de sécurité, explique à LCI la psychologue Mélissa Haroux de La Pitié Salpêtrière, mais aussi "de voir que les Français jouent le jeu en ne prenant pas de risques inutiles car c’est en faire prendre aux soignants qui devront gérer plus de malades".

Dans ce contexte, difficile pour le personnel hospitalier de rassurer les patients, alors qu’eux-mêmes ne le sont pas. A l’AP-HP, où près de 500 soignants sont contaminés par le Covid-19, l’angoisse de soigner des malades et de contracter le virus à leur tour est dans toutes les têtes. "Tout le monde a peur d’être touché", souffle Mélissa Haroux. Selon elle, le personnel craint aussi de finir par devoir choisir entre les patients, faute de places et de moyens suffisants. "Je ne sais pas l’effet psychologique que ça peut produire sur le moyen terme", confie-t-elle. "Des protocoles pour accompagner la fin de vie sont mis en place dans les hôpitaux mais ça ne va pas empêcher le tri des patients. En termes de culpabilité, c’est plutôt la mort en masse qui va être difficile à gérer", poursuit Mélissa Haroux. "Les soignants sont aujourd’hui coincés dans un mécanisme d’empathie, où ils oublient de se mettre à distance, et se retrouvent traumatisés par la mort des patients." 

Les hôpitaux publics déjà à flux-tendu

Ajouté à cela, la crise sanitaire intervient dans un contexte particulier pour l’hôpital public, à flux-tendu depuis de mois, avec un personnel qui "crie son désespoir depuis longtemps", estime la psychologue. "D’un coup, on traite les soignants comme des héros alors qu’ils ont été considérés comme des moins que rien pendant longtemps. On vit déjà dans notre quotidien avec peu de moyens, avec l’impression de devoir faire des choses avec des bouts de ficelle."

D’où la nécessité de tendre une oreille attentive aux professionnels de santé. Une prise en charge psychologique à distance s’est rapidement instaurée à l’AP-HP mais pour la psychologue, cette aide est pour l’instant trop éloignée des préoccupations des soignants : "Ce que je vois sur le terrain, c’est un manque de recul : il n’y a pas de sas de décompression dans l’immédiat. On leur dit qu’ils peuvent appeler des psys mais il faut déjà qu’ils sortent de cette période. Les psys le savent, c’est la période de l’après qui va être dure."


Caroline QUEVRAIN

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