Variant Omicron : le vaccin favorise-t-il l'infection au Covid via des "anticorps facilitants" ?

Publié le 18 janvier 2022 à 6h36

Source : TF1 Info

LES VÉRIFICATEURS AVEC L'INSERM – Depuis plusieurs semaines, certains affirment que la vaccination provoquerait face au variant Omicron des "anticorps facilitants" qui favorisent l'infection au Covid-19 chez les vaccinés. Nous décortiquons cette hypothèse avec l'Inserm.

Soucieuse de lutter au quotidien contre les fausses informations, l'équipe des Vérificateurs a noué un partenariat avec l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Objectif : interroger les chercheurs les plus aguerris et répondre aux questions que se posent les internautes sur le coronavirus et la vaccination.

Il s'agit aujourd'hui de décrypter la nouvelle théorie en vogue dans la sphère anti-vaccin. Faute d'avoir pu démontrer que les 9,68 milliards de doses inoculées dans le monde comportaient un danger, les opposants à la vaccination estiment désormais que, face au nouveau variant Omicron, le vaccin "favorise les infections" à cause des "anticorps facilitants". En tête de gondole, Florian Philippot, militant anti-masque et anti-restrictions qui a prédit ce lundi 17 janvier sur Twitter que cette nouvelle théorie, popularisée par Didier Raoult, allait mettre "très, très en colère" les Français. Mais est-elle seulement crédible ? Nous avons posé la question au professeur Xavier de Lamballerie, directeur de l'Unité des Virus Émergents (Inserm, Université Aix-Marseille).

Hypothèse surveillée dès l'automne 2020

Pour appuyer sa nouvelle hypothèse du moment, le professeur Didier Raoult est parti d'une seule observation. Les personnes vaccinées testées positives à l'IHU le seraient dans un intervalle de deux semaines. Il a également affirmé (à tort, comme nous le démontrons ici) que les pays les plus vaccinés sont ceux qui enregistrent le plus de contaminations. Preuve dès lors, aux yeux de ce microbiologiste épinglé par l'Ordre des médecins, que le vaccin produirait des "anticorps facilitants".

Cette théorie, que le défenseur de l'hydroxychloroquine n'étaye d'aucune étude spécifique, transpose au Covid-19 un mécanisme observé avec la dengue. Dans le modèle de cette maladie tropicale transmise par les moustiques, "on sait que certains anticorps, particulièrement ceux qui sont peu efficaces, peuvent s'accrocher sur le virus et l'amener vers des cellules immunitaires", comme nous le résume le professeur Xavier de Lamballerie. Ces dernières, dotées de récepteurs spécifiques, saisissent cet anticorps "lié en fait au virus, qui infecte alors la cellule". À la manière d'un cheval de Troie. Un phénomène qu'on retrouve derrière les acronymes ADE, pour antibody-dependent enhancement (aggravation dépendante des anticorps) ou VAED, pour vaccine-associated enhanced disease (maladie aggravée par la vaccination). 

Si ce phénomène a "passionné le monde de la science depuis plusieurs décennies" du propre aveu de notre interlocuteur, il n'est "absolument pas systématique". Avec la dengue, ce mécanisme ne peut être observé "que dans certaines circonstances très précises". À savoir, lorsqu'une personne qui a déjà fait un épisode de dengue, avec l'un des quatre sérotypes existants, fait une deuxième infection par un sérotype différent. Et même dans ce cas de figure, "la facilitation par les anticorps n'est pas systématique, mais il a été proposé qu'elle soit un des déterminants des formes sévères de la maladie"

Un mécanisme "très particulier", propre à ce virus, qui possède quatre stéréotypes différents, et qui ne peut pas être transféré aussi facilement à l'épidémie actuelle. De fait, pour que cette hypothèse soit valable, il faudrait que les cellules de l'immunité qui accrochent le complexe anticorps-virus puissent être infectées par le Covid-19, comme cela est observé pour le virus de la dengue. Or, à ce jour "aucun élément scientifique et factuel ne le montre", note Xavier de Lamballerie.

Et ce n'est pas faute d'y avoir prêté une attention toute particulière. La question des anticorps facilitants est surveillée depuis le début du développement des vaccins. On retrouve d'ailleurs un article à ce propos dans le dictionnaire médical Vidal. Daté du 3 novembre 2020, il résumait alors les questions et incertitudes à ce sujet. Face à un vaccin au seuil "d'efficacité minimal (…) fixé à 50 % par les agences de régulation", il semblait ainsi important aux yeux de la communauté scientifique que "l'hypothèse" d'un phénomène d'ADE ou de VAED soit "étudiée". 

Analyse faite dès les premiers essais cliniques et précliniques des laboratoires. "Tous les laboratoires proposant des candidats vaccins ont dû présenter des données sur l'absence de facilitation par les anticorps aux agences réglementaires", rappelle le directeur de l'Unité des Virus Émergents. On en retrouve par exemple la trace dans une étude sur le sujet parue dans la revue Nature dès septembre 2020. 

Après plus d'un an d'administration des vaccins et près de cinq milliards de personnes immunisées, rien ne corrobore cette hypothèse aujourd'hui. Bien au contraire. Des travaux décrits comme "très sérieux" par Xavier de Lamballerie ont comparé les charges virales de patients infectés au Covid-19 en fonction de leur statut vaccinal. Pour cette étude, la plus complète à ce sujet, une équipe singapourienne a mesuré quotidiennement la quantité de virus présente dans les prélèvements de 218 sujets infectés par le variant Delta. Si, au moment du diagnostic, cette valeur (CT) était la même chez les deux groupes, elle baissait significativement dès le sixième jour chez les 71 personnes complètement vaccinées. Si la théorie des anticorps facilitants étaient exacte, "les charges virales des vaccinés devraient être plus importante que celles du groupe témoin". "La simple observation vient contredire cette théorie, on ne peut donc certainement pas la présenter comme un phénomène généralisé", conclut notre interlocuteur.

De simples "supputations"

Cette absence de preuves ne suffit cependant pas à dissuader les fervents défenseurs de cette théorie, qui ont publié leurs considérations dans un article (non révisé par les pairs) largement repris, et notamment par Didier Raoult. S'ils pensent que la balance entre les anticorps facilitateurs et neutralisants chez les personnes vaccinées était en faveur de la neutralisation pour la souche originale du Covid-19 ainsi que pour les variants Alpha et Beta, ils accusent désormais Omicron d'affecter "considérablement" cet équilibre à la "faveur des anticorps facilitants". 

Des propos considérés avec circonspection par la communauté scientifique et que rien de concret ne vient étayer pour l'instant. "L'analyse des mécanismes qui modulent l'épidémiologie de la maladie mérite toute notre attention, bien entendu, mais on ne peut se contenter de supputations : il faut apporter des éléments scientifiques probants", résume notre interlocuteur. Avant de souligner par ailleurs, pour ceux qui penseraient que le phénomène ne s'applique qu'aux vaccinés infectés par le variant Omicron, qu'une nouvelle étude réalisée par des équipes scientifiques de Genève (en cours de publication) rapporte, à la fois pour le variant Delta et le variant Omicron, que les charges virales sont plus faibles chez les patients vaccinés et infectés que chez les patients infectés non-vaccinés. À ce stade, "absolument aucune donnée scientifique" n'a donc été publiée en faveur d'un mécanisme d'anticorps facilitants. 

D'autant que, même au niveau théorique, les défenseurs de cette thèse n'ont toujours pas avancé "comment ce mécanisme pourrait fonctionner avec le Covid-19", note Xavier de Lamballerie. Même constat du côté du virologue et épidémiologiste Scott Halstead. Celui qui est tout de même l'un des pionniers de cette théorie des anticorps facilitants dans la maladie de la dengue, a conclu, le 15 décembre 2020, "que les différences dans les caractéristiques cliniques, épidémiologiques et pathologiques" entre les deux maladies suggèrent que l'ADE "ne contribue pas à la gravité des infections naturelles à coronavirus humain". En résumé, il n'existe aujourd'hui aucun fait ou article scientifique en faveur de cette théorie. "Personne ne vient apporter ne serait-ce qu'un début de preuve. C'est, pour l'heure, le vide intersidéral", s'amuse Xavier de Lamballerie. 

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Felicia SIDERIS

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