Les vaccins Pfizer et Moderna sont-ils dangereux pour les femmes enceintes ?

Publié le 20 avril 2021 à 16h54
Les vaccins Pfizer et Moderna sont-ils dangereux pour les femmes enceintes ?
Source : istock

LES VÉRIFICATEURS AVEC L'INSERM - Avec l'ouverture de la vaccination contre le Covid-19 aux femmes enceintes, des internautes s'inquiètent des potentiels effets du vaccin à ARN messager sur la mère et le fœtus. Nous y répondons avec Marie-Ghislaine de Goër, ingénieure à l'Inserm.

Soucieuse de lutter au quotidien contre les fausses informations, l'équipe des Vérificateurs a noué un partenariat avec l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Objectif : interroger les chercheurs les plus aguerris et répondre aux questions que se posent les internautes sur le coronavirus et la vaccination. Dans cet épisode, nous décryptons les craintes autour de la vaccination à ARN messager (ARNm), technologie utilisée par Pfizer et Moderna, chez les femmes enceintes.

Le 3 avril dernier, la Direction générale de la santé (DGS) a élargi l'accès à la vaccination aux femmes enceintes, avec ou sans comorbidités, à partir du quatrième mois de grossesse. Pourtant, les essais cliniques n'ont pas porté sur cette population. Les vaccins à ARNm seraient-ils donc dangereux pour les femmes enceintes ?

Non, l'ARNm n'arrive pas jusqu'au fœtus

Ce qui apparaît comme une "anormalité" aux yeux de ce public inquiet est en réalité tout à fait banal. Auprès de LCI.fr, la Dr Marie-Ghislaine de Goër rappelle que les essais cliniques "ne sont presque jamais réalisés sur des femmes enceintes, sauf des cas très particuliers et strictement encadrés sur le plan réglementaire". Alors comment s'assurer que cette technologie ne soit pas dangereuse pour la mère ou son fœtus ? 

Tout d'abord, sur un point théorique, comme nous l'avons déjà expliqué (ici), il est impossible que l'ARN messager puisse s'intégrer dans le génome humain. Et encore moins qu'il arrive à atteindre le fœtus. Pour rappel, cette molécule a une durée de vie très courte, estimée chez l'homme entre quinze minutes et 24 heures. "L'ARNm délivré par le vaccin reste à l'intérieur des cellules musculaires situées à proximité du point d'injection, il y sera rapidement dégradé et ne peut pas migrer", rappelle ainsi l'ingénieure au sein de l'unité Immunologie intégrative des tumeurs et immunothérapie du cancer de l'Inserm. 

Comme l'expliquait déjà l'Institut national de la santé et de la recherche médicale en décembre dernier, "en aucun cas l'ARN ne va jusqu'aux cellules des organes reproducteurs". Il ne peut donc pas être transmis d'une génération à l'autre. Contrairement à ce que pensent certains internautes, "on ne devient pas des OGM parce qu'on a reçu un ARN", résume la chercheuse. 

Comment expliquer dès lors que le vaccin fonctionne sur le nouveau-né ? Car la mère s'immunise. "Elle fabrique des anticorps, et ce sont ces anticorps qui protègent ensuite le fœtus." Aux États-Unis, les femmes enceintes ont récemment commencé à être vaccinées et leur réponse immunitaire étudiée. Dans un article paru dans American Journal of Obstetrics and Gynecology, une équipe de Boston a montré que les femmes enceintes vaccinées avaient des niveaux d'anticorps contre le Covid-19 équivalents à ceux de femmes vaccinées non enceintes. De plus, chez celles qui ont accouché, les anticorps étaient détectables dans le sang de cordon et dans le lait maternel.

En plus de ces données sur la sécurité et l'efficacité du vaccin, on dispose désormais des preuves qu'il n'existe pas de danger particulier pour les femmes enceintes qui se font vacciner. Les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), des États-Unis - où la population est largement immunisée avec les vaccins des laboratoires Pfizer et Moderna - n'ont ainsi relevé aucun sur-risque de fausse-couche, enfant mort-né ou complication de grossesse dans la population de femmes enceintes vaccinées. Selon leur analyse, les chiffres sont en effet similaires à ceux observés dans la population enceinte non vaccinée.

Pourtant, des internautes assurent, document à l'appui, qu'au Royaume-Uni les fausses couches ont "explosé de 366%" avec la vaccination. Le chiffre provient en fait des données de la pharmacovigilance de l'agence britannique du médicament (MHRA), mais a été complètement sorti de son contexte. L'agence relevait simplement que le nombre de femmes ayant reçu au moins une dose et ayant subi une fausse couche était de six sur une période allant du 9 décembre au 24 janvier. Or, ce même chiffre était de 22 sur la période 2, qui couvre le 24 janvier au 7 mars. C'est cette fameuse "explosion de 366%", calculée par les internautes. Mais ces cas ne sont pas un effet du vaccin. Cette hausse est  simplement liée au nombre de femmes en âge de procréer qui ont été vaccinées entre ces deux périodes. L'agence britannique expliquait ainsi à l'AFP le 1er avril dernier que "le nombre de femmes ayant reçu un vaccin est, selon nos estimations, passé de 665.424 à 2.146.866" entre le 24 janvier et le 7 mars. "Il n'existe aucun élément suggérant un risque accru de fausses couches lié aux vaccins anti-Covid", assurait l'agence sanitaire.

De nouvelles données à l'origine de ce choix

S'il n'y a pas de sur-risque lié à la vaccination pour les femmes enceintes, l'infection par le coronavirus peut, au contraire, s’avérer plus dangereuse pour elles. Plusieurs études ont montré les effets du virus chez ce public, mais aussi sur l'issue lors de l'accouchement et sur les nouveaux-nés. Et les données sont, là, inquiétantes. Une méta-analyse effectuée par une équipe de l'hôpital Antoine Beclère, publiée en octobre 2020, a relevé que 55% des bébés infectés par le coronavirus avaient développé une forme symptomatique. Et parmi eux, un peu plus de la moitié présentait des manifestations respiratoires.

Quant aux mères, là aussi "le risque est accru". D'après un article paru dans Nature, à partir des données des CDC des États-Unis incluant plus de 400.000 femmes positives au Covid-19, le risque que l'une d'entre elles soit admise en unité de soins intensifs est 62% plus élevé si la femme est enceinte. Et le risque d'avoir besoin d'une ventilation invasive est 88% plus élevé. Un article à paraître dans The Pediatric Infectious Disease Journal corrobore cette observation, estimant que parmi les femmes enceintes porteuses du virus, 11% ont dû faire un passage en réanimation et 8% ont été intubées. Des taux "non négligeables" pour reprendre les mots de la Dr Marie-Ghislaine de Goër. Enfin, il y a aussi des effets sur l'accouchement. D'après la même source, 28% des mères qui ont la maladie accouchent prématurément et plus de la moitié (57%) par césarienne. "On observe donc qu'il y a une certaine gravité du coronavirus chez les femmes enceintes et leurs fœtus."

La balance bénéfice-risque justifie cette vaccination
Dr Marie-Ghislaine de Goër, ingénieure à l'Inserm

Si ces données "peuvent varier légèrement d'une étude à l'autre", toutes vont dans le même sens et les experts observent "globalement qu'il y a un risque", résume avec pédagogie notre interlocutrice. Malheureusement, rien de surprenant. Il était déjà "connu et caractérisé pour les infections à coronavirus précédentes, comme le SARS-CoV-1 et le MERS, mais également pour l'infection à H1N1", souligne-t-elle auprès de LCI.fr.

C'est donc parce que les conséquences de l'infection par ce virus sont plus sévères chez les femmes enceintes - avec ou sans comorbidités - qu'elles font désormais partie intégrante des publics prioritaires. Sans compter les autres problèmes qui peuvent en découler. "Césarienne, risque de naissance prématurée, séparation avec le bébé si lui ou sa mère est malade...", liste la Dr Marie-Ghislaine de Goër. Un contexte qui "complique la naissance et les premiers moments avec le bébé". Et qui peut dès lors justifier cette vaccination.

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Felicia SIDERIS

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