Retour de l'Homme sur la Lune : et si le prochain Neil Armstrong était chinois ?

Publié le 18 juillet 2019 à 11h49, mis à jour le 21 juillet 2019 à 17h22

Source : JT 20h WE

INTERVIEW - A la demande de Donald Trump, la Nasa prévoit d’envoyer à nouveau des humains - dont au moins une femme - sur la Lune à l’horizon 2024. Même si l'agence spatiale américaine sait faire des miracles, la Chine, bien qu’arrivée plus tardivement dans la course, pourrait néanmoins la devancer. Les explications d'Athena Coustenis, présidente du Comité européen des sciences spatiales.

Le drapeau américain va de nouveau trôner sur l’astre lunaire. C'est en tout cas la volonté de Donald Trump. Le président américain a demandé à la Nasa de s’y atteler. La mission porte déjà un nom : Artemis, la sœur jumelle d'Apollon dans la mythologie grecque. Le compte à rebours, quant à lui, a déjà commencé : en 2024, si tout se passe bien, quatre astronautes, dont au moins une femme, embarqueront en direction du satellite naturel de la Terre, a fait savoir l'agence spatiale européenne. "Nous n'allons pas nous contenter de laisser des drapeaux et des empreintes de pas, pour ne plus revenir pendant 50 ans", a fait savoir Jim Bridenstine, le patron de la Nasa.

Dans ce "remake" des années 1960, où l’empire du Milieu tient la place de l'Union soviétique, rien ne dit pourtant que les Américains seront les premiers à toucher au but.Début janvier, en réalisant l'exploit de poser pour la première fois un engin spatial sur la face cachée de la Lune, Pékin a montré qu'il peut aujourd'hui prétendre, sans avoir à rougir, au statut de grande puissance spatiale.  LCI a contacté Athena Coustenis, directrice de recherche au CNRS au sein du Laboratoire d'études spatiales et d'instrumentation en astrophysique (LESIA) à l’Observatoire de Paris et présidente du Comité européen des sciences spatiales, pour faire le point sur ce come-back lunaire.

EXPLORE - Comment la Lune s'est-elle formée ?Source : Sujet TF1 Info

LCI : Depuis quinze ans, les Américains parlent de remarcher sur la Lune. Mais la Nasa ne croyait pas possible d'y parvenir avant 2028. Dernièrement, Trump a porté l’échéance à 2024, de quoi donner des sueurs froides au patron de la Nasa. Ce calendrier paraît en effet ambitieux.

Athena Coustenis :  En demandant à la Nasa de poser des astronautes américains sur la Lune d’ici à 2024, Trump a pris par surprise nombre de gens, y compris la communauté scientifique et ses partenaires internationaux. Dès l’année prochaine, un premier vol d'essai autour de la Lune sans astronaute sera la première étape. Suivra, en 2022, un vol habité. Puis, en 2024, un équipage marchera sur la Lune, si tout va bien... Mais l’agence spatiale américaine ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Elle prévoit ensuite d’y établir des missions durables, mais pas avant 2028. C'est tout l'objet de "Gateway", une station spatiale en orbite autour de la Lune qui servira d'avant-poste pour l'exploration de contrées plus lointaines.

LCI : En attendant, la Nasa ne possède pas encore de vaisseau pour transporter ses astronautes sur la Lune, ni d’alunisseur pour s'y poser. Et l'énorme fusée pour propulser l'ensemble dans l'espace n'est toujours pas prête. 

Le vaisseau Orion, qui transportera les astronautes, n’est pas encore opérationnel. Concernant l'alunisseur, l'équivalent d'Eagle, le module lunaire qui déposa Neil Armstrong et Buzz Adrin le 21 juillet 1969, rien n’est acté. Mais la Nasa a déjà une piste : ce sera Blue Origin (Amazon), Lockheed Martin ou Boeing. Enfin, le lanceur lourd Space Launch System (SLS), l’héritier de Saturn V (ndlr : la mythique fusée du programme Apollo), n’est pas encore opérationnel. Or, toute la mission Artemis repose en grande partie sur lui. Sa mise en service est désormais annoncée pour 2020-2021. 

Plus globalement, pour accélérer son retour sur la Lune, la Nasa a mis en place un partenariat public-privé. Elle travaillera directement avec des sociétés américaines. Onze entreprises ont été choisies pour mener des études et élaborer des prototypes. Sur le plan financier, l’agence américaine rationalisera tout, des achats aux partenariats en passant par le développement et les opérations de charge utile. De nombreuses étapes préparatoires, incluant des missions robotiques, seront également nécessaires avant d’y envoyer des humains.

En dix ans, la Chine a fait ce que le domaine spatial a mis cinquante ans à réaliser
Athéna Coustenis

LCI : Une mission robotisée chinoise explore actuellement la face cachée de la Lune. Les Chinois prévoient aussi d’envoyer des astronautes sur la Lune. Où en sont-ils ?

Ils ont pris le train de la conquête spatiale en marche. Mais ils arriveront peut-être au terminus avant les autres. La volonté politique est là, tout comme les moyens financiers et humains. Depuis plusieurs années, l’Empire du milieu investit des milliards d’euros dans son programme spatial. Ce dernier s’appuie sur les connaissances acquises par les autres, notamment pour la formation des taikonautes qui bénéficient du savoir-faire russe. Résultat : en dix ans, Pékin a fait pratiquement ce que le domaine spatial a mis cinquante ans à réaliser. C’est impressionnant.

Le fait d’avoir réussi à faire alunir en janvier dernier un vaisseau sur la face cachée de la Lune, où de nombreux engins se sont écrasés par le passé, démontre d'ailleurs que la Chine peut aujourd'hui prétendre, sans avoir à rougir, au statut de grande puissance spatiale. Elle parle désormais d’envoyer un Homme sur la Lune à l’horizon 2025-2026. Certes, les Américains visent 2024. Mais rien ne garantit qu’ils y parviennent. Il est donc tout à fait possible que la Chine devance les Etats-Unis.

LCI : L’exploration humaine de la Lune et de Mars est également dans les cartons de l’Agence spatiale européenne (ESA) et d’autres agences spatiales.

Le retour d'astronautes sur la Lune est une étape indispensable à la préparation de l'envoi des premiers humains sur Mars. Le terrain lunaire est considéré comme un laboratoire, un champ d'expérimentation idéal pour tester les technologies, appareils et véhicules, ainsi qu'un terrain d'entraînement pour les astronautes. Les connaissances acquises serviront aux futures missions martiennes. Dans cette optique, l’Europe a noué des partenariats avec les différents acteurs de l’industrie spatiale – Russie, Chine, Japon, Etats-Unis. Or les Américains ne parlent pas aux Chinois, les Russes ne parlent pas aux Américains et les Chinois ne parlent pas aux Japonais. L’Europe joue de fait un rôle de pivot qui est primordial.

Comment expliquer la multiplication des missions robotisées sur la Lune ?Source : JT 20h Semaine

LCI : Quid des projets privés : monsieur et Madame "tout le monde" iront-ils sur la Lune, comme le laisse aujourd'hui entendre Elon Musk, le patron de SpaceX ? 

Je ne crois pas que le tourisme soit la priorité numéro un. Mettre des milliardaires dans des capsules pour effectuer le tour de la Terre, c’est une chose. Envoyer des touristes sur la Lune, c’est une autre affaire. Pour s’y rendre, il faut un entraînement très poussé et il n’est pas à la portée de Monsieur et Madame "tout le monde". Ou du moins, avant très longtemps. En outre, nous savons encore très peu de choses sur les effets des radiations cosmiques sur le corps humain. 

LCI : Outre la question de prestige politique, retourner sur la Lune présente-il un intérêt scientifique ?

L’intérêt que porte la communauté scientifique à la Lune n’a jamais cessé. La découverte d’eau a ouvert de nouvelles perspectives, ce qui explique en partie ce retour en grâce et la multiplication des missions robotiques. L’une des grandes questions dans l'exploration du Système solaire est d’étudier les conditions d’habitabilité. Et l’eau en est l’un des principaux critères.

La Lune offre de ce fait un environnement unique pour se pencher sur l’histoire précoce de notre planète. Comme il n’y a pas d’atmosphère ni d’érosion à sa surface, les sédiments qui s’y trouvent ont été préservés depuis des milliards d’années. C’est un peu comme un fossile qui nous apporte des éléments de réponse sur la manière dont est apparue la vie sur la Terre. Notre histoire commune, pour ainsi dire.


Matthieu DELACHARLERY

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