Colle-t-il à la réalité de la savane ? "Le Roi Lion" fact-checké par une spécialiste des animaux

Publié le 2 août 2019 à 15h10, mis à jour le 26 août 2019 à 12h23

Source : JT 13h Semaine

INTO THE WILD - Alors que l’adaptation du classique Disney en images de synthèse fait un carton dans les salles françaises - elle a allègrement franchi la barre des 5 millions d'entrée lors de ses deux premières semaines d'exploitation -, LCI a interrogé une spécialiste du monde animal pour faire le point sur les idées reçues véhiculées par "Le Roi Lion".

Un film d'animation plus vrai que nature. Vingt-cinq ans après le premier dessin-animé, Disney remet au goût du jour l'histoire de Simba et ses amis, Pumba le phacochère et Timon le suricate. Un remake aux effets spéciaux spectaculaires. Jusqu’à donner, parfois, l’illusion aux spectateurs qu’ils regardent un documentaire animalier et non un film tourné en studio, tant les paysages et les animaux paraissent authentiques. Un tableau idyllique et enchanteur qui pourrait justement vous laisser penser qu’il s’agit d’une représentation assez précise de la savane africaine.

Pour Julie Platel, éthologue et responsable de la médiation scientifique au parc zoologique de Thoiry, l’imaginaire de Disney travestit cependant une réalité bien plus violente. "La nature, ce n’est pas du tout mignon. Le monde animal est d’une grande cruauté. Il y a du sang, des meurtres. Si Le Roi Lion collait à la réalité, le film aurait été interdit aux moins de 18 ans." Avec l’aide de cette spécialiste du monde animal, LCI s’est adonné un à petit exercice de "fact check", en passant au crible quelques idées reçues véhiculées par le dernier long-métrage de Disney.

Commençons tout d'abord par la fameuse scène d’ouverture. Souvenez-vous, lorsque Mufasa présente Simba, son fils, à tous les animaux de la savane. Tous semblent alors se prosterner devant leur "monarque" pour le remercier de préserver l’équilibre de la nature. "Le lion est un super prédateur, ce qui le positionne tout en haut de la chaîne alimentaire. Il est vrai qu'il participe à la régulation des populations, nous explique Julie Platel. Il permet notamment d’éliminer les animaux malades et participe de ce fait à l’équilibre de la savane, en quelque sorte".

Si le film d’animation de Disney occulte totalement la notion de cruauté, cela rien d'étonnant puisqu'il s'adresse en priorité aux enfants. Ce qui n'empêche pas notre spécialiste de dresser un portrait peu flatteur de la bête :  "Le lion est un animal franchement violent, féroce et sans pitié. Parfois, lorsqu’il chasse, il ne met même pas à mort sa proie avant de commencer à la dévorer. Et c’est un véritable carnage", raconte la comportementaliste.

Chez les lions, et dans le monde animal plus généralement, il n'y a pas de dynastie
Julie Platel, spécialiste du monde animal

Cependant, en dépit du titre de "roi de la savane" dont nous l’affublons, le Lion n’est pas un royaliste. "Chez les lions, et dans le monde animal plus généralement, il n'y a pas de dynastie", explique Julie Patel. Ce n’est pas le fils du mâle dominant qui reprend la succession." Dans la nature, les lions mâles ne vivent pas au sein du clan dans lequel ils sont nés. "A l’âge de deux ou trois ans, au moment où sa crinière apparaît et que sa production de testostérone commence à flamber, il est chassé de la meute par le mâle dominant. Le plus souvent, à l’issue d’un combat violent", poursuit la spécialiste.

Le mâle dominant du clan, quant à lui, est remplacé tous les deux ou trois ans par un autre lion, plus jeune et plus robuste, qui n’a aucun lien de parenté avec les femelles de la fierté (nom donné à un clan de lions, ndlr). "Ce mécanisme évolutif existe depuis la nuit des temps. Il a pour but de permettre le brassage génétique et d'éviter la consanguinité", reprend Julie Platel. Il se met alors à errer dans la savane en quête d'un nouveau clan, parcourant parfois jusqu'à 160 kilomètres. Mais, comme il n'est pas doué pour la chasse, il va former une coalition avec d'autres lions mâles pour survivre. "Simba a choisi de s'allier à un suricate et un phacochère mais, dans la nature, il aurait fait de Timon et Pumba son festin", s'amuse l'éthologue du Zoo de Thoiry.

Sans les lionnes, les mâles ne sont rien !
Julie Platel, spécialiste du monde animal

Si les mâles vont et viennent, en passant d'un clan à une autre, ce n'est pas le cas des femelles. D'ailleurs, selon National Geographic, le film aurait dû plutôt s’appeler "La Reine des Lions". A travers ce titre volontairement provocateur, le magazine américain souligne le manque de place octroyé aux personnages féminins dans le scénario imaginé par Disney : qui se rappelle, par exemple, du nom de la mère de Simba ? (Elle se nomme Sarabi). Et pour cause, son personnage est insignifiant, comme le souligne National Geographic.

Pourtant, dans la nature, les lionnes ont un rôle primordial au sein du clan. "Les lions vivent en harem. Un mâle règne en maître sur une troupe de femelles pendant deux ou trois ans, jusqu'à ce qu'un autre mâle le chasse pour prendre sa place, généralement à l'issue d'un combat féroce, décrit Julie Platel.  Le rôle du mâle est de protéger le clan. Cependant sans les lionnes, il n’est rien. Ce sont elles qui chassent et qui ramènent des victuailles. Et même si les femelles lui sont totalement dévouées, ce sont elles qui forment, véritablement, l’âme du clan". 

Lorsqu’un nouveau lion arrive au sein d’un clan, il doit donc en chasser le mâle dominant. La première chose qu’il va faire, c’est tuer les lionceaux de l’ancien lion, en les mangeant.
Julie Platel, spécialiste du monde animal

Lorsque Simba revient après des années d’absence dans son clan, une fois adulte, une scène le montre en train d’échanger des gestes tendres avec sa mère. "C’est très mignon, mais dans la réalité, cela n’existe pas, reprend Julie Platel. Il n’y a pas de reconnaissance de liens de parenté chez les lions." Pire, en cas de conflit de territoire, ils pourraient se battre et même s'entre-tuer. "Lorsqu’un nouveau lion arrive au sein d’un clan, il doit donc en chasser le mâle dominant. La première chose qu’il va faire, c’est tuer les lionceaux de l’ancien lion, en les mangeant. On est très loin de l’imaginaire de Disney", insiste-t-elle.

Dans la nature, Simba ne serait jamais revenu dans le clan qui l’a vu naître, observe la spécialiste du monde animal. "Un mâle lion qui retrouverait son clan quelques années après son départ n’aurait de toute façon pas conscience qu’il s’agit de sa mère, et inversement. Sans même le savoir, Simba finirait par se reproduire avec toutes les femelles du clan, sa mère, ses tantes, ses sœurs, ses cousines…", relève la comportementaliste.

Scar aurait eu les faveurs des femmes lionnes

Plusieurs scènes du film montrent également le jeune Simba en train de jouer avec son père. "Dans la nature, les mâles ne participent pas à l’éducation de leurs lionceaux, souligne Julie Platel. Cela fonctionne davantage comme une pouponnière. Les femelles prennent en charge toute l’éducation des lionceaux. A la fin du film, Simba, alors devenu roi, présente aux animaux de la savane l'enfant qu'il a eu avec Nala, son amie d’enfance.

Mais devinez-quoi : c’est en fait sa demi-sœur. Nala est la fille de Sarafina et Mufasa, le père de Simba. Ce dernier n'aurait probablement pas été le chef du clan dans la réalité. De fait, Scar, le méchant lion à l’œil balafré qui tue le père de Simba, incarne davantage le mâle lion dans toute sa splendeur. "Chez les lions, une crinière longue et foncée, comme celle de Scar, est signe de bonne santé et de puissance au combat. Les femelles auraient davantage été attirées par lui", précise Julie Platel.

Leur population a chuté de 50% depuis le dessin-animé

Si l’histoire imaginée par les scénaristes de Disney prend de nombreuses libertés avec la réalité, elle a au moins le mérite de jeter un coup de projecteur sur un animal dont la population a chuté de près de 50% depuis la sortie en salles du premier dessin-animé, en 1994. "Le nombre de lions est estimé aujourd'hui à environ 35.000, et ils sont classés comme espèce menacée d'extinction", rappelle Florian Kirchner, de l'Union internationale de conservation de la nature (UICN), qui établit chaque année une "Liste rouge des espèces menacées". Dans 29 pays africains, ils ont même complètement disparu. 

"Les images du film sont magnifiques. Le spectateur est plongé en immersion dans une nature luxuriante, peuplée par des dizaines et des dizaines d’espèces différentes. Malheureusement, de nos jours, il ne reste pas beaucoup d’endroits sur Terre où nous pouvons encore observer ce genre de choses", déplore Julie Platel. En cause, comme toujours, l'Homme. L’espèce est limitée à seulement 8% de son périmètre de répartition historique, qui comprenait autrefois presque tout le continent africain, rapporte l'UICN.

Disney va verser 1,5 million de dollars à des ONG

Là où les lions vivaient, les humains ont développé des terres pour l'agriculture et l'exploitation minière. Et, dans certaines régions, l’élevage a même commencé à remplacer les proies naturelles des lions, ce qui a entraîné un conflit hommes-lions. Le braconnage et la chasse aux trophées ont également appauvri la population. Par le passé, des films Disney ont eu déjà vocation à sensibiliser les plus jeunes à la biodiversité et à la protection de la faune. C’était le cas notamment de Nemo, sur le monde marin. Parfois, malheureusement, le message est mal compris. Après la sortie du film, les ventes d’aquarium ont grimpé en flèche...

Florian Kirchner espère néanmoins que le nouveau film de Disney contribuera à raviver l’intérêt et la compassion pour les lions. Disney s’est d’ailleurs engagé à apporter une aide financière : un don de plus de 1,5 million de dollars à l’ONG Panthera et à d'autres organisations travaillant à la préservation des lions. La firme américaine a également  lancé une campagne mondiale, baptisée "Protégez la fierté du Roi Lion" et invite ainsi les fans à doubler le montant de son don en achetant des produits en édition limité. "Disney base son profit en s'inspirant de la nature, c'est la moindre des choses", estime ce défenseur de la cause animale.


Matthieu DELACHARLERY

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