Google prétend avoir atteint la "suprématie quantique" : de quoi s'agit-il ?

Publié le 23 octobre 2019 à 17h38, mis à jour le 23 octobre 2019 à 17h57

Source : JT 20h WE

FUTUR - Le géant américain affirme avoir atteint la "suprématie quantique", une étape cruciale dans le développement de machines d'un nouveau genre, offrant des capacités phénoménales de calcul . Pour en savoir plus, LCI a contacté Iordanis Kerenidis, chercheur à l’Institut de recherche en informatique quantique fondamentale.

NOTA BENE : article publié pour la première fois le 27 septembre. Nous le republions ce 23 octobre après que l'étude de Google, diffusée semble-t-il par erreur le 24 septembre, a été mise en ligne officiellement par Nature.

Dans la course à l’ordinateur quantique, une étape majeure semble avoir été franchie par une équipe de scientifiques de Google. Le géant des technologies affirme, dans une étude rendue publique par erreur sur le site de la Nasa le 21 septembre dernier, avant d'être relayée dans la foulée par le Financial Times, avoir atteint la suprématie quantique. Les chercheurs de l'entreprise de Moutain View y décrivent une expérience au cours de laquelle ils seraient parvenus à mettre au point un processeur quantique capable de mener un certain type d’opérations en trois minutes et vingt secondes, là où il faudrait plus de 10.000 ans au plus avancé des supercalculateurs actuels. 

LCI a contacté Iordanis Kerenidis, chercheur à l’Institut de recherche en informatique quantique fondamentale et directeur de l'antenne parisienne du Centre for Quantum Computing (Centre pour l'informatique quantique, en français), pour en savoir plus sur cette révolution à venir.

LCI : Google prétend avoir atteint la "suprématie quantique". De quoi s’agit-il ?

Iordanis Kerenidis : La "suprématie quantique" est la capacité pour une machine quantique, qui s’appuie sur la physique des particules, à calculer plus vite que les ordinateurs classiques. L’étude de Google ayant été mis en ligne par erreur semble-t-il, ce n'est donc pas officiel. Ce que l'on sait, en revanche, c'est que la machine de Google a été expérimentée pour effectuer un calcul aléatoire, sans aucune application concrète. Nous ne savons pas pas si elle est en mesure de servir à autre chose, pour le moment en tout cas.

Pour résumer, c’est une étape symbolique mais pas encore une révolution. Cela témoigne néanmoins des progrès fulgurants réalisés au cours des dernières années dans le domaine de l’informatique quantique, aussi bien aussi bien en termes d’ingénierie que de science pure. Mais le chemin sera encore long avant qu'une vraie machine quantique avec des applications concrètes ne voit le jour. Et il est peu probable que cela arrive avant dix ou vingt ans.

Plus concrètement et de manière simple, pouvez-vous expliquer en quoi consiste l’informatique quantique ?

Iordanis Kerenidis : Comme son nom l'indique, un ordinateur quantique tire parti des lois de la mécanique quantique, une théorie qui décrit les phénomènes physiques à l'échelle atomique. Les lois de la physique établissent qu'une particule, un atome ou une molécule peuvent se retrouver dans différents états en même temps. Ainsi, alors que pour un ordinateur conventionnel, les informations sont codées sous la forme de bits qui ne peuvent prendre que deux valeurs (0 et 1), les bits quantiques (ou qubits) peuvent simultanément prendre ces mêmes valeurs. De ce fait, une machine quantique est capable de se représenter plusieurs informations au même moment. Cela permet d’accroître de façon exponentielle la puissance de calcul.

A quoi ressemble un ordinateur quantique ?

Iordanis Kerenidis : C’est une boîte d’un mètre cube dans laquelle ont été placés des petits microprocesseurs qui ressemblent à ceux que vous trouvez dans un ordinateur classique. Le système est maintenu à une température proche du zéro absolu (température théorique de -273,15 °C) de manière à obtenir un effet supraconducteur. Celui-ci permet au courant de circuler sans aucune résistance. Au-delà de sa capacité phénoménale de calcul, l’ordinateur quantique de Google possède un autre avantage. Moins énergivore, il est en effet beaucoup plus écologique qu’un supercalculateur classique puisqu'il suffit de refroidir un petit microprocesseur. Ce n 'est rien à côté de l’énergie nécessaire pour abaisser la température de centaines de serveurs connectés, comme c'est le cas actuellement

Quelles seront les applications concrètes ? 

Iordanis Kerenidis : Elles seront possibles dans tous les domaines où de nombreux paramètres doivent être pris en compte et dans lesquels nous disposons d’immenses quantités de données. Les premières applications industrielles ne verront cependant pas le jour avant plusieurs années. Elles vont probablement d’abord concerner les domaines de la chimie, de la biologie et de la médecine. L’une d'elles sera notamment l'utilisation de cette technologie pour simuler des systèmes moléculaires afin, par exemple, de fabriquer des médicaments ou de nouveaux matériaux.

L’informatique quantique va également permettre aux entreprises d’optimiser leur logistique. Le transport de marchandise, en particulier. Enfin, dans le domaine de l’intelligence artificielle, cette solution sera d’une aide précieuse pour tout ce qui est apprentissage automatique, comme le développement des véhicules autonomes. Ou bien encore pour gérer le trafic autoroutier ou aérien, délivrer des diagnostics médicaux plus précis, améliorer les prévisions météorologiques ou étudier le changement climatique. 


Matthieu DELACHARLERY

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