Sur Mars, l'eau s'évapore plus vite que prévu, de quoi remettre en cause une expédition humaine ?

Publié le 10 janvier 2020 à 18h18, mis à jour le 13 janvier 2020 à 9h31
Il y a plusieurs milliards d’années, Mars abritait un immense océan sur son hémisphère nord.
Il y a plusieurs milliards d’années, Mars abritait un immense océan sur son hémisphère nord. - Source : Jon WADE, James MOORE / NATURE PUBLISHING GROUP / AFP

ESPACE - Mars perd de l'eau plus rapidement que ce que la théorie laissait entendre jusqu'ici. Pour arriver à cette découverte, le chercheur français Franck Montmessin a passé au crible les données de la sonde européenne TGO. Nous l'avons contacté pour en savoir plus.

La petite planète rouge perd de l'eau plus rapidement que ce que les observations passées suggéraient jusqu'à présent. Le chercheur du CNRS Franck Montmessin a analysé les mesures de la sonde européenne TGO (pour "Trace Gas Orbiter"), en orbite autour de Mars depuis 2016, et a observé que dans la haute atmosphère martienne, à environ 80 kilomètres d'altitude, de grandes quantités de vapeur d'eau s'accumulaient, avant de s’échapper dans l’espace.

Les résultats de son étude, publiée dans la revue Science  jeudi 9 janvier, identifie ainsi un nouveau mécanisme qui contribue à la perte de l'eau martienne. Or, on le sait : cette ressource sera essentielle pour que l'Humanité puisse y installer une colonie humaine.  A en croire le chercheur français, le processus prendra des millions d'années, pas de quoi remettre en cause les plans de la Nasa ou d'Elon Musk.

LCI : Mars est aujourd’hui un désert sec et austère. Mais cela n’a pas toujours été le cas…

Franck Montmessin : Il y a plusieurs milliards d’années, Mars abritait un immense océan sur son hémisphère nord, ainsi qu'un vaste réseau de lacs et de rivières. Mais la période humide martienne s'est brusquement achevée. L’une des hypothèses les plus probables est que l’eau a fini par s’échapper de cette planète, son champ de gravité n’étant pas suffisant pour la retenir. Seules quelques résurgences d'eau ont été observées par les sondes autour de la planète Rouge ainsi que de la glace d'eau à quelques centimètres de profondeur, au niveau des calottes polaires, d’une superficie quasiment équivalente à celle de la France. Cela ressemble un peu au pergélisol - ces sols gelés en permanence - que l'on trouve sur la Terre.

LCI : Selon vos travaux, ce très faible reliquat d'eau pourrait bien disparaître encore plus rapidement que prévu. Pour quelle raison ?

Franck Montmessin : En analysant les données de TGO, nous avons pu constater que la perte d’eau martienne est beaucoup plus rapide qu’on le pensait. Et surtout, qu’elle a un rythme cyclique, saisonnier, qui dépend de l’éclairage solaire au niveau des pôles. Le phénomène s’accélère à l’époque du périhélie – quand Mars se situe au plus proche du Soleil – et ralentit  au moment de l’aphélie – quand Mars se trouve à l’endroit le plus éloigné. Lorsque les vastes réservoirs de glace reçoivent les rayons de notre étoile, la glace s’échauffe et se sublime. De la vapeur d’eau est alors libérée dans l’atmosphère.

Le même phénomène se produit sur Terre, où la vapeur d’eau est transportée par les vents en altitude où elle se mêle aux particules de poussières et se condense pour former des nuages. Sur Mars, il y a aussi des nuages, mais le mécanisme de condensation n'est pas suffisamment efficace pour permettre à toute l'eau de condenser. De ce fait, l’eau continue de monter en altitude jusqu’à atteindre la haute atmosphère. N’étant pas retenus par la faible gravité martienne, ces atomes s’échappent ensuite dans l’espace. Nos travaux ont démontré que cet échappement est beaucoup plus rapide que la théorie et les observations passées ne le suggéraient jusqu’à maintenant. Cette découverte va nous permettre d'affiner nos modélisations informatiques sur l'évolution du climat martien. Mais aussi d'en savoir plus sur son évolution au cours des millénaires.

Conquête spatiale : le robot ExoMars s'entraîne pour la planète rougeSource : JT 13h WE

Ce qu’on voit sur une planète comme Mars, où l’humain n’est pas présent, c’est que les choses évoluent très lentement. Contrairement à ce qu’on observe aujourd’hui sur la planète Terre.
Franck Montmessin, chercheur au CNRS.

LCI : La Nasa, notamment, s’intéresse à la question de savoir comment faire subsister des colonies humaines sur Mars. Et la question de l’eau en fait bien évidemment partie. Cette découverte peut-elle remettre en cause les plans de l’agence spatiale américaine ?

Franck Montmessin : A terme, nous risquons d’observer un rétrécissement du réservoir principal. Nous ne le verrons pas, mais les générations futures, si elles nous survivent dans plusieurs millions d'années, risquent de voir une calotte de glace beaucoup plus petite que celle que nous voyons actuellement. Cette trajectoire qu'elle a amorcé il y a déjà plusieurs milliards d'années va se poursuivre. Elle va continuer de ses refroidir de plus en plus. Ce réservoir d’eau est amené à durer sur des échelles de temps extrêmement importantes. Pas de quoi donc remettre en cause les plans de la Nasa qui envisage une expédition humaine au cours de ce siècle. 


Matthieu DELACHARLERY

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