Le séisme de Strasbourg a-t-il été provoqué par un forage géothermique ?

par Cédric STANGHELLINI
Publié le 14 novembre 2019 à 19h06, mis à jour le 15 novembre 2019 à 14h19
Le séisme de Strasbourg a-t-il été provoqué par un forage géothermique ?

À LA LOUPE – Un séisme d'une magnitude de 3,1 a été ressenti à Strasbourg le 12 novembre, suivi d'un second le lendemain de 2,6. Une succession qui étonne dans la région. Les regards se tournent vers les travaux de géothermie profonde entrepris à quelques kilomètres de la ville. Un lien peut-il être établi ?

Les  12 et 13 novembre, la terre a tremblé en Alsace. Deux séismes d'une magnitude de 2,6 et 3,1 ont été enregistrés par le  RéNaSS, le réseau national de surveillance sismique, qui qualifie ces séismes d' "événement induit", c'est-à-dire d'origine anthropique. Cause probable : l'exploitation d'une source en géothermie profonde à proximité de la ville de Strasbourg par la société Fonroche. Alors que la préfecture du Bas-Rhin demande l'arrêt de la stimulation du forage, l'entreprise récuse toute implication. 

En quoi consiste ce forage en géothermie profonde ?

En 2016, la préfecture du Bas-Rhin a autorisé par arrêté l'ouverture de travaux miniers de forages géothermiques sur la commune de Vendenheim, à 12 km au nord de Strasbourg. L'entreprise Fonroche compte exploiter la chaleur naturelle de l'eau présente à 5 km en sous-sol. D'une température supérieure à 150 degrés, l'eau est extraite pour alimenter à la fois un réseau de chauffage urbain et une centrale hydroélectrique actionnée grâce à la vapeur. Le tout fonctionne en circuit fermé, c'est-à-dire que l'eau extraite est réintroduite dans le sol. Toujours en phase de développement, la future centrale de Vendenheim devrait alimenter à terme plus de 7000 logements en électricité et chauffer 26.000 habitations. 

Comme l'explique Marianne Peter, géologue au Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM), la région alsacienne concentre toutes les attentions pour ce type de projet. "En France, la fracturation hydraulique est interdite, pour l'exploitation des hydrocarbures et pour les opérations en géothermie profonde. Les exploitants utilisent donc les failles naturelles du sous-sol, comme c'est le cas en Alsace où plusieurs projets sont en cours." 

Pourquoi la préfecture a-t-elle pris un arrêté de suspension ?

Suite aux événements sismiques, le jeudi 14 novembre, la préfecture du Bas-Rhin a pris un arrêté de suspension pour la stimulation hydraulique du forage. Mais il s'agit simplement de l'application d'un procédé réglementaire, prévu depuis 2016 au sein de l'arrêté d'autorisation des travaux miniers. "Le seuil d'une magnitude de 1,5 est défini comme étant le seuil à partir duquel une vigilance renforcée est mise en place", et le "seuil d'alerte d'une magnitude 2 déclenchera l'arrêt progressif des opérations." 

Comme l'explique Marianne Peter du BRGM, "un système d'alerte avec des seuils est mis en place pour chaque projet d'exploration géologique. Dans le cas de l'Alsace, le 'feu rouge' se déclenche dès qu'un séisme est d'une magnitude supérieure à 2. Les activités de stimulations sont suspendues jusqu'à nouvel ordre, dans l'attente de résultats complémentaires." 

Pourquoi l'entreprise récuse son implication ?

Contactée par LCI, l'entreprise Fonroche conteste tout lien entre les séismes et son activité à Vendenheim. "Le tremblement d'une magnitude de 3,1 a eu lieu le 12 novembre à 6 kilomètres du forage. Les étapes de stimulations avaient cessé depuis le 8 novembre, donc 5 jours avant. Un arrêt prévu depuis longtemps." Une position également expliquée dans un communiqué

Jean Schmittbuhl, directeur de recherches au CNRS et membre du RéNaSS, se montre plus mesuré. "Il arrive que des séismes se déclenchent après l'arrêt des opérations de stimulation hydraulique." Depuis le début de l'activité du site, en mars 2018, le RéNaSS a qualifié "d'induit" une centaine de séismes d'une magnitude inférieure à 2, un taux de sismicité supérieur à ce qui est habituellement enregistré dans le fossé rhénan. "Avant que nous puissions tirer toutes conclusions définitives, explique Jean Schmittbuhl, nous avons besoin de deux choses. Premièrement, attendre que cette crise sismique dans la région s'arrête. Deuxièmement, récupérer et analyser les données de Fonroche." 

Il reviendra ensuite à la DREAL du Grand-Est, en lien avec la préfecture, de décider de la reprise des activités de stimulations hydrauliques. L'entreprise Fonroche tient à rappeler que l'arrêté de suspension n'a aucun impact sur le site puisque l'injection d'eau n'était déjà plus en cours. Elle devait normalement reprendre d'ici la fin de l'année, sauf si le préfet en décide autrement. 

Existe-il des précédents ?

Plusieurs articles de presse rapprochent deux exemples suisses du cas alsacien. En 2007, un projet de géothermie profond a été abandonné à Bâle car plusieurs séismes s'étaient produits, notamment un de magnitude 3,4. Même situation en 2012 à Saint-Gall avec un séisme de cette fois d'une magnitude de 3,5 où les forages sont là aussi abandonnés. Philippe Roth, membre du Service sismologique suisse, nous explique. "Si ces séismes peuvent paraître faibles à certains, il faut les prendre comme des signes de potentiels tremblements de terre plus importants. Heureusement, la plupart du temps tout se passe bien comme dans les nombreux projets de géothermie profonde bavarois en Bavière, Allemagne, qui n'ont pas provoqué de séismes supérieurs à 2,5." 

L'association professionnelle suisse Geothermie-Schweiz nous explique que "le projet de Bâle a été abandonné suite aux conclusions d’un groupe d’expert qui a qualifié le mode opératoire d’injection d’eau sous très haute pression , plus de 600 bars, comme pas suffisamment maîtrisé pour pouvoir être déployé en milieu urbain dense." 

Attention toutefois avec la comparaison avec la Suisse car le séisme de Bâle et Saint-Gall a été provoqué par des stimulations hydrauliques, pratique interdite en France et donc non-utilisée en Alsace. Même si Philippe Roth rappelle que la différence entre 'fracturation' et 'stimulation' peut être parfois ténue sur le terrain. 

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Cédric STANGHELLINI

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