Mission en Terre Adélie #28 : savoir prendre le temps et conjurer le mal de mer

Michel IZARD
Publié le 26 janvier 2017 à 15h32
Mission en Terre Adélie #28 : savoir prendre le temps et conjurer le mal de mer

CARNET DE ROUTE - Une équipe de scientifiques français est partie il y a presque un mois sur la base française Dumont d’Urville, dans l’Antarctique. Tout au long du mois de janvier, nos reporters Michel Izard et Bertrand Lachat vous feront vivre cette aventure extraordinaire au pôle Sud. Voici la suite de leur périple.

Mal dormi. Ma couchette est perpendiculaire à l’axe du navire. Ce qui me donne l’impression d’être dans un berceau qu’une main de nounou géante, ignorant sa force, balancerait trop violemment. Alors, je glisse inexorablement, parfois brutalement jusqu’à buter des pieds contre l’armoire qui bloque le lit pour rebondir de l’autre côté jusqu’à cogner la tête contre la cloison. Par bonheur, il y a un oreiller. Et l’on se prend à méditer sur les célèbres vers de Baudelaire : "homme libre toujours tu chériras la mer"…

A 8 heures, au petit déjeuner, Alain Mathieu, surnommé pépé malin, nous raconte sa nuit. Il se couche tard, se lève tôt, dort peu. Ce qui lui va bien, contrairement à moi. Vers 3 heures, il a vu une aurore australe : "mais le ciel était trop voilé ; je n’ai pas pu la photographier". Alain, est un chasseur-guetteur de ces étranges phénomènes qui laissent dans le noir de la nuit des traces, des formes, des fils mouvants vert-fluo. A DDU, où il vient de passer 15 mois, il nous avait montré des dizaines de clichés superbes d’aurores australes.

Les aurores australes, phénomènes naturels

C’est la saison. Le phénomène fascine les navigateurs depuis toujours. Dans son voyage retour, en 1840, Jules Dumont d’Urville, peu après avoir passé le 58ème parallèle, le 6 février, raconte : "A 9 heures du soir, nous fûmes tous appelés sur le pont pour un de ces spectacles magnifiques si fréquents dans les hautes latitudes du nord: je veux parler des aurores dont les rayons lumineux viennent tout d’un coup éclairer le ciel pendant les longues nuits d’hiver". Nous venons de franchir le 50eme parallèle sud. 

Chacun s’occupe comme il peut. Certains ne quittent plus leur couchette. D’autres prennent l’air sur le pont où l’on voit des silhouettes toutes droites s’incliner, à la manière de Jacques Tati, de tribord à bâbord pour accompagner les mouvements de l’Astrolabe. Christophe Genthon, physicien de l’atmosphère, délaisse ses lasers. Il se focalise sur le cercle jaune de la zone d’atterrissage de l’hélicoptère qui devient une sorte de piste d’entraînement pour les championnats du monde du tourné-en-rond en charentaise. Au séjour, jeux de cartes, échecs, cinéma permanent 5 ou 6 films par jour. 

"Après le pack, le patch"

Tout le monde, ou presque, porte une pastille ronde derrière l’oreille, c’est le patch. Il permet de moins ressentir le mal de mer mais les dégâts collatéraux sont : somnolence; esprit qui tourne au ralenti, nonchalance. Bertrand Lachat me dit : "je me sens vaseux et fatigué. Je pourrais dormir toute la journée". Il a posé sa caméra et se lance dans la production d’aphorismes. Voici le dernier en date : "après le pack, le patch !". Autrement dit : "Dans le pack (de glace), la mer est plate, pas besoin du patch. Hors du pack, point de salut sans patch." 

Julien Duroussy, le second capitaine, me montre sur la carte météo, la dépression qui s’installe au nord et m’explique le programme : en plus du roulis, qui nous balance, nous auront du vent et des vagues contre nous. Cela risque de taper : "On s’abaisse, on s’écrase et après il y a tout qui se relève d’un coup et quand c’est vraiment gros parfois on décolle…" Eric Lavenant, le cuisinier, responsable des couverts mais pas du gite, annonce, imperturbable derrière ses fourneaux : "je vais avoir moins de clients au restaurant".

Mais, dehors il se passe un phénomène que je n’attendais pas. la mer se calme. Le soleil sort. Le vent se pose. La chaleur monte sur le pont. Je pense à mon Adélie qui aimerait tant ça. La mer retrouve son bleu, le vrai bleu-marine qui n’est jamais beau que dans les vagues. La première terre est à 900 kms. Un albatros avec ses ailes de géant s’engouffre dans le vent du sillage.  Les paroles de Baudelaire reviennent en écho et l’on se prend soudain, oui, à chérir la Mer.


Michel IZARD

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