Bridgestone : l'État peut-il empêcher la fermeture d'une usine ?

par Cédric INGRAND
Publié le 17 septembre 2020 à 16h54, mis à jour le 18 septembre 2020 à 9h22

Source : JT 20h Semaine

VOLONTARISME - Si la loi lui donne voix au chapitre, la marge de manœuvre de la puissance publique reste très étroite, souvent cantonnée à un rôle de négociateur-facilitateur, certes très écouté, mais dont l'intervention n'est pas magique. Sauf à sortir son chéquier.

"Cette fermeture, on ne l'accepte pas", déclarait ce matin Agnès Pannier-Runacher, Secrétaire d'État à l'Industrie. "C'est une entreprise japonaise, qui a pris une décision révoltante, avec une méthode révoltante, qui aura des conséquences révoltantes.", s'emporte Bruno Le Maire. Des prises de positions tranchées, des exigences comminatoires, exprimées sur le ton d'une saine colère, qui font écho à tous les précédents du genre, de Florange à Ford et de Whirlpool à Nokia.

Mais si le politique est souvent celui qui réagit le plus vite et le plus bruyamment aux annonces de fermetures de sites industriels, son pouvoir réel est limité. "L'État ne peut pas tout", avouait Lionel Jospin il y a vingt ans. Même son de cloche chez Bruno Le Maire lors de l'annonce de la fermeture du site de Ford à Blanquefort, "L'entreprise est libre, et elle peut prendre les décisions qu'elle souhaite.", reconnaissait-il. Dans certaines limites, quand même.

Ni interdiction, ni cession forcée, sauf exceptions

Premier constat : au-delà des paroles, rien dans la loi ne permet à la puissance publique de s'opposer dans les faits à la fermeture d'un site, quelles qu'en soient les raisons, faillite ou délocalisation. L'Etat ne peut pas non plus imposer un repreneur, ce qui est logique sur le fond : difficile de forcer une entreprise à se trouver un futur concurrent, qui reprendrait son site et ses savoir-faire. Seule exception: celles d'entreprises en redressement judiciaire, où ce sont les juges du Tribunal de Commerce qui peuvent contraindre au choix d'un repreneur. Depuis Florange en 2014, la loi ajoute une obligation aux grandes entreprises qui souhaitent fermer un établissement : celle d'en informer les salariés et de chercher un repreneur, mais attention, cette condition ne concerne que les plans sociaux frappant plus de 1000 personnes.

En revanche, rien de mieux que l'exécutif pour mettre partenaires sociaux et direction autour de la table, et pour rappeler les entreprises à leurs obligations, par exemple quand elles touchent par ailleurs des aides, et qu'elles gardent d'autres sites actifs en France. L'Etat est également le mieux à même d'organiser le versement de toutes les aides disponibles, voire même de jouer les prêteurs, au travers par exemple de la Banque Publique d'Investissement, en échange d'engagements clairs sur l'emploi et l'avenir d'un site, ce qu'elle a fait sur le dossier Alstom par exemple.

Surtout, l'Etat a une voix qui porte, et peut prendre fait et cause pour les salariés, en exigeant des efforts d'une entreprise qui veut se désengager, ou même d'un repreneur potentiel. On a vu par le passé la puissance publique jouer le rôle d'une banque d'affaires quand il a fallu trouver un nouveau partenaire industriel, comment quand LVMH a été prié de trouver une solution aux employées de Lejaby. Idem pour le métallurgiste Ascoval à Hayange, dont l'Etat a accompagné la reprise depuis l'année dernière, avec succès jusque-là. Les entreprises publiques, ou celles qui dépendent de la dette publique, offrent également une oreille attentive à leur actionnaire ou client principal, telle la SNCF, priée en 2012 d'oublier les dettes de SeaFrance, pour permettre à Eurotunnel de reprendre l'activité et les ferries de la compagnie.

Pourquoi l'usine Bridgestone de Béthune est-elle fermée ? La mise au point de François LengletSource : JT 20h Semaine

Une seule solution, la nationalisation ?

Il existe quand même des contre-exemples, des cas particuliers où l'Etat est intervenu avec succès, pour prévenir la fermeture d'un site, ceci grâce à une arme qui tient presque du super-pouvoir : la nationalisation. Quand un site, une technologie, et les savoir-faire qui vont avec tiennent de l'intérêt stratégique, la France peut choisir d'en être le repreneur, même temporairement. Une arme qui s'utilise avec précaution et parcimonie. Dernier exemple en date, les chantiers navals de STX à Saint-Nazaire, depuis rebaptisés "Chantiers de l'Atlantique", que l'Etat a repris en 2018, le temps de trouver de nouveaux actionnaires, et un accord avec le repreneur italien Fincantieri. À ce jour, la France détient toujours près de 85% du capital de l'entreprise, en attendant que le rachat soit validé par la Commission Européenne.

Mais l'arme de la nationalisation n'est qu'un dernier recours, et on voit mal en l'espèce comment le site de Bridgestone pourrait en bénéficier. Difficile à imaginer pour une entreprise japonaise, dans une activité pas vraiment stratégique, et pour laquelle la France a déjà un champion, en l'occurrence Michelin, déjà à la peine, après la fermeture cette année de l'unité de production de La Roche-sur-Yon, entraînant plus de 500 licenciements.

Choisir ses interventions, pour ne pas "arroser le désert"

Reste que s'il ne s'en ouvre que rarement, l'exécutif sait les limites de sa capacité à trouver des solutions aux plans sociaux, de quoi expliquer des réactions souvent différentes selon le secteur concerné par l'annonce d'une fermeture. Si les entreprises industrielles sont celles qui le font réagir presque mécaniquement, c'est bien moins le cas pour les enseignes du commerce de détail (Camaïeu, André, Naf-Naf) ou les entreprises de services, à l'exception notable des banques, mais pas de leurs agences. 

L'Etat semble aussi faire la part des choses, pour ne pas sur-réagir quand les difficultés d'une entreprise sont structurelles, pour privilégier les cas où une poursuite d'activité est possible. Et ne pas "arroser le désert" d'aides qui ne remettraient pas durablement l'entreprise en selle. Une situation qui ne concerne à priori par Bridgestone. Pour Béthune, Bruno Le Maire verrait bien un repreneur réorienter l'activité du site vers la production de pneus plus larges, des produits plus haut de gamme, moins fragiles face à la concurrence asiatique. Reste juste à trouver les bons partenaires.


Cédric INGRAND

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