Quand la culture du contrôle mène au bouillon de culture : ces entreprises qui refusent le télétravail

par Cédric INGRAND
Publié le 30 octobre 2020 à 18h31, mis à jour le 3 novembre 2020 à 11h18

Source : JT 20h Semaine

CONFINÉS AU BUREAU - Si la première vague du printemps a propulsé le télétravail comme un usage courant, les résistances subsistent. Nombre d'entreprises, malgré le reconfinement, refusent le télétravail à des employés pourtant éligibles. Vos témoignages - nombreux - font parfois froid dans le dos.

Si nombre d'entreprises, après les tâtonnements des débuts, on pris leur parti du télétravail, si nombre d'employés voudraient aujourd'hui en faire une partie plus régulière de leur activité, même hors crise sanitaire, il reste des blocages. Des entreprises, petites ou grandes, mais surtout des filiales locales ou des services dont les cadres rechignent à laisser leurs troupes travailler à distance.

Cela s'entrevoyait depuis la sortie du confinement du printemps, avec des chiffres de télétravail en baisse constante. Le retour au confinement a-t-il renversé la vapeur ? Oui, probablement, mais pas partout. C'est ce qui ressort clairement de vos témoignages reçus aujourd'hui, bien loin des "cinq jours sur cinq" que réclame le gouvernement. 

Des PME "pas concernées"

Si chaque histoire, chaque cas est particulier, on croit quand même discerner une tendance. Les entreprises où le refus du télétravail semble le plus courant sont les PME, souvent celles qui ne le pratiquaient pas avant cette année, et où n'existe pas d'accord d'entreprise sur la question. Exemple dans une PME de Dordogne, 25 salariés, dans le BTP : "Hier, je suis allé voir mon directeur en lui demandant si on passait au télétravail, il m'a répondu que l'activité du BTP continuait donc qu'il ne voyait pas pourquoi il faudrait le mettre en place", raconte Pierre, qui travaille exclusivement sur ordinateur, et avait pourtant télétravaillé en mars dernier, sans que cela pose problème. Un télétravail refusé aujourd'hui, malgré certains détails qui n'en sont pas. "Mon épouse est diabétique, insulino-dépendante, et traitement immuno-suppresseur", explique Pierre, "donc particulièrement fragile face au virus. Mais je n'ai pas la force d'aller au clash avec mon employeur... même si je pense que j'aurais gain de cause."

Même blocage dans cette PME des Hauts-de-Seine, une vingtaine de personnes dans un bureau, et aucune perspective de télétravail, même depuis les annonces de cette semaine. "Ici, le télétravail est vu comme des congés. [...] Pourtant, on l'avait bien fait au premier confinement", explique Erwan. Parfois aussi, on autorise le télétravail, mais dans des conditions plutôt particulières. Manager dans une grande société de services, Lorenzo nous explique que son employeur "exige la signature d'un avenant au contrat de travail stipulant que le salarié renonce à tout dédommagement pour les frais liés au télétravail." Pas franchement légal dans des entreprises ou des accords existent sur le télétravail... et pas très élégant non plus.

Tous les salariés télétravaillaient en début d'année, mais l'entreprise le refuse aujourd'hui [...] malgré les deux cas de Covid déclarés à mon étage cette semaine.
Laurent, employé dans une société de télécoms, à Nancy

Si les refus individuels ne sont pas toujours bien vécus, ou très motivés, le plus étonnant reste encore ces sociétés où le "non" est généralisé, surtout quand il s'agit de grandes entreprises. Que penser par exemple d'une grande banque, dont le nom tient en trois lettres, qui interdirait systématiquement à ses conseillers en agence de travailler de chez eux ? C'est pourtant ce que nous raconte Sophie, à Reims : "Nous sommes tous équipés de PC portables avec connexion sécurisée, et lors du 1er confinement, ça avait bien fonctionné. Mais la direction estime aujourd'hui qu'il n'y a pas de risque [à venir travailler en agence] car les contaminations se font dans la sphère privée." Pourtant, détaille Sophie, "deux personnes suffisent à ouvrir une agence, mais nous sommes 15, un télétravail tournant pourrait être organisé."  Pourquoi la banque s'y refuse-t-elle ? "L'explication pour eux, c'est qu'un conseiller en télétravail vend moins qu'en face à face." L'enjeu sanitaire semble s'être perdu en route.

Télétravail tant que possible : comment s'organisent les salariés et les entreprises ?Source : JT 20h Semaine

Dans une entreprise des télécoms, qui totalise 5000 employés environ, même son de cloche, malgré le danger. "Nous sommes 25 dans l'open-space", raconte Laurent. "Tous les salariés télétravaillaient en début d'année, mais l'entreprise le refuse aujourd'hui. Ils ne veulent rien entendre, malgré les deux cas de Covid déclarés à mon étage cette semaine. [...] Pour se distancier, la salle de pause est trop petite, on tient à 10." La solution proposée par l'employeur ? "On nous demande de privilégier les repas froids, et de manger sur nos bureaux." 

Et puis, il y a les naufragés du confinement, ceux dont on ne sait trop que faire. "Je suis alternante", nous dit Chloé, qui travaille dans le Nord de la France, chez l'un des géants industriels du CAC40, "et on me refuse le télétravail [...]. Mes tâches ne sont pas essentielles, je pourrais clairement les réaliser chez moi. Tous les autres salariés y ont droit, mais les alternants et les stagiaires doivent être là, on ne sait même pas qui va nous encadrer." Une mesure purement locale, la DRH du grand groupe n'est probablement même pas au courant. "Dans la filiale où je suis, c'est le directeur qui décide", déplore Chloé.

Pour tous nos témoins, et pour les autres, le problème réside bien dans le fait que l'employeur n'est pas tenu d'écouter les recommandations de l'exécutif. Emmanuel Macron, Elisabeth Borne et Olivier Véran ont beau inviter au télétravail sur tous les tons, et sur toutes les antennes, ils ne peuvent s'immiscer simplement dans les relations contractuelles entre une entreprise et ses salariés. En clair, il revient toujours à l'employeur de décider des postes éligibles au télétravail. Mais attention, si un cluster venait à se déclarer dans l'entreprise, alors sa responsabilité serait engagée, surtout dans un contexte sanitaire où il serait très difficile de plaider l'ignorance.


Cédric INGRAND

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