ACCORD ET DÉSACCORD - Après des discussions avortées le mois dernier, les partenaires sociaux se lancent dans la négociation d'un accord national pour encadrer une pratique que la crise sanitaire a dopé depuis le printemps dernier. Mais syndicats et patronat doivent d'abord s'entendre sur la portée de l'accord à venir.
C'est une discussion que le confinement du printemps dernier avait propulsé en tête des agendas, une négociation soudain devenue nécessaire, alors que l'essentiel des entreprises de France avaient du faire l'apprentissage accéléré du travail à distance. Si le télétravail avait déjà fait l'objet d'un Accord National Interprofessionnel (ANI), il datait de 2005, autant dire que beaucoup de choses avaient changé depuis, tant sur les conditions du télétravail que sur son ampleur. Au plus fort du printemps, cinq millions de salariés télétravaillaient en France.
Hasard du calendrier : cette première séances de négociations formelles - les précédentes n'avaient abouti qu'à un accord... sur la tenue de négociations - arrive alors qu'un second confinement est en cours sur tout le territoire. De quoi donner aux discussions un caractère d'urgence plus impérieuse, dans un contexte sanitaire où "le télétravail n'est pas une option", comme le répète la ministre du Travail, Elisabeth Borne qui par ailleurs encourage les partenaires sociaux à "avancer rapidement sur cet accord", qui "pourrait donner des repères à toutes les entreprises".
Contraignant, ou pas ?
Premier sujet de discussion : la portée de l'accord lui-même. Au MEDEF, on pose comme préalable le fait que le document ne soit "ni prescriptif, ni normatif", quand les syndicats de salariés voudraient eux en faire un texte contraignant. La difficulté est double : si le futur accord doit dresser un cadre général du recours au télétravail, il lui sera difficile de rentrer dans un trop grand niveau de détail. D'abord parce qu'il est difficile de juger de la compatibilité ou non d'un emploi avec le travail à distance, selon ses exigences, mais aussi les besoins de l'entreprise à un moment précis.
Parmi les organisations patronales, on constate encore beaucoup de frilosité. La CPME voudrait ainsi circonscrire le télétravail aux situations d'urgence, qu'elle soit sanitaire, environnementale, ou dans le cas d'accidents industriels, par exemple. À l'U2P, qui représente les artisans, on voudrait que l'accord se limite aux recommandations d'un "guide de bonnes pratiques". Le syndicat, qui pointe aussi la difficulté à concevoir un accord prenant en compte la taille de chaque entreprise.
Surtout, si tout le monde s'attend à ce que l'accès au télétravail soit élargi, à la demande d'une grande majorité de salariés, il serait compliqué d'ouvrir les portes à une part de télétravail obligatoire. Un consensus s'est d'ailleurs dessiné autour d'un point: les risques psychosociaux liés à un télétravail discontinu, tel qu'il est de nouveau pratiqué en ce moment. Côté syndicats de salariés, on part surtout des constats effectués ces derniers mois. Pour Laurent Berger, le patron de la CFDT, "On constate que malheureusement, là où il n'est pas négocié, là où il n'est pas discuté, là où il n'est pas concerté avec les représentants des salariés, il se met difficilement en place ou mal en place".
Pour les syndicats, le futur document doit fixer un cadre en termes de déconnexion, et d'une séparation claire entre vie privée et vie professionnelle, une ligne que le travail à domicile à tendance à rendre plus floue. Parmi les autres pierres d'achoppement à prévoir dans la négociation, la prise en charge des frais liés au télétravail, mais aussi les enjeux de ce nouveau cadre sur l'emploi des personnes handicapées et sur l'égalité femmes-hommes. Des syndicats qui craignent aussi des effets de bord à l'extension du télétravail, comme le recours à des sous-traitants, des indépendants, voire le recours à des emplois délocalisés.
De son côté, le patronat veut aussi intégrer à la discussion la nouvelle diversité des lieux de travail possibles, dont tous ceux qui se trouvent quelque part entre le domicile et le bureau, comme toutes les nouvelles options de coworking. Autre enjeu pour le MEDEF : l'adaptation des pratiques managériales, et le réglement de questions très pratiques, comme par exemple l'intégration des nouveaux collaborateurs, un peu plus difficile à distance.
Une seconde réunion est d'ores et déjà programmée pour le 23 novembre prochain,