Gilets jaunes : des policiers ont-ils agressé des journalistes à Toulouse lors du "22e acte"?

Publié le 14 avril 2019 à 20h21, mis à jour le 15 avril 2019 à 16h52
Gilets jaunes : des policiers ont-ils agressé des journalistes à Toulouse lors du "22e acte"?
Source : Captures d'écran / FACEBOOK

À LA LOUPE - Une vidéo visionnée près de 50.000 fois sur Facebook montre deux personnes violemment interpellées par des membres des forces de l'ordre ce samedi à Toulouse, en marge d'une manifestation des Gilets jaunes. Des internautes affirment qu'il s'agit de "journalistes étrangers". Qu'en est-il vraiment ? Nous avons retracé le contexte de cette séquence et contacté les deux individus.

La vidéo a été visionnée près de 55.000 fois en une demi-journée. On peut y voir des forces de l’ordre qui interpellent des manifestants avant de prendre à partie deux individus. La légende de l’extrait laisse entendre que la scène a eu lieu à Toulouse ce samedi 13 avril, en marge du "22e acte" et que les deux personnes sont des journalistes. 

La séquence a été partagée par plusieurs groupes de Gilets jaunes. Parmi eux la page "GJvideos", qui collecte des images jugées "intéressantes" pouvant servir de "preuve" de violences policières. C’est cet extrait d'un peu plus d'une minute, mis en ligne samedi soir, qui a été le plus visionné. Il a dépassé les 50.000 vues et 4000 partages en une douzaine d’heures. Sans compter les autres utilisateurs, comme "Bretagne Noire" qui a partagé l’extrait à son tour, atteignant les 20.000 vues en quatre heures.

Les images ont bien été prises à Toulouse ce samedi

Pour y voir plus clair, il a d’abord fallu retrouver la publication dont provient l'extrait. Une tâche assez simple étant donné que le nom de l’auteure est inscrit, ainsi qu'un lien vers un "live" Facebook. Celui-ci nous amène sur la page "Lelly Gijabet live" mais sans nous renvoyer au bon direct. Nous avons donc cherché dans les quatre autres vidéos enregistrées le jour même. Et repéré le moment où ces images ont été enregistrées. Concernant la date, aucun doute possible : cette altercation a eu lieu samedi 13 avril, aux alentours de 13 heures. 

En ce qui concerne le lieu, nous avons pu le vérifier en suivant le parcours de "Lelly Gijabet" sur Google Maps. La vidéo a bien été tournée à Toulouse, au croisement de la rue Merly et de l’avenue de Strasbourg, au niveau de la station de vélos en libre-service. Contactée par LCI, l’auteure nous a certifié que toutes ces informations étaient justes et qu’elle était bien à l’origine de ce "live".

La rue Merly, à l'angle avec le boulevard de Strasbourg, à Toulouse, octobre 2018
La rue Merly, à l'angle avec le boulevard de Strasbourg, à Toulouse, octobre 2018 - Google Maps

Un face-à-face très tendu avec les forces de l'ordre

L’extrait qui est partagé massivement, notamment sur les groupes Facebook de Gilets jaunes, s’ouvre sur la charge des forces de l’ordre. Une temporalité qui ne permet pas de saisir le contexte de cette altercation. Mais la vidéo complète permet d’éclaircir quelques éléments. 

Alors que le cortège de Gilets jaunes emprunte le boulevard de Strasbourg, dans le centre-ville la cité occitane, l’ambiance est électrique. Une quinzaine de membres, qui semblent faire partie de la Brigade anti-criminalité (BAC) sont pris à partie par des manifestants qui les sifflent et les insultent. Les forces de l’ordre dispersent plusieurs fois la foule à coup de gaz lacrymogène et se réfugient dans la rue Merly. 

C’est alors que la situation se tend. Un groupe d’une vingtaine ou d'une trentaine de manifestants se forme. La grande majorité d’entre eux est habillée en noir, quelques-uns portent un brassard jaune fluo. Réunis derrière une barricade de fortune et portant un drapeau noir, ils jettent des fumigènes bleus en direction des forces de l’ordre avant de s’avancer pour les "charger". Des projectiles sont jetés. Les forces de l’ordre répondent avec des grenades lacrymogènes pour disperser la bande. Un mouvement de foule bloque alors l’objectif de la caméra. 

On retrouve la rue vidée. C'est là que commence l'extrait partagé sur les réseaux sociaux. Trois manifestants sont à terre, interpellés par des forces de l’ordre. A ce moment-là, une femme, qui porte un jean clair avec une veste noire sur laquelle tombe une capuche claire, filme la séquence tandis qu’un homme, portant une veste kaki, prend des photos. L’objectif suit ce dernier. Quand l'image revient vers la gauche, la femme est à terre. Un membre des forces de l’ordre s’avance, attrape une trottinette, avec ce qui semble être les affaires de la femme au jean clair, et les jette. Cette dernière se lève pour récupérer son matériel avant d’être violemment éloignée par un autre membre de la BAC, qui la bouscule au sol en lui retirant brutalement son casque. L’homme en kaki tente alors de s’interposer. Une initiative qui lui vaut un coup de matraque sur le casque. Il est ensuite évacué sans ménagement hors de la rue. 

Contactée par LCI, la Direction Générale de la Police nationale n’a pas encore répondu à nos sollicitations. 

Un étudiant en photo toulousain et une "watchdog" hollandaise

Dans de nombreux cas, le titre de la vidéo indique que "deux journalistes sont agressés". Mais est-ce vraiment le cas ? Sur les images, les deux individus sont effectivement munis d'un casque et du matériel de prise de vue. L'homme au blouson kaki porte très distinctement l’inscription "presse" en majuscule, comme on peut le voir ci-dessous. Nous avons pu entrer en contact avec lui. Pierre* n’est pas journaliste mais étudiant en photo à Toulouse. Dans le cadre d’un projet de fin d’étude il suit, tous les samedis, les manifestations qui ont lieu dans sa ville. C’est pourquoi il a décidé de s’afficher comme journaliste. "L’inscription presse est là pour nous protéger", explique-t-il à LCI, estimant que les manifestants qui portent des casques sans inscription sont "très visés" par les forces de l’ordre. Et d’ajouter qu’il est loin d’être le seul à utiliser cette mention afin de se signaler. "On ne se déguise pas en journaliste, mais il faut qu'on se protège.  Sur les 40 photographes dans les cortèges, seuls deux ou trois appartiennent à un organisme de presse."

Malgré une situation qui le révolte, il n’a pour le moment pas décidé de porter plainte. Tout comme la première fois où il a été malmené. Le 23 mars, France 3 Occitanie avait partagé les images de ce photographe recevant un coup de pied dans le dos, toujours à Toulouse. 

Capture d'écran d'une vidéo prise le samedi 13 avril à Toulouse en marge du "22e acte" des Gilets jaunes
Capture d'écran d'une vidéo prise le samedi 13 avril à Toulouse en marge du "22e acte" des Gilets jaunes - Capture d'écran / FACEBOOK / Lelly Gijabet

De son côté, la deuxième personne affiche les mots "International Watchdog Live Stream". Originaire du Pays-Bas selon deux sources concordantes, elle ne s’identifie donc pas clairement comme appartenant à un organisme de presse. Sur sa chaîne YouTube que nous avons pu retrouver, elle se présente d’ailleurs comme une "chienne de garde" et explique que, d’après elle, les citoyens qui montrent des informations sont des journalistes à part entière.

Les deux personnes ne sont donc pas des journalistes travaillant pour un titre de presse. Reste que les deux individus se comportent comme tel. Nous avons pu en effet nous procurer les images de la séquence sous un autre angle. Enregistrées par Thibault, un photo-reporter indépendant travaillant pour Appache News, on y voit clairement la femme filmer avec une perche et un téléphone très en marge du cortège. Comme on peut le voir dans les images ci-dessous, elle est positionnée sur le trottoir de droite avant même que les manifestants ne provoquent les forces de l’ordre. 

Quant à Pierre*, il est lui aussi très en marge, sur le trottoir de gauche, et prend des photos tout au long de l’affrontement. Une position qu’il ne délaisse que lorsqu'il aperçoit la femme être malmenée et décide d'intervenir. 

*Ce prénom a été modifié.


Felicia SIDERIS

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