Les "cars Macron" autorisés à rouler 12 heures par jour jusqu'à Noël : est-ce bien raisonnable ?

par Hamza HIZZIR
Publié le 19 décembre 2019 à 14h03

Source : JT 20h WE

TRANSPORT - Les chauffeurs d'autocars pourront "temporairement" rouler plus longtemps jusqu'au 24 décembre inclus, afin de contourner les perturbations liées au mouvement social national contre les retraites. Une décision qui fait débat.

Si la grève actuelle contre la réforme des retraites impacte à peu près tout le monde, ce n'est pas toujours en mal. Depuis le début du mouvement social, et des perturbations inhérentes sur les lignes de train, les compagnies d'autocars, dits "cars Macron", du nom de l'actuel président de la République qui a libéralisé ce secteur en 2015 lorsqu'il était ministre de l'Economie, ont le vent en poupe : un bond de 110 à 120% de leur fréquentation a en effet été enregistré ces derniers jours. Et pour permettre plus de ces voyages de fortune, les autorités viennent d'autoriser, via un arrêté publié mercredi 18 décembre au Journal officiel, les entreprises à faire rouler leurs chauffeurs plus longtemps.

Dans le détail, entre les 18 et 24 décembre, la durée maximale de conduite des chauffeurs de transport routier de voyageurs sera allongée dans la limite de deux heures par jour et dans celle de six heures par semaine (soit une autorisation portant sur trois fois deux heures par semaine). Selon cet arrêté, le gouvernement a pris cette décision "considérant qu'un mouvement social national perturbe les conditions de circulation sur le réseau routier national dans son ensemble et que ce mouvement engendre de fréquents ralentissements. Cette situation qui constitue un cas d'urgence (...) justifie la mise en œuvre d'une dérogation temporaire aux règles en matière de temps de conduite et de repos". Une disposition similaire à celle prise en novembre 2018, lors des premiers blocages de ronds-points par des Gilets jaunes.

C'est un risque très, très minime.
Emmanuel Barbe, délégué interministériel à la sécurité routière

En temps normal, les conducteurs d’autocars doivent faire une pause de quarante-cinq minutes au maximum toutes les quatre heures trente de route, et ne pas dépasser dix heures de travail par jour. Du 18 au 24, ils pourront donc rouler par trois fois pendant douze heures. Mais, anticipe le gouvernement dans son arrêté, dans le contexte actuel, il arrive déjà que les chauffeurs dépassent "involontairement les plafonds de temps de conduite". Cet arrêté permet donc aux deux acteurs du marché français, FlixBus et BlaBlaBus, de ne pas avoir à adapter leur offre aux temps de trajet rendus plus longs par la grève. Donc de ne pas augmenter des prix déjà en très forte hausse : l'association UFC-Que Choisir a constaté des multiplications par 15 sur un même trajet, comme pour ce Paris-Lyon passé de 5 euros fin novembre à 79 euros début décembre.

Reste le problème, majeur, de la sécurité de ces cars, déjà mise en cause à plusieurs reprises ces derniers mois. Comme en attestait encore ce communiqué de la CGT, consécutif à deux accidents de cars FlixBus, le 6 octobre dans l'Aude et le 3 novembre sur la ligne Paris-Londres, ayant fait en tout un mort et 50 blessés : "Selon plusieurs conducteurs, les conditions de travail ne garantissent pas la sécurité des voyageurs. Les chauffeurs subissent une pression pour effectuer des voyages supplémentaires, malgré une réglementation très restrictive en la matière. Cette dernière, qui exige normalement au moins quarante-cinq heures de repos entre deux vacations, n'est bien souvent pas du tout respectée. La rude concurrence du secteur risque de pousser les opérateurs à restreindre encore les coûts d’entretien du matériel et à maximiser le temps de travail des chauffeurs." Un constat dressé avant le début du mouvement social, donc avant l'augmentation légale dudit temps de travail.

Interrogé à ce sujet ce jeudi matin par Europe 1, Emmanuel Barbe, délégué interministériel à la sécurité routière, expliquait de son côté : "C'est conforme au droit européen qui encadre ce secteur et qui est un règlement de sécurité routière. C'est une augmentation minime car c'est deux heures par jour mais au maximum six heures par semaine, et jusqu'au 24 décembre. Donc c'est un risque très, très minime. (...) Si on ne fait pas ça, il y aura des gens qui ne pourront pas bouger de chez eux, ou qui risquent de prendre leur voiture. Et mettre plus de voitures sur la route, ça n'est pas bon. (...) Le fait que ça ne dure que sept jours est une mesure de protection. Les compagnies de car n'ont pas intérêt à l'insécurité routière, c'est vraiment une mesure exceptionnelle pour essayer de soulager les transports. Il ne faut pas s'inquiéter, je ne pense pas qu'on aura à reconduire la mesure. Mais il faudra faire attention dans l'hypothèse d'une reconduction car là, ce pourrait être plus fatigant."

Le gouvernement prend volontairement le risque de provoquer des accidents.
Le syndicat Solidaires Transports

A l’origine de cet arrêté : une demande de la Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV). Sa déléguée générale, Ingrid Mareschal, assurait jeudi 18 décembre à Libération que la mesure ne pose aucun problème de sécurité liée à la fatigue accumulée. "Le conducteur prend toujours son repos réglementaire", arguait-elle, ajoutant qu'elle épargnera surtout aux compagnies concernées "d’avoir des contraventions pour non-respect des règles", et que des disques enregistreurs ont été installés dans tous les autocars pour "vérifier qu’ils sont en règle".

Ce qui n'a pas empêché le syndicat Solidaires Transports de s'insurger contre l'arrêté dans un tract, où l'on peut notamment lire : "La seule logique de ce décret est de casser la grève à la SNCF, la RATP, mais aussi dans les centaines d'entreprises de transports par bus (...) Le gouvernement prend volontairement le risque de provoquer des accidents de transports en commun suite à l'extrême fatigue imposée aux conducteurs." Il y a donc débat. Un débat qui concerne beaucoup de monde : alors qu'en moyenne sur l'année, Flixbus, leader du marché (60% de parts en France), véhicule un peu plus de 200.000 personnes sur deux semaines, quelque 700.000 individus ont ainsi été transportées depuis le 5 décembre.


Hamza HIZZIR

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