Inquiétante mode des bébés lions ou tigres de compagnie : "On dit qu’il y a plus de félins chez les particuliers que dans les zoos"

Publié le 6 mars 2019 à 10h44, mis à jour le 6 mars 2019 à 11h38
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Source : Sujet TF1 Info

ECLAIRAGE - Depuis la découverte d'un lionceau à l'arrière d'une Lamborghini sur les Champs-Elysées, des associations continuent de recueillir de jeunes fauves saisis chez des personnes non habilitées à les élever. De quoi relancer la question de l'ampleur du phénomène, qui ne s'arrête pas à nos frontières, avec de lourdes conséquences quand les animaux arrivent à l'âge adulte. Un Tchèque vient notamment de se faire tuer par l'un des félidés qu'il gardait sans autorisation.

Se mettre en scène avec un fauve, un phénomène aussi nouveau qu'inquiétant ? Fin 2018, les saisies successives effectuées par les autorités, dont une qui avait défrayé la chronique, dans une voiture de luxe à Paris, conduisaient déjà à se poser la question. Quelques mois plus tard, les déclarations d'un vétérinaire de l'association Tonga, un refuge pour animaux sauvages saisis par les autorités pour absence d'autorisation de détention, mauvaises conditions de détention ou mauvais traitements, ne sont pas pour rassurer quant à l'évolution de cette mode pour le moins d'actualité. "Entre septembre 2018 et janvier 2019, nous avons récupéré un bébé tigre et quatre lionceaux", énumère ainsi Jean-Christophe Gérard à l'AFP. Du jamais vu pour cette organisation qui a vu le jour en 2008.

Pourtant, si la tendance tend bel et bien à se développer sur les réseaux sociaux, la version plus traditionnelle a toujours existé. "Quand on a commencé ce combat dans les années 70, un type se baladait avec un lionceau dans les bras sur les quais de la Seine,  les gens se prenaient en photo avec", se souvient le Pr Jean-Claude Nouët,  vice-président de La Fondation droit animal (LFDA).

Une condamnation en octobre

Le bilan récent a tout de même de quoi interpeller : en un an, pas loin de dix fauves ont été saisis chez des particuliers. Avant Poutine - c'est le nom de celui qui a été retrouvé en novembre dans une Lamborghini sur les Champs-Elysées -, une lionceau femelle de quelques kilos, âgé de un à deux mois, avait été retrouvé par les Douanes dans une petite cage d'un garage des quartiers nord de Marseille. 

"Plusieurs dossiers de signalement sont en cours", confirmait à l'époque Arnauld Lhomme, enquêteur de la Fondation 30 millions d'Amis. Outre les récents cas de lionceaux, il rapportait notamment le cas d'un lynx à Champigny-sur-Marne ou encore d'un bébé tigre au Havre.

Fin octobre, un trentenaire qui se disait "amoureux des animaux" a été condamné à six mois de prison ferme par le tribunal de Créteil. Ce dernier avait posté plusieurs vidéos sur les réseaux sociaux, où l'on voyait un lionceau mordiller la tête d'un jeune homme, se faire gratter le crâne par d'autres ou marcher dans les rues. Résidant à Noisy-le-Sec, il avait fini par mettre en vente la bête sur les réseaux sociaux pour 10.000 euros. 

"Les lions en captivité se reproduisent comme des lapins"

Louer des animaux pour faire des selfies, pour quelques centaines d'euros ou les acheter pour quelques milliers d'euros : ce phénomène "a pris de l'ampleur en 2018 et vient des Emirats" arabes unis, analyse Jean-Noël Rieffel de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) pour l'AFP. "Il y a le prestige de détenir un animal dangereux, et l'idée qu'on achète tout, même la nature, même les animaux sauvages." Et "on ne voit que la partie émergée de l'iceberg", estime-t-il. "Grâce aux réseaux sociaux, on est de plus en plus sollicités", complète Arnauld Lhomme. "Les gens se mettent en ligne pour frimer (avec les animaux), des gens nous les signalent et nous pouvons remonter la piste."

Pour retracer l’origine de ces animaux, les professionnels du milieu concèdent rencontrer des difficultés et peinent à se prononcer, malgré une présomption sur les cirques et les zoos. "Les lions en captivité se reproduisent ‘comme des lapins’ à tel point que les parcs zoologiques sont obligés de refréner le désir de reproduction de peur d'être envahis par des lionceaux dont ils ne savent que faire", explique Jean-Claude Nouët. Les cirques doivent tenir des registres d'entrée et de sortie des animaux sauvages (acquisition, décès, naissance) et des registres de soins vétérinaires. Mais les contrôles ne sont pas systématiques. 

Noisy-le-Sec : un lionceau retrouvé dans l'appartement d'un particulierSource : Sujet JT LCI
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"Entre 18 et 24 mois, ça devient l’enfer"

S'agissant de l’exemple du bébé lion à Noisy-le-Sec, le propriétaire avait en effet avoué se l’être procuré dans un cirque refusant néanmoins de préciser lequel. "Il est clair en tout cas que ces animaux ne peuvent pas provenir de parcs zoologiques qui ont pignon sur rue ; c’est impossible vu le nombre de contrôles dont on fait l'objet. Et heureusement", souligne Patrick Jardin, fondateur du Parc des Félins qui avait dans un premier temps recueilli le lionceau Poutine. 

Il y a trois ans environ, c’est sur le parking de ce centre d'élevage et de reproduction des Félins de Seine-et-Marne, que deux lionceaux avaient été retrouvés. Rien de surprenant pour Patrick Jardin qui explique "qu’entre 18 et 24 mois, un lion ça devient l’enfer", à tel point que beaucoup d’animaux, à défaut d’être revendus ou placés, sont euthanasiés. Et de poursuivre : "il y a un moment, à l’adolescence, où on ne peut plus ‘casser le caractère’ de l’animal qui devient un être vivant avec une vraie identité, et là, la vie devient impossible car il essaye de structurer le monde familial comme c’est enregistré dans ses gênes. " 

Certains prennent tout de même le risque de garder l'animal devenu adulte. Mais alors que le phénomène ne s'arrête pas aux frontières de l'Hexagone, des drames relayés par la presse viennent ponctuellement illustrer les lourdes conséquences d'un tel acte. Un habitant de Tchekhov, en République tchèque, vient notamment d'être tué par un des lions qu'il élevait dans un enclos sans y être habilité. Quelques mois plus tôt, la localité avait été le théâtre d'une première alerte lorsqu'une lionne de deux ans qu'il promenait en laisse avait blessé un cycliste.

"Un félin sauvage n’apporte aucun bonheur à son propriétaire"

Et contre toute idée reçue, cet instinct se manifeste autant chez les "hybrides", déplore le directeur du parc des Félins qui s'appuie sur la mode actuelle des chats Bengal croisés avec des servals. "On nous appelle pour nous dire : vous n’avez pas une idée, au lieu de ronronner et nous câliner, notre chat nous griffe et nous mord", illustre-t-il. "Un félin sauvage n’apporte aucun bonheur à son propriétaire si ce n’est de se la péter et de dire ‘j’ai un lion à la maison’. Pour les câlins, il y a les chiens et les chats", s’exaspère celui qui dénonce par ailleurs une "souffrance animale." Et pour cause : certains, comme celui des Champs-Elysées qui avait la queue sectionnée, une faiblesse à la patte arrière et était déshydraté, sont retrouvés dans un état physique inquiétant. 

Malgré cette "inconscience et cette aberration",  il se dit dans le milieu "qu’il y a plus de félins dans les maisons, chez les particuliers, que dans les parcs zoologiques", confie-t-il pour finir, précisant que les chats ne sont bien sûr pas pris en compte. Pour rappel, en France, personne ne peut détenir un animal sauvage sans une déclaration en préfecture. Et un particulier sans qualification professionnelle dans le secteur animalier est tenu de passer par une épreuve d'aptitude pour être en règle. 


Audrey LE GUELLEC

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