Veolia/Suez : 5 questions sur une guerre au sommet du CAC40

par Cédric INGRAND
Publié le 25 septembre 2020 à 18h13
Un militant syndical tient un panneau au pied de la tour Suez, dans le quartier de La Défense, à Paris.
Un militant syndical tient un panneau au pied de la tour Suez, dans le quartier de La Défense, à Paris. - Source : AFP

EAU DANS LE GAZ - Ce serait l'une des plus grandes fusions de l'histoire des entreprises en France. Veolia veut mettre la main sur Suez, pour créer un géant de l'environnement... mais Suez n'a pas du tout envie de se laisser avaler. Une saga au sommet, mais qui change quoi pour vous, au juste ?

L'ex-Générale des Eaux, géant français des services à l'environnement (qui regroupe des activités comme l'assainissement, l'eau, la propreté urbaine et la gestion des déchets) veut acheter le numéro deux du marché, français lui aussi. À eux deux, ils représenteraient près de 50 milliards de chiffre d'affaires, sur un marché mondial en pleine explosion. Un mariage royal au sommet du capitalisme à la française, ça n'arrive pas si souvent, mais il y a un hic : Suez n'a aucune intention d'être absorbée par son premier concurrent, et multiplie les obstacles sur la route d'une union que ses principaux actionnaires verraient pourtant d'un bon oeil. On vous explique tout ça, en cinq questions.

Pourquoi Veolia veut-il racheter Suez ?

Si Veolia veut racheter Suez, c'est pour grandir. Si l'entreprise est numéro un mondial de l'eau et du traitement des déchets, l'addition de Suez en ferait le numéro un mondial des services à l'environnement, toutes activités confondues. Une addition qui cache une particularité du secteur : sa fragmentation. Si Veolia + Suez = 45 milliards d'euros de chiffre d'affaires pour 2019, c'est à mettre en regard des 1400 milliards du secteur tout entier. Pour Veolia, il est question de rien de moins que de la survie des deux champions français. "Si on en garde deux aujourd'hui, dans vingt ans il n'y en aura plus aucun", explique Antoine Frérot, PDG de Veolia.

Pourquoi Suez refuse-t-il ?

Chez Suez, on n'est pas du tout, du tout chaud à l'idée de se faire racheter.  "Le conseil d'administration a considéré, dans le cadre du projet hostile de Veolia, qu'une éventuelle cession de Suez Eau France serait contraire à la raison d'être et à l'intérêt social de Suez, comme à celui de ses parties prenantes et en particulier de ses salariés." Une fin de non-recevoir limpide du management de l'entreprise, mais qui ne satisfait pas son principal actionnaire, Engie, qui détient près de 30% des parts de l'entreprise, hérités de l'époque où GDF et Suez ont fusionné pour devenir Engie, l'actuel Suez étant la branche "environnement" du groupe de l'époque. Or Engie serait ravi de céder ses titres, surtout avec la surcote de 50% promise par Veolia. 

Mais Bertrand Camus, PDG de Suez, met en avant des divergences trop importantes sur l'avenir des deux groupes, dénonçant "une opération financière opportuniste, avec une démarche baroque", et craignant ouvertement pour l'intégrité de Suez, que Veolia pourrait selon lui démanteler pour en vendre certaines activités. Au point de tout faire pour empêcher le principe même de la vente. 

La fusion pourrait-elle créer un monopole de l'eau en France ?

Non, et c'est d'ailleurs le principal point de blocage de l'opération. Si l'on additionne Veolia et Suez, le groupe en résultant dominerait le marché de l'eau en France, avec 60% de parts de marché. Et Veolia sait bien que les autorités de la concurrence ne laisseraient pas passer une telle concentration, surtout sur des marchés publics conclus pour de longues périodes. Le projet de rachat était donc accompagné de la promesse de la revente immédiate de l'activité "eau" de Suez à Meridiam, un fonds d'investissement français. Mais c'était compter sans le stratagème trouvé depuis par Suez, qui remet toute l'opération en question.

La vente a-t-elle des chances d'aboutir ?

D'ordinaire, les OPA ont les meilleures chances de réussir, les actionnaires résistant rarement à une plus-value providentielle (ici de 50% sur le cours de l'action Suez), surtout sur un marché boursier en plein marasme pour cause de Covid-19. Pourtant, à ce stade, rien n'est moins sûr, et pour cause : Suez a peut-être trouvé la "pilule empoisonnée", le stratagème qui empêcherait Veolia de mener à bien l'opération. 

Comme dit plus haut, les autorités de la concurrence ne laisseraient pas passer le rachat par Engie de l'activité "eau" de Suez, qui créerait un quasi-monopole. Mais que se passerait-il s'il devenait impossible de détacher cette activité du reste du groupe Suez ? C'est la parade imaginée par Bertrand Camus, PDG de Suez, qui vient de loger sa filiale eau dans une fondation créée pour l'occasion aux Pays-Bas, un montage un peu baroque, mais d'une efficacité redoutable. En opérant ainsi, la situation de la filiale est bloquée pour au moins quatre ans, il faudrait désormais l'accord du conseil d'administration. Veolia devrait donc lancer une OPA sur l'intégralité du capital pour arriver à ses fins. Mais la guérilla juridique ne fait que commencer.

Qu'est-ce que ça change pour vous ?

En tant que particulier, rien. C'est pour les clients des deux entreprises, existants ou futurs, qu'un rapprochement éventuel pourrait changer la donne, en permettant à Veolia+Suez de proposer des marchés tout-en-un, comprenant le traitement des eaux, la propreté urbaine, le traitement des déchets, mais aussi des choses plus innovantes comme la production d'énergie à partir de la méthanisation des déchets, bref, une offre intégrée très compatible avec les impératifs environnementaux. Avec quand même un écueil : un rapprochement, c'est un acteur de moins, et un peu moins de concurrence. 


Cédric INGRAND

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