"On n'a plus rien à perdre": un an après, des Gilets jaunes nous racontent pourquoi ils continuent

Publié le 16 novembre 2019 à 9h35, mis à jour le 16 novembre 2019 à 9h46

Source : JT 20h WE

OBSTINATION - Maëla, Raz et Miguel étaient présents dans les cortèges de Gilets jaunes le 17 novembre 2018. Un an après, ils battent encore le pavé. Nous avons voulu savoir comment ces manifestants continuaient, près de 50 samedis plus tard.

"Avez-vous déjà pensé à arrêter ?" Miguel hésite, l’espace d’une micro-seconde, avant de nous lancer un très clair : "Franchement, non". Ouvrier dans une usine de l’Oise, il était dans la rue il y a un an. Il y sera encore ce 16 novembre 2019. Comme Raz et Maëla, il est un Gilet jaune de la première heure. Ils nous racontent comment, malgré les obstacles, les concessions et la démobilisation, eux n’ont jamais raccroché la chasuble. 

Un mot d'ordre : lutter contre les "injustices"

Les trois trentenaires sont liés par un même combat: lutter contre "les injustices". Alors que les mots d’ordre ont évolué au fur et à mesure des "actes", certains dénonçant la répression policière, d’autres réclamant plus de démocratie, eux veulent surtout d’une société dans laquelle "les grands payent autant que les petits". Ces mots, ce sont ceux de Maëla. Dès son plus jeune âge, cette beauvaisienne sent peser les inégalités sur son quotidien. Elle nous confie avoir été particulièrement touchée par le sort de sa mère, retraitée seule qui touche 800 euros par mois alors qu’elle a "travaillé et cotisé toute sa vie". Pudique, elle ne veut pas en dévoiler tous les détails car "finalement ce n’est qu’une histoire parmi beaucoup d’autres". Ressentant depuis "toujours" cette "âme de révoltée", ce n’est pourtant que le 17 novembre 2018 qu’elle l’exprime pour la première fois, confessant sans problème que pendant trente ans elle a fait partie de ces "gens qui se plaignent sans rien faire". Cette date est arrivée comme une évidence, elle "n’attendait que ça". Elle saute le pas, rassurée par le nombre. "Pour une fois, nous étions plein ! C’était le moment ou jamais." Un combat qu’elle mène moins pour elle que pour les autres, dont sa mère. 

J’ai découvert que j’étais entouré de personnes qui pensent aux autres
Miguel, Gilet jaune

Cette solidarité, elle a été essentielle pour Miguel. Des trois, c’est lui que le mouvement a le plus impacté. D’abord médiatiquement. Après le 1er décembre, il passe, malgré lui, sous le feu des projecteurs après avoir sauvé un CRS sous l’Arc de Triomphe. "Constamment sollicité, il en ressort "très fatigué" et "physiquement affaibli". Cinq mois plus tard, une nouvelle épreuve l’attend. Il est "blessé par une grenade" lors du 1er-Mai dans la capitale. "J’ai eu un traumatisme crânien et des brûlures sur le cou et les oreilles", qui ont conduit à une semaine d’ITT. Enfin, financièrement aussi, les allers-retours dans la capitale depuis l’Oise commencent à peser. Alors, au printemps, il arrête de se rendre à Paris. Une courte pause de deux mois avant de reprendre car "quand on a des idées, il faut en accepter les conséquences". Fatigué, lessivé puis blessé. Quand bien même ce mouvement lui aura valu de nombreuses épreuves, il ne le lâche pas, épaulé par le collectif. "J’ai découvert qu’en fait, j’étais entouré de personnes qui pensent aux autres", se remémore-t-il. "Ça m’a redonné foi en l’humanité".

Si la pause n’a duré que quelques mois pour Miguel, elle a conduit à  un arrêt total pour d’autres. Une démobilisation que ce dernier comprend. Dans les rangs, on s’est "calmé" à cause des "violences policières" et la "répression juridique", estime-t-il, puisque "même [lui]", pourtant très investi, s’est retiré après le 1er-Mai. "Une blessure comme ça, ça vous pousse à remettre votre engagement en question." Ainsi, comme lui, depuis le 17 novembre dernier, 2.500 manifestants ont été blessés, selon le ministère de l'Intérieur. 

Le combat "évolue"

Raz aussi avance l’argument des "violences policières" pour expliquer que les rangs se vident. Et de nous donner comme exemple les propos d’une femme rencontrée lors d’une manifestation pour le climat. Une personne l’interpelle, lui qui porte toujours le vêtement jaune, et lui demande de partir car "elle craint qu’à cause de [leur] présence, ils se fassent taper dessus". Mais ce n’est pas la seule raison. De façon "sincère", le trentenaire nous confie aussi que de nombreux obstacles ont pu en décourager plus d’un. Comme la "répression judiciaire", avec 10.000 gardes à vue et plus de 3000 condamnations dont 400 à de la prison ferme, la réponse pénale est "sans précédent", comme titrait Le Monde en début de mois. Enfin, l’absence de "lieu de réunion", a elle aussi changé la donne. Pendant six mois, ce petit groupe de Gilets jaunes s’est réuni dans une cabane sur un rond-point de Chevrières pour discuter et se soutenir. Elle a été démantelée au printemps. Ils ne sont plus jamais arrivés à en reconstruire. "Elles ont toutes été dégagées par la gendarmerie" à peine érigées.

Les Gilets jaunes vont revenir
Raz, Gilet jaune

Mais la colère et la volonté restent intactes chez celui qui admet être "têtu" et optimiste, avec comme maxime de vie "quand on veut on peut".  C’est pourquoi cette figure locale a décidé de changer d’échelle, pour s’intéresser à ce qui se fait au niveau départemental. Dans l’Oise, il participe aux " réunions régulières". Objectif: trouver comment "remobiliser les troupes", échanger des informations ou décider des actions à mener "pour les embêter un minimum". Au menu de la dernière en date, qui a eu lieu ce dimanche 3 novembre, évidemment l’organisation de l’anniversaire du mouvement, tout comme la grève "reconductible" organisée le 5 décembre par plusieurs syndicats. 

Raz est même allé "plus loin" en se rapprochant de groupes en Ile-de-France et dans le sud de la France. Et c’est ce qu’il découvre dans ces instances de discussions qui continue de lui donner de l’espoir. Car si au début "il y avait le nombre "dorénavant il y a la clarté. "Avant, on fonçait sans que personne ne comprenne ce qu’on voulait. Maintenant tout le monde sait." Et c’est pourquoi il nous l’assure : les Gilets jaunes "reviendront". "Les uns et autres disent que c’est une date à ne pas rater", témoigne-t-il.

Il faut "au moins" continuer

Un constat partagé dans les rangs, où le moral peut se résumer en une publication à succès sur Facebook. "Nous sommes beaucoup à avoir lâché sur le terrain, mais nous sommes aussi beaucoup à pouvoir et vouloir nous remobiliser." Si "certains se sont calmés" Miguel est convaincu en effet que "ça reprend de plus belle". Et de lister tous les secteurs dans lesquels le "mécontentement" gronde. "Pompiers, ambulanciers, SNCF, professeurs, étudiants, retraités … c’est de pire en pire." Pour lui, aucun doute :"À un moment tout ça va exploser. " Au-delà de cette convergence toute récente, qu’est-ce-qui a pu pousser chacun d’eux, 50 samedis consécutifs, à continuer, encore et encore ? "Macron", nous répond Maëla, amusée. "C’est lui qui nous motive le plus, à force d’ignorer tout le monde", explique-t-elle. 

 Alors, à défaut d’être "entendue", la jeune femme veut au moins continuer à "être vue". Elle le sait, comme ceux qui ont abandonné autour d’elle, "les manifestations à quelques centaines ne servent plus à rien". Mais il faut "au moins continuer". "De toute façon, on n’a plus rien à perdre."


Felicia SIDERIS

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