Annie, victime de viol conjugal : "Pendant dix ans, j'ai dormi sur le canapé"

Anaïs Condomines
Publié le 17 mai 2018 à 10h10, mis à jour le 22 novembre 2018 à 15h43
Annie, victime de viol conjugal : "Pendant dix ans, j'ai dormi sur le canapé"
Source : AFP / Illustration

TÉMOIGNAGE - Annie, mère de famille de 49 ans, est en instance de divorce avec son époux. Ce mercredi 16 mai, elle raconte à LCI comment elle a vécu, pendant plus de dix, des rapports forcés dans l'intimité du foyer familial.

À 49 ans, elle sort du silence. Pendant plus de dix années, Annie* a subi de la part de son mari des viols conjugaux. Aujourd'hui en instance de divorce depuis quelques mois, elle raconte à LCI un enfer qui dit rarement son nom.

"Je me suis mariée en 2003 avec quelqu’un qui m’acceptait en tant qu’obèse, seule avec trois enfants. Je m’estimais heureuse. Il me plaisait mais c’était surtout un ami, on s’entendait bien. Parce que nous étions pratiquants, nous n’avions pas vécu ensemble avant de nous marier." La vie ensemble, au début, se déroule sans heurts. "Même si j'ai vite remarqué que, comme un enfant, il n’acceptait pas qu’on lui dise non. Il insistait lourdement jusqu’à obtenir ce qu’il voulait", précise-t-elle, ajoutant : "Il était manipulateur, il fonctionnait au chantage même avec les enfants, même s'il n'était pas violent physiquement".

Si je le laissais m'approcher, c'était comme un bon pour accord
Annie

Et puis vient la nuit du premier viol. Annie s'en souvient comme dans un brouillard car dans sa mémoire, "les dates se mélangent, j'ai tout voulu effacer". Cette nuit-là, à cause de son diabète, elle connaît des démangeaisons douloureuses. Elle a envie de dormir. Mais son mari, de l'autre côté du lit, insiste. "J'ai fini par dire, 'fais ce que tu as à faire, mais je ne veux pas'. Je pleurais pendant l'acte, il n'en a jamais tenu compte. À la fin, il m'a demandé si c'était bien, je n'ai pas répondu et je suis partie sous la douche."

Annie poursuit : "Il m'a forcée une ou deux fois et ensuite j'ai compris que ce serait automatique. Il s'est mis à me dégoûter. Je disais 'non, j'ai pas envie', alors il boudait, puis il disait 'tu ne me laisses plus te toucher, on n'a pas une sexualité normale'. À n'importe quel moment dans la journée, si je le laissais me prendre dans ses bras, c'était pour aller au lit. S'il me prenait par les épaules, je savais que j'allais passer à la casserole. S'il me touchait le genou, il finissait automatiquement par me toucher sexuellement. En fait, si je le laissais m'approcher, c'était comme un bon pour accord. Je ne pouvais plus dire non." De son côté, Annie culpabilise. En boucle, elle se répète, à propos de celui qui lui a donné deux autres enfants : "On a tout pour être heureux".

Un rendez-vous déclencheur

Mais pour se protéger, elle finit par élaborer des stratégies. Elle nous explique : "Je faisais exprès de m'endormir devant la télévision, comme ça il me fichait la paix. Pendant dix ans, j'ai dormi sur le canapé. C'était la seule alternative. Si je dormais dans la chambre ou si je le croisais, je savais que c'était fichu. Je l'entendais prendre sa douche, se raser et je savais ce qui allait suivre. Je me mettais à stresser, je ne savais pas quoi faire. Si je dormais déjà, alors il me réveillait."

Malgré son mal-être, Annie n'a pas conscience, à cette époque, de subir des viols conjugaux répétés. La réalité éclate beaucoup plus tard. "Il y a peu de temps, je lui ai dit que je voulais qu’on se sépare ou qu’on fasse un break, il n’a pas voulu. Donc on a pris rendez-vous chez la conseillère conjugale. Devant lui, elle a parlé de 'viols conjugaux'. Moi, c'est là que j’ai appris." Son mari, lui, "reconnaît l'avoir forcée mais refuse de parler de viol". À partir de cet instant, tout s'embraye. La mère de famille insiste pour faire chambre à part, "histoire de m'enfermer dans la chambre', demande le divorce, entre en contact avec des associations spécialisées et, début 2018, porte plainte. "J’attendais des associations qu’elles me rassurent, qu'elles me disent que la conseillère conjugale se trompait. Mais elles m’ont dit ‘oui, vous êtes en plein dedans madame. Vous avez le droit de porter plainte.' Aujourd'hui, Annie a pris énormément de recul sur sa situation d'alors. 

Légalement, un non est un non

"Je savais que ça n’allait pas. Je ressentais comme des symptômes de femme violée, je fouillais dans mon passé pour comprendre. Je suis une femme indépendante, solide, c’est moi qu’on vient voir quand on a un problème. Comment j’ai pu laisser cela m’arriver ? Comme il n’y avait pas de violence physique, je doutais, je me demandais : ‘est-ce que malgré tout je n’étais pas d’accord ?'". 

Peu à peu, des éléments de réponse lui parviennent : "J’ai grandi dans une famille où on ne pouvait pas dire non. On disait tout le temps oui pour faire plaisir. Je ne m’acceptais pas, je m’oubliais pour faire plaisir aux autres. J’avais ce schéma du devoir conjugal ancré dans la tête, même s’il n’existe pas en réalité. Même si légalement... un non est un non." Selon les chiffres de la Mission interministérielle pour la protection des femmes (MIPROF), 2060 femmes femmes ont dénoncé des viols conjugaux aux autorités, en 2016. 

* prénom d'emprunt


Anaïs Condomines

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