Bientôt inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco ? On a fait la tournée des bars pour comprendre ce qu’est un vrai bistrot parisien

par Sibylle LAURENT
Publié le 9 juin 2018 à 8h00

Source : JT 13h Semaine

TOURNEE DES BARS - Une association veut inscrire les bistrots et terrasse de paris au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Elle présente sa démarche lundi. Au fait, c’est quoi un bistrot ? LCI est allé traîner ses guêtres dans le 14e, demander aux clients, et aux bistrotiers.

C’est autour du comptoir que ça se passe. Tout au bout, il y a Sonia, qui trône. Débardeur fushia, rouge à lèvres accordé, regard bleu de 80 et quelques années. Elle se cale là tous les matins. Sur le même siège, au même endroit. Et passe une partie de la journée à regarder et écouter les gens du quartier. Un pilier, au point que les autres habitués la surnomment : "la patronne".

C’est au Potovin, dans ce bistrot de la rue Brézin, dans le 14e à Paris, qu’on est venu chercher un début de définition du "bistrot parisien". C’est quoi, vraiment, un bistrot parisien ? La question se pose d’autant plus que vient de se créer une association pour l’inscription au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco des bistrots et des terrasses de Paris. Un début de réponse est sans doute par ici, entre les tabourets hauts, l’ardoise au mur, la machine à café qui glougloute, le tintement des cuillères, les bruits de vaisselle, les matinaux qui sommeillent sur le journal du jour. 

Le zinc et le journal

Un bistrot, c’est d’abord une ambiance. "On se croirait dans un petit village", raconte Sonia, 30 ans à écumer le quartier. "C’est moins grand qu’une brasserie, c’est plus familial, on y retourne parce que les patrons sont sympas, on y discute, parfois de la météo, ou on écoute." Un bistrot, c’est ouvert sur la rue. Ici, les clients alternent entre le café au zinc, et la cigarette en terrasse, à regarder d'un oeil les gens qui passent. 

Un bistrot déjà, c’est un bout de quartier. La clientèle change suivant les heures. Avant que ne débarque Sonia, il y avait JC et Fred. Chacun arrive de son côté, cale une fesse au bar, chacun son journal. L’Equipe, le Parisien. Ils se croisent comme ça tous les matins. "Je viens lire le journal le matin, et ça se limite à ça. Je ne veux pas faire le café chez moi, ça me permet de sortir et d’être un peu social", dit JC, ancien restaurateur. "Chacun lit son journal et on attend que l’autre finisse pour échanger", complète Fred. Le journal, qui file et qu’on se refile. C’est d’ailleurs presque un élément central du zinc, on le prend, le plie, le repose, le tort. "L'un prend le journal pour faire les mots croisés, l’autre les sudoku", dit Sonia. Derrière, la radio fait un fond d’écran aux conversations.

Valse des clients

Après les matinaliers, après Sonia, arrivent les "dames", sur le coup de 11 h Des dames du quartier, viennent, chacune de leur côté, et se retrouvent au zinc pour papoter. Des clients devenues amies autour du bar. "Au début, elles étaient deux", dit Sonia. "Et je me souviens que comme elles étaient arrivées ensemble, ça avait jasé, les gens disaient que c’était un groupe de lesbiennes... Et pas du tout !" Car oui, le bistrot, c’est aussi là où passent les informations du quartier, ou tout se sait. "Comme un point d’information ! L’un dit ça, l’autre déforme un petit peu, le troisième encore plus... " A contempler les humains du bar, Sonia en devient philosophe. "Mais c’est marrant, on ne s’ennuie jamais. Je me mets toujours dans ce petit coin, comme ça je vois tout le monde, j’entends tout le monde, il y en a qui viennent pleurer leurs petites misères parce qu’ils sont malades, d’autres qui viennent raconter leurs petites blagues, c’est mieux que les infos à la télé !" A midi, viennent les travailleurs du quartier, les commerçants. Et l’après-midi, "il y a tout un groupe de Portugaises, c’est toutes les concierges du quartier, qui viennent papoter", raconte Sonia. Et le soir, c’est apéro. "On offre des tournées, à boire ! je fais ça de 17 h à 18 h, et après je rentre bien tranquillement chez moi. Parfois, mon mari vient me chercher. Mais quand je marchais bien, je traînais davantage !" 

La patronne du Potovin, elle, n’a "pas le cœur" de parler. Elle écoute, amusée, ses clients parler d’elle. Les couve d’un œil, en maman responsable. Mais elle ferme dans 15 jours, part en retraite. Elle parle à demi-mot de cette vie quand même usante, du coût de la pratique, de la difficulté à faire tenir un petit bistrot de quartier, de la clientèle, si difficile à faire, et qui part si vite dès qu’il y a un problème. Alors elle préfère renvoyer sur un autre bistrot, d’un mot : "Vous n’allez pas être déçue !" 

SL/LCI

Voilà donc le bistrot, quelques rues plus loin, s’appelle le Vaudésir, rue Dareau. Là, le comptoir en étain baigne dans un jus des années 30, entouré de moulures jaunies, de photos, posters, bibelots. Décor discrètement chaleureux, qui donne envie de s’y accouder. Le patron, Christophe Hantz, finit de compléter l’ardoise. Des entrées à 3 euros, desserts à 3 euros, plat principal à 8, 20€. C’est aussi ça, un bistrot : de la cuisine simple, abordable. "Je vous écoute, juste comme je suis toujours un peu à la bourre comme d’hab', je fais quatre choses en même temps !" Christophe Hantz est depuis 18 ans dans ce bistrot installé depuis 1886 sous la voie du RER. Et ce concept de "bistrot parisien", il y a longtemps réfléchi. "C’est quelque chose auquel on ne pense pas, mais finalement on peut arriver à trouver des critères assez objectifs", tranche-t-il. Avant d’énumérer : "On est ouvert tôt, fermé tard, on a un comptoir, à boire et à manger. Un bistrot, c’est l’annexe de la maison, pour une clientèle de voisins, de bureau, de retraités, cadres, ouvriers, jeunes, ça rassemble vraiment tout le monde." 

Il a commencé à cogiter sur ce concept en voyant surgir la très tendance 'bistronomie' : "En fait, ça s’est développé pour aider les chefs à survivre, car la gastronomie, ce n’est pas rentable. Ils ont fait un 'bistrot bis', un peu moins cher. Mais ils utilisent le terme 'bistrot' à mauvais escient. Car un établissement qui ouvre de 11 h à 15 h et de 19 h à 23 h, ce n’est pas un bistrot. On ne peut pas y boire un verre, et c’est quand même très cher, un ouvrier en bleu de travail ne va pas pouvoir y prendre un café." C'est comme ça qu’avec quelques patrons, il s’est dit : "mais au fait, c’est quoi un bistrot ?" "On s’est mis autour d’une table et tout est sorti", dit Christophe. "Il faut aussi un patron, un comptoir, un plat du jour, une ardoise, suivre les saisons dans les recettes, une déco qui reflète le quartier... "

SL/LCI

On est le premier réseau social !
Christophe, patron du Vaudésir

Le patron est aussi l’un des piliers de l’association qui milite pour l’inscription au patrimoine immatériel de l’Unesco. Avec la conviction que cette démarche peut aider à sauvegarder ces établissements en voie de disparition : ils ne sont plus que 600 à Paris, deux fois moins qu’il y a 20 ans, grignotés par la modernité. "Les beaux emplacements sont repris par des groupes qui raisonnent en terme financiers", détaille Christophe. "Ils mettent des gérants, et cassent cette ambiance de quartier, pour pouvoir vendre plus cher à des gens de passage, en faisant des happy hour comme on voit partout, la cuisine devient un peu industrielle, on met la télé pour ne pas avoir à parler aux gens, et il n’ y a pas de contact. Il n’y a pas de patron, ce sont les groupes." 

Car un des piliers du bistrot, c’est, bien sûr, le patron, ou la patronne. Les clients viennent aussi et peut-être surtout pour lui. "Il y a des patrons aveyronnais, andalous, qui créent un lien." Un homme rentre, dit un nom, et Christoph Hantz prend des clés, dans un tiroir. "Ah oui, on remplace les concierges aussi. On garde les clés des gens.  On est des piliers du quartier !" 

La démarche de dossier à l’Unesco fait parler. Le sujet est repris dans les JT. C’est aussi le but. "Cela met un bon coup d’éclairage sur ces commerces dans lesquels on ne rentre plus forcément, on passe devant tous les jours, on ne s’en rend plus toujours compte. Et ça peut faire réfléchir les clients, se dire : voilà, c’est vachement bien, retournons au bistrot, boire un coup, redécouvrir la cuisine ! Et les patrons peuvent se dire 'finalement, on est devenu un peu brasserie chic, pourquoi ne pas revenir au bistrot comme autrefois avec un plat du jour et une attitude simple et conviviale, qu’on vient tous chercher... On vient dans un bistrot pour boire un coup, lire le journal, discuter, rencontrer, partager. C’est moderne, on est le premier réseau social !"


Sibylle LAURENT

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