Mais qu'y a-t-il dans la potion magique d’Astérix ? Nous avons mené l'enquête

par Sibylle LAURENT
Publié le 19 octobre 2017 à 7h55, mis à jour le 19 octobre 2017 à 17h05
Mais qu'y a-t-il dans la potion magique d’Astérix ? Nous avons mené l'enquête

FICHE CUISINE - C’est presque l’un des personnages des bandes-dessinées d’Astérix et Obélix : la potion magique du druide Panoramix. Mais qu’y-a-t-il dedans ? On a tenté de percer le mystère alors que le nouvel album des irréductibles gaulois, Astérix et Obélix et la transitalique, sort ce jeudi en librairie.

Quelle est la recette de la potion magique d’Astérix ? Voilà le sujet posé sur la table de la rédaction, un petit matin, alors que sort jeudi un nouvel album du Gaulois Astérix et Obélix et la transitalique). Et, sans trop se tromper, on peut déjà prédire que la potion magique aura une fois encore un rôle prépondérant. Car cette potion qui donne une force surhumaine est quasiment devenue un des personnages de la BD. Pour la petite histoire, elle ne devait aux origines figurer que dans le premier album, Astérix Le Gaulois. Mais René Goscinny expliqua plus tard qu'"elle a connu un tel succès, que nous l’avons gardée". Cette potion magique est douée de multiples vertus, qu'on découvre au fils des albums : elle permet d’acquérir une force qui semble ne pas avoir de limites -  dans Les 12 travaux d'Astérix, Obélix soulève six éléphants, ce qui équivaut à près de 36 tonnes -, ses effets durent plusieurs heures (Astérix Le Gaulois), elle permet encore de retrouver la voix lorsqu’on est aphone (Astérix chez Rahazade)... est considérée comme un produit dopant et interdite d'usage lors des compétitions olympique (Astérix aux JO).

Bref, cette potion est un véritable atout, au point que les Romains n’auront de cesse de capturer le druide Panoramix pour tenter de reproduire cette fabuleuse recette qui rend ce village gaulois irréductible. Alors revenons-en donc à cette question : qu'y a-t-il donc dans cette potion ? Quels ingrédients touille exactement Panoramix le druide ? Evidemment, aucune liste exhaustive des ingrédients. On sait à peine la consistance de cette soupe, qui apparaît tantôt verte, puis rouge, dans Astérix et les indiens. Le mystère est entier.

Dans le flou total, les recherches commencent donc par Google. Ce qui permet de découvrir que quelques passionnés ont mené des recherches approfondies. Sur le site asterixinteractif.free.fr, un internaute a ainsi mené l’enquête, et recensé, au fil des cases et des albums, tous les ingrédients, en répertoriant, à chaque fois, où chacun d’eux est cité. L'ensemble des albums permet ainsi de reconstituer une recette... unique. Sont ainsi nécessaires : du homard pour le goût (Astérix le Gaulois), du gui (La serpe d’or), mais aussi carottes, navets, céleri et sel (Astérix chez les Goths), des fleurs des bois et des trèfles à quatre feuilles (Le combat des chefs), du poisson "raisonnablement frais" (La grande traversée), et de l’huile de roche (L’Odyssée d’Astérix), pouvant être remplacée par du jus de betterave, qui donne meilleur goût. Certains ingrédients restent de l’ordre de la supputation : "Les chants d'Assurancetourix risquent de faire tourner la potion magique de Panoramix (La rose et le glaive, p. 45, 1ère case). Y aurait-il un quelconque produit laitier ?", interroge ainsi l'auteur du site.

 

Alors, voici donc la recette de la potion ? Confirmation est demandée à la maison d’édition. Visiblement, nous sommes en bonne voie, mais il manquait encore des ingrédients. Voilà la recette qui nous a donc été fournie, officielle. Avec une précaution : "Les Editions Albert René déconseillent la consommation de la potion", nous prévient-on. Il faut donc mentionner cette condition. Une indication qui laisse par ailleurs à penser que le breuvage ne doit pas être fameux... Ou susceptible de donner des aigreurs dans le ventre.

- Du gui (exclusivement cueilli par un druide à l'aide d'une serpe d'or)

- Du homard (pour le goût)

- Des fraises (pour l'arrière-goût)

- Du sel

- Du poivre

- Des carottes

- Des oignons

- Des fleurs des bois

- Des trèfles à quatre feuilles

- Du poisson "raisonnablement frais" (mieux vaut ne pas être trop regardant sur ce point quand on habite le village des Irréductibles Gaulois...)

- De l'huile de roche, qui peut être remplacée par du jus de betterave par les tenants des énergies renouvelables

Et sûrement beaucoup d'autres ingrédients ! Nos experts travaillent d'arrache-pied pour tenter de percer le mystère encore entier de cette potion extaordinaire. N'est pas Panoramix qui veut...

Aussi, nous suggérons une varnate bretonne plus simple à réaliser : laissez infuser des feuilles de thé dans de la "chaude eau". Ce n'est pas à proprement parler de la potion magique, mais les Bretons ne s'en sont jamais plaints...

Les plus avertis des cuistots observeront que, si les ingrédients sont là, les quantités ne sont pas données... Et les vrais le savent : dans une recette, les proportions, ça peut tout changer. Le site Tastemade a tout de même tenté de faire la recette, à voir en vidéo par ici. Le chef du jour se charge donc de mixer jus de betterave et de fraises dans un blender, d’éplucher des carottes, d’écraser des gousses d’ail, d’ajouter, lorsque cela bout, un homard, un poisson, quelques feuilles, une pincée de sel. De faire bouillir. Et de déguster. D’après les grimaces des convives, le mélange serait particulièrement infect. Et a priori, les effets désirés n’ont pas non plus été au rendez-vous. 

Sans doute, la faute au dosage... Reste une question : les potions peuvent-elles réellement donner des super pouvoirs ? Sont-elles réellement utilisées par les druides ? Et la recette de Panoramix peut-elle selon eux être efficace ?

Capture écran Tastemade

Nous voici partis à la recherche d’un druide ou d’un représentant qui pourrait nous défricher tout ça. Sur Facebook, peu de traces, sauf une page intitulée Chamanes, Druides et Sourciers, un groupe "destiné à échanger sur les traditions anciennes liées au chamanisme, au druidisme, à la sourcellerie, la géobiologie et à la radiesthésie, et à leur adaptation à notre monde moderne". Parfait. On envoie un message aux  administrateurs, Jean-Claude Thimoléon, également surnommé "Imothep guérisseur", un profil aux longs cheveux et barbe blanche, qui poste des articles sur les huiles essentielles et l’herboristerie. On est dans le créneau. Des demandes sont également envoyées à Sylvain Ribier, mélange de photos d’amulettes, de tambourins et d'articles autour de la méditation, ou Christian, "Géobiologue et leveur de feu énergéticien et lithtothérapeute". Mondes étranges...

Taper "druide" dans Google donne a priori peu de résultats. Emerge bien une "Agence de druide" - qui s’avère être un site immobilier, un "Druide conseil", qui en fait est là pour "optimiser le fonctionnement des entreprises". Un "Druide du Web.com" suscite de grands espoirs, d’une communauté de druides en ligne, totalement adaptés aux nouvelles méthodes de communication. Hélas. Ils ont bien une "recette de potion magique", ... mais pour optimiser son projet de site web. Les druides auraient-ils totalement disparu  ?

Une pratique qui "apprend à vivre en harmonie avec le monde"

De site en site, quelques informations permettent de saisir, dans les grandes lignes, les contours de la pratique druidique, "une philosophie religieuse basée sur la recherche personnelle et la découverte de l'autre", une pratique qui "apprend à vivre en harmonie avec le monde, et à respecter les différences de chacun."  Bref, on est loin de l’image un peu fantasmée de messieurs à barbe longue et en toge blanche, gambadant joyeusement dans les forêts.  Le druidisme n'est pas synonyme de potions magiques ou de rituels sacrificiels.

C’est à ce stade de la recherche que le téléphone sonne, et que nous rappelle Sylvain Ribier. Il se présente, il est chamane, et en connaît un rayon sur le sujet des druides. Tout prêt à nous guider sur la voie de la connaissance. "Chamanes et druides sont des petits frères, les deux courants sont liés : tous deux ont une vision animiste du monde, à penser que tout a une âme, et que plantes, pierres, hommes, animaux, méritent du respect", explique-t-il. Les cérémonies diffèrent, le chamanisme est davantage tourné vers les animaux, le druidisme vers les arbres, mais le rapport à la nature, le fait de se servir de la puissance des éléments de la nature, est le même.

Vous retirez juste le gui, et vous avez une excellente soupe de poisson !
Jean-Claude Thimoléon, chaman et thérapeute

"A l’époque des Celtes", explique Sylvain Ribier, "le druide avait une position sociale importante, il parlait à l’oreille du roi, était un homme de justice, et participait souvent aux combats." Un peu mage, un rôle de prêtre, doté d’un pouvoir spirituel très fort, mais aussi d’un pouvoir temporel. Dans la BD d’Astérix, Panoramix "fait office de sage du village", analyse Sylvain. Mais les auteurs ont peut-être pris quelques libertés avec l'Histoire... "Le personnage de la BD est en fait un peu un croisé entre druide et chamane", estime le chamane. "En fait, à l'époque les deux co-existent mais les chamanes avaient davantage des rôles de guérisseurs.  Le druide lui, évolue au sein d’une très grande hiérarchie, il pratique au sein d’une clairière, une assemblée de druides. Chez les Celtes, quand quelqu’un était malade, il allait voir le chamane. Mais s’il avait besoin d’une décotion, il allait prendre cela chez le druide, qui avait un rôle d’apothicaire, d’herboristerie". 

Les druides faisaient donc bien des potions. On avance. C’est à ce moment que rappelle Jean-Claude Thimoléon. Notre demande le fait bien marrer. "Bien sûr que je peux vous aider !" Lui aussi est chamane et pratique la phytothérapie, l’ergothérapie, est doté d'une solide formation dans ces domaines, et enseigne les deux disciplines.  Fin connaisseur des plantes et de leurs vertus. Il s’enquiert, curieux, de l’énoncé de la recette de la potion magique fourni par la maison d'édition. Et le verdict est clair : "C’est une bonne soupe, quoi !", s’exclame-t-il en riant. Il met cependant "un bémol sur le gui" :  "Le gui contient des alcaloïdes, substance présente aussi dans tous les champignons mortels. Ce n'est pas du tout bon pour la santé", dit-il. "Mais le reste, les carottes, les navets, le poisson... C’est une bonne soupe. Vous retirez juste le guy, et vous avec une excellente soupe de poisson à condition qu’il soit frais !", résume Jean-Claude Thimoléon. 

Il n’y a aucune possibilité que cela donne une force surhumaine
Jean-Claude Thimoléon

Nous voilà donc rassurés. Sauf que Jean-Claude Thimoléon émet encore un bémol : "Ce que je peux  vous assurer, c’est qu’il n’y a aucune possibilité que cela donne une force surhumaine !" 

Pas de pouvoir surhumain ? Grosse, pénible, désillusion. Pourtant, les potions existent, druides et chamanes en font encore, et permettent de soigner bien des choses. "Je fais des mélanges de plantes, d’huiles essentielles", explique le chamane. "A partir du moment où l’on est dans une spiritualité liée à la nature, il est intéressant de se pencher sur les bienfaits qu’elle peut apporter." Et il est catégorique : "On peut soigner à peu près tout par les plantes. Savez-vous qu’on a actuellement environ 8.000 médicaments en permanence en circulation, fait à partir de 150 molécules, dont 110 proviennent de plantes ? Et les plantes, représentent 20.000 molécules. Vous imaginez le potentiel ?" Et si la médecine traditionnelle ne retient que le principe actif des plantes, druides et chamanes utilisent la plante dans son ensemble. "Nous estimons que si la nature a mis toutes ces molécules ensemble, c’est qu’il y a une raison ! Vous savez, la nature est merveilleuse, surprenante. Il y a des choses qu’on n’explique pas. Par exemple quand on trouve une plante ou un champignon toxique, il y a toujours son antidote dans les 5 à 6 mètres alentours."

Alors oui, constate le chamane, qui a pignon sur rue avec une plaque de thérapeuthe mentionnant "bioénergéticien, géobiologie, phytothérapeute", le métier alimente encore les fantasmes. Voire les sarcasmes. "Beaucoup de gens nous regardent avec un petit sourire, mais on s’en fiche ! De manière générale, dès qu’on parle spiritualité, idées, philosophie, ce n’est pas très bien vu", analyse le thérapeuthe. "Mais ce qui compte, c’est qu’on peut aider les gens, qu’ on guérit certaines choses que la médecine traditionnelle ne guérit pas." Sylvain, l’autre chamane, observe lui aussi un retour aujourd’hui vers ces pratiques : "On redécouvre ces potions, ces herbes, à travers ces envies de bien-être, les prises de conscience autour des bienfaits de la méditation", explique-t-il. "La pratique revient Des psychiatres, des infirmières, viennent découvrir une nouvelle façon de soigner chez nous. Car aujourd’hui, les gens ont besoin de retrouver de l'humanité, et n’ont plus confiance dans la médecine traditionnelle. Il ne faut pas la rejeter, elle a bien des choses à apporter, mais les deux doivent être complémentaires, ce qui n’est pas encore le cas en France, à la différence d’autres pays comme la Suisse. " Jean-Claude Thimoléon le voit : "Le monde scientifique nous prend aujourd'hui au sérieux. On estime qu’environ 70% de la population a recours à des médecines naturelles, au moins une fois dans l’année." Une nouvelle génération de Panoramix est-elle en marche ?


Sibylle LAURENT

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