Calais : le difficile travail des bénévoles, malmenés par l’extrême droite et les autorités

Youen Tanguy, à Calais
Publié le 24 octobre 2017 à 18h57, mis à jour le 24 octobre 2017 à 23h20
Calais : le difficile travail des bénévoles, malmenés par l’extrême droite et les autorités

BÉNÉVOLES - Un an après le démantèlement de la "jungle", des centaines de migrants vivent encore à Calais dans des conditions très précaires. Outre les associations, des anonymes se mobilisent pour apporter leur soutien malgré la pression des réseaux d'extrême droite.

Son rire résonne dans les couloirs du centre d'accueil du Secours Catholique de Calais. Si Myriam* est si bruyante, c'est parce que Nira, un migrant érythréen, vient de lui raconter une blague. "Je préfère qu'on parle d'exilés", nous reprend-t-elle d'emblée. Cette Calaisienne de 51 ans est une visiteuse régulière de ce centre aux murs jaunes, installé au bord d'une route nationale. Ici, les migrants peuvent venir tous les jours entre 14h et 17h pour se reposer, prendre le thé, faire des dessins ou encore jouer au baby-foot.

Depuis le démantèlement de la "jungle" en octobre dernier, Myriam se rend dans ce centre deux fois par semaine minimum. "Je vais aussi les voir pendant les distributions de nourriture ou dans la ville." Si, aujourd'hui, la Calaisienne consacre une grande partie de son temps libre aux réfugiés - elle est sans emploi -, ça n'a pas toujours été le cas. "Moi je suis une ancienne raciste", lance-t-elle sans fourcher. "J'ai eu un déclic après m'être rendue dans la jungle il y a deux ans".

Un an après son démantèlement, qu'est devenue la jungle de Calais ?Source : Sujet JT LCI
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J'avais beaucoup d'a priori mais je suis tombé amoureuse
Myriam, bénévole

Myriam, vêtue d'une chemise, d'un jean et de bottines noires, nous raconte s'être rendue pour la première fois dans la "jungle" avec son professeur de photographie en janvier 2016. "J'avais beaucoup d'a priori mais je suis tombée amoureuse, s'émeut-elle. Il y a tellement de belles choses, là-bas. Les exilés vous accueillent les bras ouverts, toujours avec le sourire et souvent avec un thé ou un café". Pendant un an, elle se rendra presque tous les jours dans la "jungle" pour "donner des cours de français", "s'occuper des enfants" et même "faire l'infirmière".

En plein milieu de l'interview, elle regarde notre feuille, le regard inquiet, et nous lance : "Vous n'allez pas mettre mon nom, si ?" Par crainte de recevoir de nouvelles menaces des réseaux d'extrême droite, elle préfère garder l'anonymat. Apparue à plusieurs reprises dans des articles écrits et reportages télévisuels par le passé, elle en a subi les conséquences. "J'ai été harcelée, menacée et mon adresse a été divulguée sur internet."

Pascal* aussi dit avoir été victime de menaces sur les réseaux sociaux. Ce retraité, qui avait hébergé pendant plusieurs semaines des migrants dans son jardin, avait fait l'objet d'un article de presse contant son action. "Des types m'ont écrit pour me dire qu'ils avaient mon adresse et qu'ils allaient venir tout casser chez moi." Depuis, il a préféré arrêté d'accueillir des exilés chez lui.

Adresse postale et numéro de portable divulgués sur les réseaux sociaux

Myriam et Pascal ne sont pas les seules dans ce cas. Selon Charlotte, de l'association Utopia 56, plusieurs bénévoles calaisiens ont subi des menaces de groupuscules d'extrême droite. "Plusieurs bénévoles, notamment ceux qui ont accueilli des migrants sur un terrain privé, ont vu leur adresse postale et leur numéro de portable divulgués sur les réseaux sociaux". Et d'abonder : "C'est encore plus violent s’ils n’appartiennent à aucune association".

Les associations ne sont pas pour autant exemptes de menaces et de critiques. "Ce qui a changé depuis le démantèlement de la jungle de Calais, c'est qu'on est entré dans une logique de criminalisation des aidants, déplore auprès de LCI François Guennoc, président de l'Auberge des migrants. Avant on pouvait exercer nos missions associatives sans être entravé - par les autorités et notamment la mairie."

"Déployer leur savoir-faire" ailleurs

Mardi 17 octobre, lors d'une conférence de presse, la maire de Calais Natcha Bouchart avait d'ailleurs pointé du doigt la responsabilité des associations dans la situation migratoire actuelle à Calais : "Nous avons encore sur notre territoire aujourd'hui entre 800 et 1000 migrants qui, de façon anarchique, ont donc décidé, avec l'aide des associations, que sur tel ou tel secteur de Calais, le droit était le leur et pas celui de la République".

Quelques mois plus tôt, le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb avait invité les associations de Calais à aller "déployer leur savoir-faire" ailleurs. Il attend toujours de se faire entendre.


Youen Tanguy, à Calais

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