28 marques veulent mettre fin au sexisme dans la pub : une ambition louable pour une tâche immense

par Antoine RONDEL
Publié le 6 mars 2018 à 13h07
28 marques veulent mettre fin au sexisme dans la pub : une ambition louable pour une tâche immense

STÉRÉOTYPES - Plus d'un mois après la signature par 28 marques s'engageant à lutter contre les stéréotypes de genre dans leurs publicités, le CSA publie une charte pour accompagner cette démarche. Reste à savoir si le domaine publicitaire est prêt à assumer un changement révolutionnaire dans son approche.

Fin janvier, 28 grandes marques, de Citroën à Procter & Gamble en passant par Renault et la SNCF, s'engageaient, aux côtés de l'Union des annonceurs, à instaurer, dès 2018, "une communication responsable" pour éradiquer les clichés de genre dans leur communication et leurs campagnes publicitaires. Plusieurs semaines plus tard, le CSA a pris l'engagement au mot, lançant à son tour une charte pour s'attaquer aux clichés sexistes.

L'idée : après avoir, selon l'UDA, rendu "l'hypersexualisation et la femme objet très rare dans la publicité", faire désormais "attention aux rôles qui sont donnés aux femmes". Sus, donc, aux produits déclinés pour les femmes ou les hommes, aux femmes secrétaires, à l'homme au volant ou à la petite fille qui joue à la poupée quand le petit garçon construira une voiture ?

Le marketing genré, une fatalité ?

Une ambition "extrêmement louable", estime Karine Berthelot-Guiet, directrice du Celsa, alors que le format de la publicité, volontiers accrocheur et impactant, laisse peu de place à la réflexion et à la déconstruction. Mais cette spécialiste de la publicité regarde l'initiative avec circonspection. D'abord parce que "les entreprises qui ont signé cette charte répondent d'abord à une injonction de l'Etat, mais aussi à une attente sociale et médiatique très forte après l'affaire Weinstein ou la récente prise de position de Catherine Deneuve. Pardonnez-moi l'expression mais c'est un coup médiatique". 

Ensuite, parce que, pour cette chercheuse, qui estime que "la pub ne peut pas exister sans stéréotype, la tâche est immense. La pub est le miroir de la société, et celle-ci est fondée sur les différences de genre". Faut-il donc se résoudre à continuer de voir les rayons des supermarchés comme le royaume du marketing genré, avec des bières roses à destination des clientes féminines et des tubes de dentifrices "for men" ?

« Sexisme ordinaire » : le rappel à l'ordre de Schiappa à Le Maire et GriveauxSource : Sujet JT LCI
Cette vidéo n'est plus disponible

La pub, entre apprentissage et prise de conscience

Pas forcément. D'abord parce que les prises de conscience sont là, y compris dans le domaine publicitaire, insiste Anthony Hamelle, directeur général de Dan Paris, antenne digitale de l'agence TBWA. Selon lui, l'engagement des 28 marques "valide le fait qu'il n'y a pas de fatalité à l'inertie culturelle liée au sexisme". 

En d'autres termes, la publicité, à la fois miroir de la société et prescriptrice de tendances, a un rôle à jouer pour "faire évoluer les trajectoires". Le publicitaire ne parle pas de nulle part et il le sait : son agence a été primée, en juin 2017, pour un spot publicité réalisé pour Système U, par les Out d'Or, organisés par l'Association des journalistes LGBT. La vidéo, qui voyait des petits garçons s'amuser aussi bien à la cuisine que les jeunes filles avec une perçeuse, avait été saluée pour sa dénonciation des stéréotypes de genre. 

Une sensibilité qu'Anthony Hamelle explique par une intégration par ses équipes des problématiques liées au sexisme et à ses représentations : "Dans la manière dont on conçoit les campagnes, les discussions que nous avons sont empreintes des questions d'égalités. Le patron de l'UDA nous disait par exemple de mettre un homme dans la cuisine ou une femme au volant de la voiture, mais ce sont des choses que nous avions déjà intégrées." Plus réservée, Karine Berthelot-Guiet admet tout de même que les publicités "hypersexualisées" peuvent être supprimées : "On est tous d'accord pour dire que la campagne Myriam, avec cette jeune femme en bikini qui promettait d'enlever le haut puis le bas, ça n'existerait plus aujourd'hui."

Campagne de l'afficheur Avenir
Campagne de l'afficheur Avenir

"Féminisme washing" ou engagement viable ?

Mais, "le sexisme se niche absolument partout, alerte-t-elle, et la stéréotypie va très loin, surtout dans la pub. Une fois qu'on aura supprimé les références à la femme-objet, qu'on aura fait l'effort d'éviter d'assigner les femmes et les hommes à certains rôles, il faudra aussi faire attention à la mise en scène, la musique, le décor... [...] Comment, par exemple, les Galeries Lafayette travailleront-elles pour éviter d'avoir une présentation non-sexiste dans sa campagne de pub pour la mode féminine ? Comment Procter & Gamble et sa gamme de produits ménagers, vont-ils arrêter de mettre une femme en situation de faire le ménage ?"

Les marques sont-elles seulement prêtes ? "Elles essaient de s'éloigner de l'imaginaire sexiste qui existe dans la société", assure la chercheuse. La preuve, renchérit Anthony Hamelle : "Je ne peux que parler de mon expérience mais, ces derniers mois, les commandes reçues de la part des marques comportent très rarement des idées et consignes qui comportent des clichés sexistes. Et quand il y en a, nous les corrigeons."

Quel que soit le degré de sexisme présent dans la publicité aujourd'hui, l'engagement des 28 marques sera attendu au tournant. Et devront assurer pour éviter les accusations en "féminisme washing", récurrentes ces derniers temps pour attaquer les organisations coupables de faire des actions cosmétiques pour cacher les inégalités qu'elles produisent. "Les retombées médiatiques ont été très fortes, et de nombreuses associations éplucheront assurément leurs futures campagnes".


Antoine RONDEL

Tout
TF1 Info