Refus du pass sanitaire : pourquoi l'instauration d'un motif de licenciement est contestée

V.M
Publié le 23 juillet 2021 à 14h37

Source : TF1 Info

DROIT DU TRAVAIL - Les députés ont adopté dans la nuit de jeudi à vendredi le projet de loi sanitaire, qui prévoit le licenciement des salariés qui ne présenteront pas un pass sanitaire au 31 août. Focus sur ces nouvelles dispositions et les raisons pour lesquelles elles sont contestées.

De nombreux avocats et défenseurs des salariés dénoncent des atteintes multiples au droit du travail. Le Medef lui-même demande un délai supplémentaire d'un mois. Les députés l'ont malgré tout voté dans la nuit de jeudi à vendredi, dans le cadre du projet de loi sanitaire : les salariés qui ne présenteront pas un pass sanitaire au 31 août prochain s'exposeront à une suspension de contrat de travail, voire un licenciement. 

Les dispositions, qui doivent encore être débattues au Sénat puis soumises au Conseil constitutionnel, sont inscrites dans le nouveau texte et précisent les conditions dans lesquelles les salariés, mais aussi les fonctionnaires concernés par la présentation d'un tel certificat pourront encourir un licenciement. Ces dispositions valent pour les salariés soumis à l'obligation vaccinale, dont les soignants. Voici les mesures prévues et les raisons pour lesquelles elles sont contestées. 

La suspension du contrat de travail

Le projet de loi dispose que les salariés qui ne présenteront pas le pass sanitaire se verront notifier par l'employeur, "le jour même, la suspension de son contrat de travail", accompagnée de "l'interruption du versement de la rémunération". Ces dispositions prennent fin "dès que le salarié produit les justificatifs requis"

Le texte précise toutefois une étape intermédiaire, dans la lignée de ce qu'avait indiqué la ministre du Travail Elisabeth Borne. Le salarié se voit ainsi rappeler qu'il peut au préalable "choisir de mobiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de repos conventionnels ou des jours de congés payés". Ce qui ne retire en rien l'obligation, à son retour, de présenter le fameux pass sanitaire. 

Il prévoit enfin un délai de trois jours, au terme duquel, si l'employé est toujours réfractaire, ce dernier sera convoqué par l'employeur pour "examiner avec lui les moyens de régulariser sa situation, notamment les possibilités d'affectation, temporaire le cas échéant, au sein de l'entreprise sur un autre poste non soumis à cette obligation"

Le motif de licenciement

Si le refus de présentation du pass sanitaire perdure, au-delà de la suspension, pendant "une durée cumulée supérieure à l'équivalent de deux mois de journées travaillées", ce refus constitue "un motif spécifique constituant une cause réelle et sérieuse de licenciement", indique le projet de loi. Il renvoie alors aux dispositions classiques du Code du travail, avec l'entretien préalable de licenciement. 

En outre, un salarié en contrat à durée déterminée (CDD) pourra voir son contrat rompu avant l'échéance à l'initiative de l'employeur, par dérogation au Code du travail qui stipule en principe que sauf accord entre les parties, un CDD "ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail". Autre coup de canif, le texte prive le salarié des dommages-intérêts prévus normalement en cas de rupture anticipée. Le salarié ne touchera que l'indemnité de fin de contrat, amputée de la période de suspension de deux mois. Il en va de même pour l'employé intervenant dans le cadre d'un contrat de travail temporaire. 

Le projet de loi retient des dispositions similaires pour les agents publics. Sont ainsi prévus la suspension des fonctions et du versement de la rémunération, la convocation au bout de trois jours pour envisager une réaffectation au sein d'un autre service et, au bout de deux mois, la cessation définitive des fonctions. L'agent public dispose en outre d'un délai de dix jours pour présenter ses observations avant l'entretien préalable de licenciement. 

Pourquoi ces mesures sont contestées

Outre les critiques de l'opposition sur la "brutalité" des mesures retenues, de nombreux juristes dénoncent des atteintes multiples au droit. Le professeur de droit public Serge Slama, dans une publication du 23 juillet, pointe tout d'abord le fait que l'obligation du pass sanitaire constituerait "une obligation vaccinale à peine voilée", dans la mesure où la seule alternative à la vaccination serait, pour le salarié, de réaliser un test PCR ou antigénique de moins de 24 heures, lequel deviendra payant à la rentrée. Or, la France n'a pas imposé à ce jour l'obligation vaccinale à toute la population. 

Les critiques tiennent principalement aux questions de respect de la vie privée et de secret médical. Après l'avis du Conseil d'État, qui a validé le projet de loi dans ses grandes lignes, de nombreux spécialistes ont souligné les atteintes possibles à ces principes. Selon Maître Michèle Bauer, avocate spécialisée en droit du travail, le fait que ce soit l'employeur qui contrôle le pass sanitaire constituerait en soi une atteinte à la vie privée du salarié, ainsi qu'au secret médical, alors que la mission de contrôle aurait pu être confiée à la médecine du travail. La question de la proportionnalité entre le refus d'un vaccin et le licenciement pose également des questions, selon elle. 

Dans la même veine, le syndicat CFE-CGC pointe vendredi un "énorme dérapage" qui consiste à "voir apparaître pour la première fois un motif de licenciement à la charge du salarié pour une raison relevant de sa vie privée". Mercredi, la CGT jugeait que ces dispositions porteraient en outre atteinte à "la liberté de travailler". 

L'avocat Bruno Sévillia s'inquiète pour sa part d'une évolution "surréaliste" du droit qui remettrait en cause "toutes les conventions internationales, nos normes constitutionnelles internes" et "la jurisprudence de 30 ans de la Cour de cassation sur le principe de non-discrimination et de respect de la vie privée"

Parmi les critiques, le fait, également, que les mesures s'appliquent aussi aux salariés dits "protégés", ce qui constituerait une remise en cause du principe de respect de la liberté syndicale. Ou encore la disposition prévoyant le reclassement temporaire du salarié refusant de présenter un pass, qui serait difficilement applicable dans une petite ou moyenne entreprise, où les possibilités de réaffectation sont moindres. 

Après son passage au Parlement, le projet de loi sanitaire sera transmis au Conseil constitutionnel, comme s'y est engagé le Premier ministre Jean Castex. À charge, pour les Sages, de trancher sur les nombreuses questions posées par le pass sanitaire, s'agissant notamment des salariés soumis à ces nouvelles règles. 


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