Déchéance de nationalité : l'extension à tous les Français est-elle possible ?

Publié le 5 janvier 2016 à 15h31
Déchéance de nationalité : l'extension à tous les Français est-elle possible ?

DÉCRYPTAGE – La déchéance de nationalité pour tous les Français, et non plus seulement pour les binationaux, est "dans le débat" pour le gouvernement. Mais la France a-t-elle le droit de créer des apatrides, des personnes sans nationalité ? Metronews fait le point.

La "déchéance pour tous" ? L'idée fait son chemin dans le débat politique, la majorité l'envisageant désormais elle-même ouvertement pour faire taire ceux qui, nombreux en son sein, s'opposent à la "rupture d'égalité" et à la "stigmatisation" qu'engendrerait une extension de la déchéance de nationalité réservée aux seuls binationaux nés français.

François Hollande avait pourtant souligné, en annonçant cette mesure devant le Congrès après les attentats de novembre, que la déchéance de nationalité pour les personnes condamnées pour acte de terrorisme "ne doit pas avoir pour résultat de rendre quelqu’un apatride". Les "principes du droit international (…) interdisent de créer des situations d'apatridie", rappelait également Manuel Vall sur sa page Facebook le 28 décembre. Mais ces "principes" sont-ils réellement contraignants sur le plan juridique ?

"Ce n'est pas un problème juridique, c'est un problème moral"

En réalité, comme l'expliquait lundi le Huffington Post , "aucun texte international n'empêche la France de rendre une personne apatride". "Il y a une tradition, une coutume internationale qui empêche l'apatridie, notamment avec la déclaration universelle des Droits de l'homme de 1948 (qui affirme que "tout individu a droit à une nationalité" , ndlr). En revanche, les deux principaux accords qui la prohibent, la convention des Nations unies de 1961 et celle du conseil de l'Europe de 1997, la France les a signées, mais pas ratifiées", confirme à metronews le juriste Serge Slama. Pour ce maître de conférences en droit public à l’Université Paris Ouest-Nanterre (Credof), vent debout contre une mesure "mauvaise depuis le début", la France s'exposerait toutefois à des sanctions si un de ses citoyens, définitivement condamnée pour acte de terrorisme et déchu par décret de sa seule nationalité, saisissait la Cour européenne des droits de l'homme, ou si la Cour de justice de l'Union européenne était saisie. Mais il faudrait pour cela que cette personne ait épuisé tous les autres recours, et la procédure prendrait de nombreuses années...

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En attendant, aucun obstacle textuel majeur ne s'oppose donc à la déchéance de nationalité pour tous. Reste qu'avec une telle mesure et un choix philosophiquement aussi lourd, le gouvernement ferait une sérieuse entorse aux valeurs et aux traditions républicaines. C'est ce que souligne Europe Ecologie-Les Verts en rappelant mardi dans un communiqué que "le droit à une nationalité est l’un des fondements de l’Etat de droit". Alain Juppé l'avait également résumé lundi : "Ce n'est pas un problème juridique, c'est un problème moral. Est-ce que la patrie des droits de l'Homme peut se mettre en contradiction avec la déclaration des Droits de l'Homme ? Pour moi, la réponse est non."


Gilles DANIEL

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