Dix ans après les émeutes : à Clichy-sous-Bois, "c'est pire qu'avant"

Anaïs Condomines
Publié le 27 octobre 2015 à 8h25
Dix ans après les émeutes : à Clichy-sous-Bois, "c'est pire qu'avant"

REPORTAGE – Dix ans après l’embrasement des banlieues, metronews est parti à la rencontre des habitants du Chêne Pointu, ce quartier de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) dans lequel vivait Zyed, l’un des deux adolescents dont la mort a déclenché les trois semaines d’émeutes.

Ils veillent sur leur ancien quartier. Placardés en photo grandeur nature sur les panneaux d’affichage de Clichy-sous-Bois, tout autour de la cité du chêne Pointu, Zyed et Bouna sont revenus là où tout a commencé. Ce mardi 27 octobre, voilà dix ans jour pour jour que les deux adolescents sont décédés dans un transformateur EDF, en tentant d’échapper à des policiers. Un drame qui a ouvert la voie à trois semaines d’émeutes et de violences dans les banlieues françaises. Leurs portraits en noir et blanc, souriants pour toujours, contrastent avec les couleurs automnales des quelques arbres de la cité et le brun crasseux des stores en bien mauvais état qui s’alignent sur les façades des tours.

En 2005, les images des banlieues à feu et à sang ont interpellé la France entière. Les politiques de l’époque, visiblement concernés, ont tous défilé au milieu des tours, assurant que dorénavant, tout serait différent. De ces promesses, il ne reste plus que des souvenirs, ou presque. Au Chêne Pointu, en tout cas, on a plus que jamais l’impression d’avoir été oubliés. Waltar, 36 ans, habite le quartier depuis cinq années. Le regard tranquille, le ton résigné, il constate : "Ici, c’est pire qu’en Afrique. Au Nigéria, d’où je viens, je ne connais pas de quartier aussi terrible. Regardez l’état des tours !" s’exclame-t-il en levant le nez.

Des bennes et des rats

Au sol, autour de lui, les bennes à ordures débordent, attirant les rats qui n’attendent guère la tombée du jour pour se montrer. Non loin de là, en ce vendredi après-midi, un groupe de jeunes enfants jouent au ballon. "Les petits, ils vont à l’école quand ils veulent. Et quand ils se décident, ils ne prennent même pas la peine de s’habiller pour y aller. Ils traînent, ils restent dans la rue jusqu’à 22h, 23h." Waltar, lui, n’a pas d’enfants, mais il se sent bien désolé pour ceux qui grandissent ici. "On dit que les enfants sont les leaders de demain, mais eux, ils n’ont pas d’espoir. Je peux vous le dire, à Clichy, c’est pire qu’avant."


 


Au Chêne Pointu, les visages de Zyed et Bouna ne sont pas oubliés.
Au Chêne Pointu, les visages de Zyed et Bouna ne sont pas oubliés. - AC / Metronews

Et pourtant, au pied des barres, malgré l’inertie et ce qui ressemble fort à un abandon total, certains refusent de rester immobiles. La mission Mars (médiation, animation, réussite sociale) a pour but de sortir les jeunes de l’ennui à travers des activités sportives, des moments de fête autour du Ramadan et des partenariats éducatifs. Elle a vu le jour en mars 2015 à l’initiative d’enfants du quartier. Memouna, 27 ans, est de ceux-là. Nous la retrouvons dans une arrière-boutique du centre commercial, dalle désossée trônant au milieu de la cité. De part et d’autre d’un long couloir de carrelage blanc traversé de courants d’air s’égrènent quelques magasins d’habillement et, adossés au mur, des copains qui fument entre eux. Memouna a la poignée de main franche, de larges épaules de sportive et les cheveux noirs relevés en queue de cheval. Pour s’occuper pleinement de l’association, elle a choisi de quitter son emploi dans la restauration. "Ma mère a pété un plomb !" lance-t-elle. "Mais après les émeutes, tout le monde a pensé : ‘dans les cités, y’a que des casseurs’. Il faut montrer que c’est pas vrai."

Car pour Memouna, elle-même ancienne footballeuse, la cité du Chêne Pointu regorge de talents. Et le gâchis, elle n’en veut plus. Aujourd’hui encore, elle ne peut pas passer devant la tour Rabelais sans lever les yeux vers les fenêtres de ce qui fut, il y a une éternité, le foyer de Zyed Benna. En 2005, ils avaient tous les deux 17 ans. Elèves dans la même classe, copains des mêmes galères, Zyed et Memouna auraient pu connaître le même destin. "Je n’oublierai jamais le moment où j’ai appris que Bouna et lui sont morts. J’ai couru pour aller voir la famille de Zyed mais y’avait trop de policiers et de pompiers en bas de chez lui, c’était impossible" se souvient la jeune femme. Et le soir-même, le quartier explosait. "Toutes les nuits, j’étais dehors, je regardais les voitures brûler". Dix ans après, elle se sent bien seule pour sauver ce quartier oublié. "Il y a eu des promesses. Depuis, on voit des travaux, toujours des travaux. Mais dans la cité, rien n’a changé."

"Hé, mission Mars !"


Au premier étage de la tour Rabelais, où vivait Zyed, rien n'a changé depuis dix ans. 
Au premier étage de la tour Rabelais, où vivait Zyed, rien n'a changé depuis dix ans.  - AC / Metronews

Pas de cinéma, pas d’activités, pas encore de gare à Clichy-sous-Bois pour s’éloigner un tant soit peu du quartier. "Pas étonnant que les jeunes squattent les halls", reprend Memouna. "Alors parfois, quand je vois les petits qui traînent en bas des tours, je les emmène à l’espace vert jouer au foot. Je fais une équipe Ronaldo, une équipe Messi, ils sont à fond." Et ces parties de jeux lui redonnent espoir. Dans ces moments-là, elle se rappelle que le prolongement du tramway T4, encouragé par le "plan Espoir Banlieues" en 2008, est pour bientôt. "Peut-être que ça pourrait créer des emplois chez nous !" ose-t-elle espérer.

De retour au pied des immeubles, Memouna nous confie qu’elle est fière de Mission Mars, qu’elle ne demande qu’à en voir plus et qu’elle ne compte pas aller vivre ailleurs un jour. Et c’est vrai qu’au Chêne Pointu, tout le monde la connaît. Depuis le plus haut étage de la tour Rabelais, un jeune voisin l’interpelle en criant : "Hé, Mission Mars !", alors que Memouna poursuit son chemin en direction de l’appartement où elle vit avec sa mère. Au passage, elle jette un coup d’œil aux murs des halls couverts de tags comme si elle les voyait pour la première fois. "Il n’y a même plus de porte, dans cet immeuble. Et de tous, c’est même pas le pire."

EN SAVOIR +
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Anaïs Condomines

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