Elle est bannie des textes officiels : pourquoi l'écriture inclusive dérange-t-elle à ce point ?

Anaïs Condomines
Publié le 21 novembre 2017 à 12h46, mis à jour le 21 novembre 2017 à 13h01

Source : JT 20h WE

B-A-BA - Elle s'est replacée au centre des débats après la publication, par les éditions Hatier, d'un manuel scolaire entièrement rédigé en écriture inclusive, en incluant le féminin. Pour ou farouchement contre, la question fait depuis toujours rage. Au point que ce mardi 21 novembre, le Premier ministre Edouard Philippe a banni l'écriture inclusive de tous les textes officiels. Mais au fait, pourquoi cette méthode cristallise-t-elle autant de tensions ?

"Grâce aux agriculteur·rice·s, aux artisan·e·s et aux commerçant·e·s, la Gaule était un pays riche." Voici une phrase rédigée en écriture inclusive que peuvent désormais lire vos enfants de CE2, si toutefois le manuel Magellan et Gagilée Questionner le monde est disponible dans leur salle de classe. En publiant ce livre scolaire, les éditions Hatier ont mis les pieds dans le plat. Et lancé le débat sur un type d'écriture qui ne donne plus forcément la priorité au masculin, mais accorde au féminin les fonctions, les titres et les métiers.

A l'instar de la suppression du mot "mademoiselle" sur les formulaires administratifs, l'arrivée de l'écriture inclusive irrite. On ne compte plus les réactions indignées depuis que les éditions Hatier ont fièrement annoncé la commercialisation du manuel polémique. Elles viennent de La Manif Pour tous - qui déplore un "mouvement idéologique, égalitariste et même paranoïaque" - ou encore du chroniqueur Raphaël Enthoven, qui sur Europe 1 craignait "une agression de la syntaxe par l'égalitarisme". 

Le masculin n'est pas neutre"
Isabelle Cabat-Houssais

Une "agression de la syntaxe", vraiment ? Isabelle Cabat-Houssais est enseignante à Paris. Elle pratique l'écriture inclusive auprès de ses élèves depuis une douzaine d'années... et ne compte pas s'arrêter à présent : "J'utilise la méthode du point milieu (exemple : candidat·e·s, ndlr) pour les mots aux parents et j'accorde les noms de fonctions (exemple : directeur et directrice) à l'oral, avec les enfants. Ma première observation est que cette démarche est simple, c'est une question d'habitude. Je constate que quand tout est accordé au masculin, je ne me sens pas concernée. Le masculin, ce n'est pas neutre. Pour le enfants, c'est pareil. On touche à une question d'identification."

Mais pourquoi cette méthode, développée dans les sphères féministes et qui dans l'esprit vise à lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes, suscite-t-elle autant de réactions épidermiques ? "Vous remarquerez que les critiques viennent toujours des mêmes : de ceux qui ont une vision de la femme centrée sur l'intérieur et le maternel", nous répond-t-elle. "Mais le langage est politique. Il évolue, il est vivant, il parle d'une société."

Résistants et résistant·e·s

D'une société dans laquelle le masculin l'emporte encore. Edith Maruéjouls, géographe du genre et directrice du bureau d'étude L'ARObe (Atelier recherche observatoire égalité), voit dans le débat sur l'écriture inclusive "la question importante du symbole, et d'une capacité sociétale à dépasser le sexisme". Elle poursuit : "Il est très important de rendre visible la présence des femmes, surtout dans les cours d'Histoire, par exemple. Parler de résistants et de résistant·e·s, ce n'est pas anodin. Décliner au fémnin, c'est ouvrir l'imaginaire. Pour les petites filles et les petits garçons, cela permet de se projeter autrement."

Selon la chercheuse, le débat, même s'il est primordial qu'il touche aux questions scolaires, ne doit pas se limiter aux murs des cours d'école. Autre terrain d'action : le milieu professionnel. "Dans les fiches de poste, l'écriture inclusive devrait exister aussi. Les adjectifs pourraient être remplacés par des qualités. Exemple : 'Qualité recherchée : rigueur' en lieu et place de 'vous devrez être rigoureux'. La féminisation des noms de métiers est importante : car oui, il y encore des métiers d'hommes et des métiers de femmes en France." Effectivement, à bien y réfléchir, on parle plus volontiers d'infirmière que de chirurgienne, de maîtresse que d'écrivaine. 

"Questionnable" pour Blanquer

Qu'en dit-on à l'Education nationale ? C'est après que lui fut confiée une mission sur le sujet par Najat Vallaud-Belkacem que le Haut conseil à l'égalité femmes hommes a fait sa commande aux éditions Hatier. Son successeur, Jean-Michel Blanquer, sans s'y opposer de front, n'a pas franchement salué l'initiative, début octobre sur France Inter :

"Que cette liberté soit offerte dans la vie démocratique courante, ça me paraît compréhensible. A l'école, je suis plus réservé. Quand je vois toutes les difficultés qu'on a à consolider la lecture de façon simple et explicite. Ce n'est pas grotesque, mais c'est questionnable. Il faut en discuter." Depuis le ministre de l'Éducation nationale s'est finalement positionné plus clairement contre. Avant qu'Edouard Philippe, via une circulaire datée du 21 novembre, ne bannisse l'écriture inclusive dans les textes officiels.


Anaïs Condomines

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